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é d’autres textes, historiques et, surtout, méthodologiques. Rive droite, on paraît apprécier la méthode ; rive gauche, on déplore l’absence d’idées et/ou la soumission à la « demande sociale ». Paradoxalement, partisans et adversaires ont concouru à accréditer la même image pour ne diverger que sur la valeur à accorder à l’entreprise : méthodologue exemplaire ou praticien étroit, au fond c’est tout un.

Pourtant il est sans doute exact de dire que les travaux de Lazarsfeld et de ses collaborateurs ont radicalement transformé la sociologie des media. Encore cette formulation prête-t-elle à confusion en ce qu’elle postule un découpage identique des disciplines en France, où la place d’une telle spécialité est résiduelle ou introuvable, et aux États-Unis, où elle s’avère considérable. Aussi serait-il plus exact de dire : l’ensemble des domaines qui, là-bas, avaient rapport à la sociologie des communications de masse (politique, développement, loisirs, journalisme et media, publicité et marketing, etc.).

Ce qui donne leur unité à ces recherches c’est une interrogation sur les processus par lesquels une classe ou un groupe produit et maintient sa propre légalité, obtient de ses membres des opinions droites et des actes conformes. La réponse réside dans une théorie du leadership et de l’interaction comme instances de contrôle social « local », c’est-à-dire propre à la classe ou au groupe. Mais il faut admettre que la question n’avait pas de sens dans les grandes théories du pouvoir parce que là rien n’y advient qui n’ait sa source dans un principe extérieur et supérieur : État, élite ou classe dominante. Partis à la recherche des preuves de l’efficacité des pouvoirs institutionnels, les lazarsfeldiens découvrent les petits pouvoirs invisibles auxquels est suspendue l’existence quotidienne.

L’expert et le compagnon

Personal Influence consigne le parcours par lequel l’analyse a pris congé des deux fictions qui organisaient jusque-là cette sociologie. D’une part, le pouvoir d’imposition illimité dont l’optimisme diffusionniste, hérité du xviiie siècle, crédite les productions des élites, toujours portées à croire en la validité et la nécessité universelles de leurs propres valeurs. Soit, illusion corporative et fonctionnelle de tout pouvoir symbolique. D’autre part, l’individualisme atomiste inhérent à la notion de « société de masse », variante modernisée de l’« anomie » et de la Gesellschaft. Soit, une somme d’individus, chacun homo mediaticus, sans rapport les uns avec les autres et recevant leur unité de l’extérieur, c’est-à-dire des divers pouvoirs institutionnels qui sont censés les dominer absolument.

Du domaine politique à celui de l’activité scientifique, le constat est général : les messages des « sources expertes », ceux que diffusent media ou agents institutionnels, font moins autorité que ceux des partenaires ordinaires de la vie de tous les jours. Les mots de la tribu l’emportent sur ceux qui viennent d’ailleurs. Les divers pouvoirs symboliques ne s’imposent que pour autant que s’interpose une garantie indigène.

En se donnant pour la première fois les moyens de mesurer réellement l’impact des messages médiatiques – le panel et le schème de l’étude de décision –, The People’s Choice puis Voting vont en découvrir les limites. Le premier constat par son importance, c’est la faiblesse du nombre des changements d’intention de vote susceptibles de se produire dans le cours d’une campagne électorale, en dépit de l’avalanche médiatique qu’elle suscite. Le second, c’est que les transferts d’allégeance qui se produisent sont plus souvent dus aux contacts face-à-face avec l’entourage (familial, professionnel ou amical) qu’aux discours électoraux ou aux éditoriaux des commentateurs. Parce que le niveau d’intérêt politique, la précocité du choix et sa fermeté, le volume et la sélectivité de l’exposition vont de pair, les communications formelles n’atteignent que ceux qui sont les moins susceptibles d’être influencés. Le résultat est inattendu : ou bien les messages n’atteignent pas, ou bien c’est en pure perte. Au lieu des changements en masse que la campagne était supposée induire, les auteurs découvrent la stabilité de l’opinion politique et l’homogénéité idéologique des groupes primaires. Même les changements individuels apportent leur contribution à cette uniformité parce qu’ils consistent le plus souvent en un alignement des membres déviants sur le vote tenu pour socialement correct dans leur entourage. Le citoyen éclairé que postule la philosophie politique classique s’avère introuvable : exit l’homo politicus.

Mais ces constats sont-ils généralisables ? Ce qui prévaut dans les circonstances somme toute exceptionnelles d’une campagne électorale se retrouve-t-il en des domaines plus prosaïques de l’existence ?

Personal Influence tente cette confrontation des pouvoirs respectifs de l’amateur et de l’expert à l’aide d’un échantillon exclusivement féminin cette fois. La mode, l’achat de produits alimentaires ou d’entretien et les choix cinématographiques fournissent le contenu de ce test. Le message publicitaire de la radio ou de la presse, le magazine spécialisé ou le vendeur l’emportent-ils sur les contacts personnels et le bouche à oreille ?

À nouveau, il ressort de cette enquête, et dans tous les cas, que l’influence personnelle joue un rôle plus important et plus efficace que n’importe quel moyen de communication de masse.

Que l’homme politique ou l’éditorialiste aient moins d’influence sur le vote individuel que le conjoint ou le collègue, après tout pourquoi pas ? L’on est d’autant plus prêt à l’admettre qu’en matière d’élections, de consommation, de mode ou de cinéma l’expertise reconnue est faible et diffuse, ou qu’il s’agit de domaines où chacun est supposé avoir droit à l’opinion. Aussi n’est-il pas tout à fait surprenant d’y découvrir de l’influence informelle. L’idée serait plausible mais de portée limitée. En revanche le modèle serait soumis à un test bien plus probant si l’on pouvait faire état de constats analogues en des activités qui a priori ne doivent rien à l’opinion.

C’est ce que Medical Innovation s’efforce de démontrer. Dans une profession où l’idéologie de la Science et l’engagement vis-à-vis du malade tendent à faire du progrès une norme officielle, et dominée par des autorités fortement reconnues, l’adoption d’un nouveau médicament suit grosso modo un processus comparable à la diffusion de quelque nouvelle pratique agricole, telle l’acclimatation de l’hybride de maïs, parmi les fermiers de l’Iowa5. Si la précocité d’adoption, la forme du processus de diffusion et l’ensemble avec lequel agissent les médecins dépendent à ce point du nombre de liens et de contacts qu’ils entretiennent avec leurs collègues, c’est que ceux-ci détiennent, au regard des décisions du praticien, particulièrement en situation d’incertitude et de risque, une fonction de légitimité et de réassurance plus décisive que celle dont jouit l’élite professionnelle au travers de ses articles dans la presse médicale. Ces scientifiques dépendent tout autant de leurs collègues et du bouche à oreille que le citoyen ordinaire en quête d’une interprétation de la conjoncture du marché électoral.

L’enquête réalisée par H. Menzel auprès de scientifiques (chimistes, biochimistes et zoologistes) montre combien il est socialement irréaliste de réduire l’information à l’idée d’une recherche intentionnelle mettant en relation un chercheur individuel isolé et une source selon des procédures exclusivement rationnelles6. Seuls les échanges informels permettent, en effet, à des chercheurs de maîtriser une information dont ils ignorent la pertinence, voire jusqu’à l’existence, ou qui excède, en raison de son volume et de sa dispersion, leurs possibilités d’investigation individuelles. Grâce aux relations interpersonnelles ceux-ci sont en mesure et de disposer d’informations qu’ils ne cherchent pas et de se procurer une bonne part de celles qu’ils cherchent.

L’issue de la confrontation est claire : les messages médiatiques, aussi autorisés soient-ils, n’ont pas le pouvoir qu’on leur prêtait de façonner aussi directement et facilement leurs auditoires, citoyens ou médecins. Parce qu’une autre légitimité, diffuse celle-là, s’interpose entre les individus et les pouvoirs institutionnels : celle de la classe ou du groupe d’appartenance. À l’omnipotence du contrôle social à distance, les lazarsfeldiens opposent la force du contrôle social « rapproché », lesté de tout le poids des sanctions et des valeurs du groupe.

Leadership et interaction, ou les handicaps de la distinction

Ces diverses enquêtes ont découvert le pouvoir régulateur considérable qu’exercent les relations interpersonnelles au travers de la diffusion de l’information, de la légitimation des décisions et du soutien procuré. Là réside la limite à l’action formatrice des messages des autorités distantes, quel que soit le degré de reconnaissance dont elles bénéficient.

Le propre de la problématique lazarsfeldienne tient au rôle central qu’elle fait jouer aux relations interpersonnelles en tant que processus de contrôle social « local », c’est-à-dire endogène sur les plans social et culturel. Les relations interpersonnelles constituent une instance locale d’ordre et de légitimité. Deux relations concourent

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