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Surveiller et punir

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lus tard en Angleterre par exemple). Mais le supplice hante encore la pratique pénale. La guillotine (mort voulue rapide et discrète) avait marqué une nouvelle éthique de la mort légale. La Révolution l’a tout de suite entourée d’un rituel théâtral qui a rétabli le spectacle. Progressivement, on a remplacé la charrette découverte par une voiture fermée, on a poussé rapidement le condamné sur la planche, organisé des exécutions à des heures indues, placé la guillotine dans les prisons (1939), gardé secret le moment de l’exécution (Buffet et Bontemps en 1972), poursuivi les témoins qui racontaient la scène. La prise de corps elle-même ne va pas sans un supplément punitif physique : rationnement alimentaire, privation sexuelle, coups, cachot. Il serait d’une certaine façon « juste » qu’un

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On raconte qu’à la nouvelle de sa condamnation, Damiens se serait exclamé : « La journée sera rude ».

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condamné souffre physiquement plus que les autres hommes : « Que serait un châtiment incorporel ? ». On est passé malgré tout à autre chose. « Que le châtiment, si je puis ainsi parler, frappe l’âme plutôt que le corps » (G. de Mably, De la législation, Œuvres complètes, 1789). Pour s’approcher de cela, on a dû modifier l’objet de la punition. On punit toujours des actes mais aussi le « vice », « l’anomalie sociale » qui les permet. Derrière l’agression, on punit aussi l’agressivité en quelque sorte. Par le biais de « circonstances atténuantes » on fait entrer dans le verdict l’appréciation qu’on porte sur le criminel et ce que l’on peut attendre de lui dans l’avenir. Des experts viennent – même si on ne le dit pas ainsi – sonder l’âme des criminels et mettre en place un ensemble de jugements appréciatifs, diagnostiques, pronostiques, normatifs. « (…) la sentence qui condamne ou acquitte n’est pas simplement un jugement de culpabilité, une décision légale qui sanctionne ; prescription technique pour une normalisation possible. Le juge de nos jours – magistrat ou juré – fait bien autre chose que ‘juger’ ». « Le rôle du psychiatre en matière pénale ? Non pas expert en responsabilité, mais conseiller en punition ; à lui de dire, si le sujet est ‘dangereux’, de quelle manière s’en protéger, comment intervenir pour le modifier, s’il vaut mieux essayer de réprimer ou de soigner ». Tout cela est plus ou moins vrai pour les autres « experts » qui interviennent à un moment ou l’autre avant, pendant ou après la peine. Toutes ces interventions extra judiciaires tendent à pouvoir dire qu’on ne fait pas qu’appliquer une punition mais que l’on veut obtenir une guérison. Il faut se défaire de l’illusion que la pénalité est avant tout une manière de réprimer les délits. Il y a un autre rôle que la sanction. On cherche aussi des effets positifs. Dans une société esclavagiste, la sanction tend à apporter une main-d’œuvre supplémentaire en constituant un esclavage « civil » ; avec la féodalité, quand la monnaie et la production sont au plus bas, le corps devient le seul bien accessible et on assiste à une croissance des châtiments corporels ; avec le développement de l’économie marchande apparaissent la maison de correction, le travail obligé, la manufacture pénale ; le système industriel exigeant un marché libre de la main-d’œuvre, on substitue au travail obligatoire une détention à fin corrective. A travers tout cela, c’est finalement toujours du corps qu’il s’agit : de ses forces, de son utilité, de sa docilité. Le corps est plongé aussi dans un champ politique : les rapports de pouvoir ont prise sur lui, souvent en tant qu’il est force de travail. Lorsque Foucault parle des révoltes en prison, il en relève la matérialité, la révolte contre « toute cette technologie du pouvoir sur le corps, que la technologie de l’ « âme » – celle des éducateurs, des psychologues et des psychiatres – ne parvient ni à masquer ni à compenser, pour la bonne raison qu’elle n’en est qu’un des outils ». Chapitre II : L’éclat des supplices De l’ordonnance de 1670 à la Révolution, voici qu’elles étaient les peines prescrites : la mort, la question avec réserve de preuves, les galères à temps, le fouet, l’amende honorable, le bannissement ». Part considérable des peines physiques. Mais il y a aussi des peines légères : blâme, prison pour un temps, abstention d’un lieu et peines pécuniaires. En pratique, on ne dénombre que 10% de peines capitales tandis que le bannissement, par exemple, représente

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50% des peines. Mais il faut noter que très souvent une peine légère – même l’amende – est accompagnée du fouet. Une peine sérieuse comporte une dimension de supplice. Un supplice est une technique régie par un code précis : nombre de coups de fouet, emplacement du fer rouge, longueur de l’agonie, type de mutilation. En plus, le supplice trace sur le corps des signes, il ne réconcilie pas. Il est aussi un cérémonial, de là sans doute ces supplices qui se déroulent encore après la mort : cadavres brûlés, cendres jetées au vent, corps exposés. Toute la procédure criminelle est secrète, opaque au public mais aussi à l’accusé puisqu’il ne connaît pas les charges, les dépositions, les preuves, l’identité des dénonciateurs. La Justice a souveraine puissance : toutes les voix doivent se taire. Mais il n’empêche que cette Justice doit obéir à des règles précises. Les preuves sont dites vraies, directes ou légitimes, ou encore manifestes, considérables, imparfaites ou légères, etc, suivant qui les recueille et comment. Ces distinctions sont opératoires car tel type de preuve va entraîner tel type de peine (après s’être combinées entre elles : deux preuves demi-pleines font une pleine). Il y a là toute une mathématique complexe. Même si l’accusé n’est pas nécessaire dans la procédure, celle-ci va tendre vers l’aveu. Parce que cet aveu rend inutile toute la mathématique des preuves. Et il est l’acte par lequel l’accusé accepte l’accusation et en reconnaît le bien-fondé. Pour l’obtenir, la Justice a deux moyens : le serment (risque de parjure devant Dieu) et la torture (mais l’aveu devra être répété ensuite devant les juges de manière « spontanée »). La torture n’a rien à voir avec la torture déchaînée des interrogatoires modernes où seul compte l’objectif : arracher des informations. Il s’agit au contraire d’une pratique réglée : on en fixe la durée, les moyens, les instruments utilisés, la longueur des cordes, la pesanteur des poids, le nombre de coins, l’intervention du magistrat qui interroge. C’est un jeu judiciaire strict et se rapproche des ordalies, duels judiciaires, jugements de Dieu. C’est une sorte de joute entre le juge et le suspect. Si l’accusé « tient » et n’avoue pas, le magistrat est contraint d’abandonner les charges, y compris les éléments de preuve qu’il a déjà réunis. D’où l’habitude, pour les cas les plus graves, d’imposer la question « avec réserve de preuves » qui permettait au magistrat de tout de même faire valoir les autres preuves réunies, mais la victoire du suspect était alors de ne pas pouvoir être condamné à mort. D’où l’hésitation des magistrats et leurs réticences à faire subir la question dans ces cas graves. Mais la torture est aussi vue comme une peine par elle-même. Comment une peine peut-elle être employée comme moyen de chercher la vérité ? C’est que la production de la vérité ne fonctionnait pas comme un « tout ou rien ». Les différentes parties de la preuve impliquaient déjà des degrés d’abomination. Une demi-preuve ne laissait pas le suspect innocent mais demi-coupable d’où une demi-punition. On ne pouvait pas être innocemment l’objet d’une suspicion. Le début de punition pouvait donc servir à réunir le reste de la preuve. Au moment de l’exécution de la peine proprement dite, le corps est à nouveau la pièce essentielle de la cérémonie. 1. Le coupable doit être le héraut de sa propre condamnation. On lui accroche des écriteaux, on lui fait lire sa condamnation, on lui fait reconnaître son crime à la porte des églises, on l’expose au pilori. 2. L’aveu doit être renouvelé au moment du supplice et c’est parfois l’occasion d’entendre des aveux plus circonstanciés ou la dénonciation de complices. Le public attend cela. 3. On exécute parfois sur le lieu du crime, ou le supplice renvoie au crime lui-même (on perce la langue des blasphémateurs, on coupe le poing qui a tué…), on reproduit même le crime mais avec le coupable comme victime. 4. L’agonie elle-même, sa longueur, les cris, sont interprétés par le public. On y voit l’anticipation des peines de l’enfer, ou une sorte de pénitence. Si l’agonie est courte, on

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estime que Dieu abrège les souffrances. Si les souffrances sont vives, on se dit que Dieu a abandonné le coupable (ou que ses souffrances terrestres seront déduites des souffrances de l’enfer…). Le crime, outre sa victime immédiate, attaque personnellement le souverain puisque la loi vaut comme volonté du souverain. Le châtiment implique donc toujours une part de vengeance de ce souverain : réparation du tort qu’on a fait à son royaume (désordre instauré, exemple donné) et affront personnel à sa personne. Le supplice vise donc à reconstituer, par un rituel, la souveraineté un instant blessée. Il ne s’agit pas là de faire

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