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L’invention du discours philosophique

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Par   •  10 Octobre 2023  •  Cours  •  13 626 Mots (55 Pages)  •  70 Vues

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E13PH9/E13PH5 – L1 Philosophie antique  

S1 – 2019 – P. Seban – Introduction à la philosophie antique

 

Chapitre 1 :  

L’invention du discours philosophique  

Table des matières

A.  Les Sages de la Grèce        2

B.  Le problème des « Présocratiques »        3

C.  Sortir du mythe : d’Hésiode aux premiers penseurs Ioniens        6

1.  Hésiode, Homère, Eschyle : la littérature mythique        6

2.  Thalès        7

3.  Anaximandre        8

4.  Xénophane        10

D.  Discours et contradiction : Héraclite et l’Éléatisme        11

1.  Héraclite        11

2.  Parménide        14

3.  Zénon d’Elée        15

E.  Rendre compte de tout : les grands systèmes du Ve siècle        18

1.  Empédocle        18

2.  Démocrite        20

F.  Retour sur le discours : de la Sophistique au Socratisme        21

1.  Le problème de la « sophistique »        21

2.  Protagoras        22

3.  Gorgias        23

4.  Socrate        23

G.  Bibliographie        24

 

La philosophie nait pour ainsi dire officiellement au début du 4e siècle av. J.C. en Grèce Continentale, dans la Cité-Etat nommée Athènes – peut-être la plus riche, politiquement influente et militairement puissante des Cités grecques de l’époque, avec sa rivale Sparte – au moment où Platon achève le processus qui lui donne le nom qu’on lui connait, et fonde peutêtre la première véritable école philosophique attestée par les sources : l’Académie, fondée en -387. Mais la philosophie, cela est évident, ne sort pas spontanément du cerveau de Platon, et lui-même hérite d’un ensemble de traditions remontant à plusieurs penseurs des 6e et 5e siècles. Ce sont ces efforts intellectuels des deux siècles précédents, les sources donnant lieu au cours d’eau principal, pour reprendre notre métaphore fluviale, que nous allons étudier dans ce chapitre.

On divise habituellement cette multiplicité de sources intellectuelles – c’est-à-dire celles qui ont survécu et dont nous avons gardé des traces – en plusieurs groupes : les « Présocratiques », ou « philosophes présocratiques » ; les « Sophistes », groupe auquel on attache parfois Socrate lui-même, parfois non ; moins connu, un corpus d’anciens écrits médicaux de la même époque, dont celui auquel on donne le nom d’« Ancienne Médecine » ; puis divers écrits théoriques anciens, par exemple ceux des historiens, des rhéteurs, ou encore des mathématiciens ; et il faudrait dire un mot de ceux qu’on appelle les « Sages de la Grèce ».

Quoi que ces termes puissent poser un certain nombre de problèmes, nous allons les utiliser car ils continuent d’être le cadre par lequel on pense cette période, tout en prenant soit de les problématiser au fur et à mesure.

  1.         A.         Les Sages de la Grèce

On peut régler rapidement la question des « Sages », ou plus exactement des « Sept Sages » (οἱ ἑπτὰ σοφοί hoi hepta sophoi).  

L’appellation est ancienne, et semble remonter au début du 6e siècle av. J.C. Comme on l’a dit en Introduction, le terme de « sage » (sophos) était un terme traditionnel, qui voulait dire à peu près ce qu’on imagine aujourd’hui. Un certain nombre de figures culturelles grecques, connues pour leurs sentences et conseils mémorables, leur vie remarquable, parfois leur activité de législateur et fondateur de cité, et leur stature morale en général, étaient honorées par ce nom, et se sont vu réunies en un groupement, au nombre symbolique de sept – même s’il faut noter qu’il n’y avait pas consensus sur la question de savoir qui méritait exactement de figurer dans la liste des Sept. On trouve donc plusieurs listes variantes dans les sources. Il est assez surprenant et amusant de consulter ce qui est conservé de ces personnages : on y trouve un mélange hétéroclite de phrases, dont certaines apparaissent profondes, d’autres de bon conseil pragmatique parfois étonnamment précis, d’autres plutôt banales. Nous reproduisons ici une liste de sentences, qui donnera une idée.

Texte 1 : Sentences des Septs Sages, rapportées par Démétrios de Phalère, in Stobée, Anthologie, 3.1.1721. 

Cléobule de Lindos, fils d’Evagoras, a dit :

1. La mesure (metron) est le meilleur. 2. Respecte ton père. 3. Aie un bon corps et une bonne âme. 4. Ecoute volontiers et ne parle pas trop. 5. [Mieux vaut] savoir beaucoup que ne rien savoir. 6. Que ta langue soit décente. 7. Familier de la vertu (aretê), étranger au mal. 8. Hais l’injustice (adikia). 9. Préserve la piété (eusebeia). 10. Conseille à tes concitoyens ce qui est meilleur. 11. Maîtrise le plaisir (hêdonê). 12. Ne fais rien en usant de violence (bia). 13. Eduque (paideuein) tes enfants. 14. Prie fortune (tukhê). 15. Résous les conflits. 16. Considère qu’un adversaire du peuple est un ennemi. 17. Ne te bats pas avec ta femme et ne sois pas arrogant en présence d’autrui : l’un peut te rendre sot, l’autre insensé. 18. Ne punis pas tes esclaves quand ils sont dans un état d’ébriété. Sinon, tu paraîtras être ivre. 19. Marie-toi dans ta classe ; car si c’est dans une classe supérieure tu acquerras des maîtres, pas des parents. 20. Ne ris pas avec un moqueur ; car tu seras haï de ceux qui sont moqués. 21. Si tu es dans l’aisance, ne sois pas dédaigneux, si tu es dans la gêne, ne t’abaisse pas.

 

 [pic 1]

1 Petit rappel chronologique de l’accès aux sources : il s’agit de sentences d’un personnage ayant vécu entre le 7e et le 6e siècle avant J.C., rapportées par un auteur, Démétrios de Phalère, de la fin du 4e siècle av. J.C., luimême copié dans une anthologie de textes composée par Jean Stobée, auteur de la fin du 5e siècle après J.C. – lui-même bien sûr étant parvenu à nous à travers de copies de manuscrits plus tardifs.

Notez qu’il s’agit dans ce texte de prescrire une série de comportements vertueux, plus ou moins précis, qui renvoient soit à un ensemble de qualités morales traditionnelles : la piété, la justice, la mesure, la tempérance, le respect du père…, soit à des situations sociales susceptibles de provoquer du conflit dans la communauté : la différence entre riches et pauvres, la différence entre maîtres et esclaves, la différence entre les générations, et en général l’opposition entre les citoyens.

Or[1], les vertus antiques doivent justement être comprises comme des dispositions au comportement, des manières d’être, que les individus doivent adopter afin que la communauté puisse œuvrer à la vie bonne en commun. Le travail de Cléobule et des autres Sages serait donc de s’efforcer de formuler la moralité nécessaire à cette vie commune nouvelle que les Grecs s’efforcent de constituer à l’époque. En effet, le tournant du 7e et du 6e siècle est le moment où on situe traditionnellement le passage de la Grèce « archaïque », celle où vit Homère, avec ses clans et ses rois, à la Grèce dite « classique » qui est celle des Cités indépendantes dotées d’une constitution et dans lesquelles une forme de démocratie ou au moins de participation des citoyens à l’organisation commune devient possible. Et certains des Sages ont eux-mêmes été, historiquement, des législateurs donnant leurs nouvelles lois et constitution à ces Cités. Néanmoins, à l’exception de Thalès, qui apparait dans certaines listes de Sages et fait office de figure limite, dernier des Sages et premier des philosophes, l’activité des Sages apparaît clairement se distinguer de ce qui sera le discours philosophique. Ils sont plutôt des figures déterminantes de la culture, exprimant la moralité de leur temps, et ils sont très importants pour étudier le contexte idéologique, moral et culturel dans lequel est née la philosophie, mais ils restent en marge de celle-ci[2].

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