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du respect de la confidentialité et des dangers d’une transmission généralisée des informations. Dans cette culture, même les formations initiales, des éducateurs notamment, ont longtemps rangé la technique du rapport écrit dans les apprentissages secondaires, acquis « sur le tas ». Or, pour les raisons conjuguées de l’accès des usagers à leur dossier, et de la généralisation des démarches qualité qui privilégient la « traçabilité » et la formalisation écrite des documents, l’injonction d’écrire est venue s’installer, y compris dans les métiers de la relation où ( il faut en convenir ) écrire les aspects relationnels du service rendu n’est pas chose facile. Il y a une réelle pression sur ces questions que le CREAI Rhône-Alpes constate régulièrement lors de ses interventions auprès d’équipes : comment progresser dans la qualité des écrits, sans développer des attitudes de réticence ou de frilosité par crainte des utilisations que peut faire l’usager des écrits qui le concernent et auxquels il a accès ? Il serait dommage en effet que l’affirmation des droits des usagers, la nécessaire formalisation des documents dans le cadre d’une relation dorénavant contractuelle, brident paradoxalement l’expression des professionnels comme cela a pu être constaté avec une longueur d’avance dans le champ sanitaire. Il y a donc là, bien au-delà des questions techniques et de méthode, une vraie préoccupation du sens et de l’éthique. En revanche, il ne faudrait pas souhaiter s’en tenir là et considérer ces défis comme indépassables. C’est ce paradoxe que veut aborder ce dossier, au travers de plusieurs questions : celle du débat et de la «discussion» avec l’usager qui sont inévitables ( autant les rendre productifs ! ) dans le nouveau cadre légal, et corrélativement celle de la qualité et de la technicité des écrits. celle du cadre institutionnel au sein duquel s’inscrit la pratique de l’écrit et de son nécessaire contrôle. celle, enfin, des conditions de transmission des écrits et de l’accès de l’usager à son dossier, dans le contexte d’une évolution perceptible de la réflexion sur le secret professionnel.

Ecrits professionnels et dossier de l’usager

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DOSSIER

CREAI Rhône-Alpes / Septembre 2005

La transmission de l’écrit professionnel : engagement et responsabilité du rédacteur social

Jacques GRECO Conseiller technique au CREAI Rhône-Alpes

Avec deux lignes d’écriture d’un homme, on peut faire le procès du plus innocent. [Cardinal de Richelieu]

Ecrire est un acte qui engage la responsabilité du rédacteur quant à la destinée et les conséquences de son acte, tant pour lui-même que pour autrui. L’écrit peut révéler ou calomnier, aider ou détruire, lier ou séparer sans en avoir véritablement l’intention : maîtrise-t-on jamais ce que l’on voudrait exprimer en tant qu’individu avec la langue commune ? Sait-on jamais la destinée de cet écrit que notre interlocuteur ne comprendra qu’en inférant : il est explicite et implicite à la fois et les replis de l’implicite sont de nature à cacher tous les démons de l’interprétation. Il est ici question de la transmission de l’écrit au-delà de la manière subjective de prendre en charge l’histoire des autres. Deux états de transmission d’un écrit professionnel peuvent être distingués : – la transmission active : le rapport transmis à l’autorité, le signalement au parquet ; – la transmission latente : la pièce du dossier, l’écrit qui ne possède pas de destinataire déterminé mais peut faire l’objet d’un échange ou d’un courrier. En ce qui concerne la transmission active, les évolutions de la législation, l’affirmation du droit des usagers et la confirmation de leur droit d’accéder à leur dossier, nous amènent à porter plus d’attention à ce que l’on nomme l’écrit professionnel. S’il est professionnel, car inscrit dans les tâches d’une mission, l’écrit n’en reste pas moins celui d’une personne, c’est à dire marqué par son implication sociale et sa propre histoire. Chacun prend en charge à sa manière, dans le cadre de l’action sociale, « la part infâme » de l’autre ( ce qui porte atteinte à sa réputation, le signale…). Faut-il la mettre au jour, l’édulcorer, la taire ? Ce qui est en jeu, dans la façon personnelle de prendre en charge l’histoire de l’autre, c’est la responsabilité morale : avant que les écrits soient de nature à mobiliser une responsabilité civile ou pénale, quand porte-t-on atteinte à la dignité et à l’intégrité de celui à propos de qui l’on écrit ? C’est le débat éthique qui nous conduit à évaluer nos jugements, l’injustice de nos choix, le degré de notre intrusion, l’abus de notre pouvoir, l’intolérance sociale. On peut estimer que l’accord unanime pour celer la maladie, au nom du sacro-saint secret médical, répond aux peurs archaïques et à la honte portée socialement sur les affections du corps. Doit-on contribuer au maintien de ces représentations qui touchent aussi le handicap en participant aux actions qui le dissimulent et par là le stigmatisent ? Si la tâche d’écriture est prescrite et fait partie du rôle professionnel, elle naît d’un rapport interhumain où projections et fantasmes s’éveillent à l’écoute d’un récit intime ou lorsqu’il faut assembler les portions d’une histoire de vie.

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Ecrits professionnels et dossier de l’usager

Septembre 2005 / CREAI Rhône-Alpes

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Puis, succède à la prise en charge de la situation, sa traduction institutionnelle, c’est à dire la production d’un discours cadré par la mission du rédacteur et par les destinataires du texte. L’écrit est normalisé en référence à une tâche prescrite. Ce qui est maintenant en jeu, c’est la responsabilité professionnelle. Si, lors de la prise en charge de la situation, le récit ( qu’il soit oral ou écrit ) est du registre de la parole : « je » s’exprime et se met en jeu dans une parole qui lui est propre ( l’indexicalité 1 ), la construction du discours destiné à un autre, professionnel, institution, est du registre du code. Elle obéit en premier lieu à des règles de présentation : il faut « parer» le discours et on le pense d’autant plus convaincant qu’il respectera les règles du bon et du beau. C’est ainsi que n’est que partiellement transmise une histoire de vie relevant de faits. Il y a toujours un travail de construction d’un récit destiné à être transmis, une « légende familiale » qui s’élabore au fil des enquêtes successives, de dossiers de demande d’aide, des signalements divers. Viennent se sédimenter des couches successives au travers desquelles, quand se ressaisit I’ensemble du dossier, va surgir cette légende, ce récit qui va donner existence à la personne. Le travail du professionnel se résume ainsi : « Donnez-moi votre récit pour que je rende audible et acceptable la vie de l’homme infâme ». En d’autres termes, lorsque le récit intime avive un sentiment de solidarité, il se transforme aisément en « récit civil » propre à mobiliser les dispositifs d’aide. Telle est alors sa responsabilité qui se traduit dans un échange : « donne-moi ton récit et je te donnerai de la solidarité ». Mais cet échange peut s’avérer impossible lorsque, à l’inverse, le récit intime active un jugement d’indignation. Il est alors rejeté et ne peut accéder au récit civil mobilisateur. La « légende du pauvre » se construit ainsi, poussée par l’examen des événements majeurs qui infléchissent le cours de la vie et parmi lesquels on retiendra de préférence ceux qui permettent de quitter le cas unique pour l’inscrire dans une cause collective qui suscite la mobilisation des acteurs. Mais, à tout moment, la responsabilité morale vient percuter la responsabilité professionnelle : faut-il taire pour protéger l’individu, faut-il dire pour mobiliser le dispositif ? Des limites s’imposent et pas seulement juridiques. Les conduites de l’individu peuvent être intolérables, « obscènes ». Comment les transformer en un récit public, sans devenir soi-même obscène ? La responsabilité professionnelle s’établit ainsi dans la transformation du récit intime en récit civil afin qu’il soit soumis aux instances ou aux autorités détentrices d’un pouvoir de décision. Mais l’intérêt apporté aux récits de vie, aux biographies pour décider de l’attribution d’une aide, signe bien la place prédominante accordée à l’individu dans son histoire : les exclus le seraient plus en raison de leur histoire personnelle qu’en raison de l’appartenance à un collectif (classe sociale, profession, classe économique ou nationalité...). L’histoire des individus est aujourd’hui comprise comme décisive dans les situations de pauvreté. Les commissions locales d’insertion sont devenues le lieu d’exploration de l’intimité et, à la logique du guichet où l’on venait toucher son dû, s’est substituée une magistrature sociale où l’on est examiné, soupesé, jugé en tant que candidat à I’insertion. Ces nouvelles magistratures sociales sont chargées de connaître

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