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Ironie Voltairienne

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is » qui satirise l’exhortation apostolique de saint Paul, jusqu’aux très approfondis et didactiques « Dialogues d’Evhémère » ou encore les « Dialogues de l’A.B.C. ». Et ils ont, par ailleurs, une commune désinvolture envers l’esprit de sérieux, même quand ils sont sérieux, comme les deux derniers cités où une brusque saillie satirique contre Rousseau vient apporter une touche loufoque. Il est vrai que le recours au dialogue est un tropisme d’écriture chez Voltaire : les Lettres philosophiques de 1734 s’ouvrent sur le long dialogue du narrateur et du quaker. Mais il y a,

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autour de la période du Portatif une exploitation plus systématique de la forme du dialogue d’idée et du dialogue d’idée ironique en particulier. Je l’examinerai sous trois angles. Dans une première partie, j’essaie de cerner les causes de cette orientation du poète-philosophe vers une écriture rendue plus incisive par l’esthétique de brièveté du dialogue. Dans une seconde partie, je considère plus spécifiquement les dialogues du Dictionnaire Philosophique. Dans une troisième partie, je cherche à distinguer l’apport spécifique de l’ironie à l’efficacité de ces onze dialogues. Et tout d’abord, pourquoi Voltaire, au sommet de la République des Lettres, place-t-il soudain tant d’attention dans des genres mineurs qu’il agrémente d’une ironie littéraire polymorphe? L’esthétique du fragment ironique appartient plutôt aux écrits privés de l’auteur : les épîtres, les épigrammes, la correspondance. Pour les ouvrages composés jusqu’à 1750, il est surtout historien (historien politique, historien des mœurs, historien des idées) et par ailleurs, à ses yeux sans doute plus que tout, il est un poète dramatique. Avec la création de 27 tragédies au théâtre, il est le premier dramaturge de son siècle, ce que la postérité tend à méconnaître, et si Diderot se rêve en Socrate des Lumières, Voltaire se considère le Sophocle de son temps. Mais il y a chez cet historien-poète, érudit et critique, une accentuation marquée de son rôle d’intellectuel engagé, et cette charnière tourne autour des années 1760. C’est en effet dans ces décennies 1750 et 1760 qu’il livre le plus âprement ses combats politiques. Ce sont les années d’« écrasons l’Infâme », les années Calas, La Barre, Sirven. Sa critique des structures idéologiques de la France catholique devient soudain plus radicale : « Je suis las de tous les abus que je vois » écrit-il, à travers son personnage, dans Le Pôt-Pourri en 1764. Il y a, selon sa conviction, une mission philosophique principale dans le siècle–lutter contre la main-mise de l’Eglise sur l’Etat et les consciences-et cette mission ne souffre pas la modération du bon ton : « j’ai vu qu’il n’y avait rien à gagner à être modéré, et que c’est une duperie » dit-il à d’Alembert dans une lettre d’avril 1761. Enfin, ce polygraphe sait bien que la littérature peut se révéler une arme de combat redoutable : « Il faut attaquer le monstre de tous les côtés et avec toutes les armes » écrit-il à d’Argental en mai 1766, soit deux mois après la sentence barbare du tribunal d’Abbeville contre La Barre et d’Etallonde. Une part très importante de ce que Voltaire écrit durant le dernier quart de siècle de sa vie est clandestine. Cet anonymat supposé ne trompe pas grand monde, chez la police de Sartine comme chez les lettrés connaisseurs, tant la patte de Voltaire, son esprit, est reconnaissable dans la production continue de la petite fabrique de Fernay.

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A l’époque, les traités clandestins de l’athéisme ou les livres de second rayon du libertinage attirent par le caractère extrême de leur iconoclastie. Ce n’est pas le cas de Voltaire, qui ne se porte jamais aux extrêmes (je crois qu’on peut dire qu’il est sincèrement croyant et, malgré quelques réserves, sincèrement monarchiste). Ses écrits polémiques ne visent que des cibles précises de dérives institutionnelles : le pouvoir excessif des jésuites, les incohérences historiques et morales des Ecritures Saintes, le fanatisme de l’Inquisition, l’hypocrisie et le casuisme des théologiens, etc. Voltaire ne conduit pas une guerre de tranchées contre la religion, à l’instar des manuscrits clandestins des athées du siècle. Il mène un combat d’attrition en faveur de la laïcité, un combat fait des coups de main du franc-tireur et des charges héroïques de la cavalerie légère. Aussi trouve-t-il dans le dialogue d’idée ironique le vecteur scriptural le mieux adapté à son besoin d’incessante mobilité de critique intellectuelle. Le dialogue ironique a une souplesse formelle, une réceptivité à l’enjouement aussi bien qu’au sérieux discursif, une aptitude à représenter les différentes topiques de l’interlocution (par exemple, l’opposition contradictoire, la dramaturgie du convaincant et du convaincu, la ridiculisation de l’adversaire en idées, etc.). Ce procédé est l’arme parfaite pour une guérilla de l’esprit. Mais tout dialoguiste, y compris lui, se trouve confronté au défi d’avoir à combiner les techniques de la rhétorique de persuasion, les procédés de représentation du réel conversationnel et la nécessaire gravité d’un processus dialectique entre deux ou plusieurs locuteurs. Sa difficulté principale réside dans son caractère dual : il est à la fois la communication d’un message conceptuel et l’organisation de cette communication en spectacle, puisqu’il mime la conversation entre amis ou le débat entre antagonistes. Le chevalier de Mouhy, dans Le Mérite vengé, constate non sans humour que « Dans tous les genres, le nombre de ceux qui ont excellé est assez grand, dans celui-là seul il est infiniment petit ». Et Gustave Lanson a trouvé les mots justes pour caractériser chez Voltaire ces textes du vagabondage philosophique : « C’est un mélange unique de folie et de raison, de fantaisie effrénée et de vérité fine […] L’art cette fois, est libre, sans entraves de règles […] C’est leste, effronté souvent, jamais débraillé, toujours élégant […] L’art dans ces dialogues et facéties, est de filtrer, simplifier les questions, de les réduire à quelques faits lumineux, à quelques formules décisives . Toutes les difficultés, toutes les objections sont utilisées, ridiculisées ». Nous allons examiner maintenant plus précisément les dialogues du Portatif. Le Dictionnaire Philosophique est (avec le Traité sur la Tolérance) l’œuvre majeure de cette période de combat, comme Le siècle de Louis XIV et l’Essai sur les mœurs avaient été ceux de 3

la décennie précédente. Plus encore que dans ces autres grandes œuvres de composition, Voltaire mobilise dans le dans le Portatif toutes ses ressources littéraires pour faire entendre sa critique philosophique. : la critique historique, l’exégèse biblique, les citations intertextuelles, l’argumentaire philosophique, la fiction narrative et, naturellement chez cet homme de théâtre, l’écriture dialogique. Le Dictionnaire Philosophique contient donc onze dialogues purs, sous la forme théâtrale sans didascalies. Par ailleurs, un certain nombre de dialogues indirect ou rapportés sont enchâssés occasionnellement dans les essais pour permettre un raccourci pédagogique: par exemple l’article « Etats, Gouvernements, quel est le meilleur ? » contient un assez long dialogue rapporté entre un membre du conseil de Pondichéry et un brame où l’on apprend que la république convient à très peu de nations et surtout pas aux grandes. Les articles où le philosophe emploie exclusivement la forme traditionnelle du dialogue philosophique sont : « Catéchisme » (qui contient quatre dialogues différents), « Dieu », « Fraude » (qui a pour sous-titre : « s’il faut user de fraudes pieuses avec le peuple »), « De la Liberté », « Liberté de penser », « Nécessaire », « Papisme ». « De la Liberté » est le seul dialogue purement philosophique au sens de la métaphysique et porte sur le déterminisme de la volonté : est-on libre de vouloir ou toute volonté a-t-elle une cause ? c’est aussi le seul dialogue du Portatif où les deux locuteurs restent des abstractions discursives, qualifiées seulement en tant que locuteur A et locuteur B ; des abstractions, dont on ne connaît rien de leur humanité, jusqu’au moment où A pose cette question « Voulez-vous vous marier, oui ou non ? » Réponse de B : « Eh, bien, je veux me marier. A : Ah ! c’est répondre, cela. Pourquoi voulez-vous vous marier ? B : Parce que je suis amoureux d’une jeune fille belle, douce, bien élevée, assez riche, qui chante très bien, dont les parents sont de très honnêtes gens, et que je me flatte d’être aimé d’elle et fort bien venu de sa famille. A : Voilà une raison. Vous voyez que vous ne pouvez vouloir sans raison. » Je ne commenterai pas la vision du mariage chez un honnête homme du XVIIIe siècle, mais j’observe que ce point d’inflexion de la joute intellectuelle est assez familier à Voltaire : lorsque l’échange philosophique semble devoir planer inconclusivement dans les hauteurs éthérées, un brusque retour au bon sens calme le débat et suggère une philosophie pratique de la sagesse. Mais venons-en aux autres dialogues, qui tous ont trait à la question centrale du Portatif, à savoir la relation de l’esprit libre avec la foi religieuse. Le premier dans l’alphabet est 4

« Catéchisme » qui est traité en quatre parties : catéchisme chinois, catéchisme du curé, catéchisme du japonais, catéchisme du jardinier. Cet article est le plus intéressant

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