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A quoi sert la Philosophie?

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ilà qui me paraît introduire la question du « à quoi sert »… Lorsqu’il s’agit d’un objet technique, en gros, on sait tout de suite à quoi ça sert. Et, en effet, un ouvre-boîtes, cela sert à ouvrir les boîtes. Un tableau, comme disait Cézanne, cela peut servir aussi à caler les armoires, mais ce n’est pas en tant que tableau. Dans le cas du violon, à quoi sert la musique ? La question devient immédiatement plus compliquée. Mais même l’utilité épuise l’objet technique. Je me souviens de mon maître, Vladimir Jankélévitch, qui nous faisait assez régulièrement un cours sur l’ouvre-boîtes. Il aimait beaucoup l’ouvre-boîtes parce qu’il estimait que c’était le plus humble des instruments : oui, l’ouvre-boîtes ne sert qu’à ouvrir des boîtes, surtout quand il est bien tarabiscoté ! Mais 3 si l’on se demande à quoi sert la musique, à quoi sert l’art, à quoi sert la À quoi sert philosophie, on se heurte évidemment à un certain nombre de problèmes. la philosophie ? Ce soir, nous prendrons donc cette question, je l’espère, de front : « À quoi sert la philosophie ? » On notera, pour tous ceux qui ont un rapport avec des élèves, qu’il s’agit de la première question que l’on pose en classe de philosophie, à la première minute de la première heure du premier cours. On peut aussi constater que la philosophie est l’une des seules disciplines qui se pose la question de sa propre utilité. Je ne sais pas s’il y aurait eu autant de monde si on avait organisé un débat sur « à quoi sert la biologie », « à quoi sert la géologie » ou même « à quoi sert l’histoire ». On essaye de faire de l’histoire, on essaye de faire de la géographie ; la philosophie, elle, se pose la question de sa propre utilité. Troisième remarque : À quoi sert la question « à quoi sert ? ». Pourquoi posons-nous toujours la question « à quoi sert quelque chose ? » comme si c’était la seule question qui donnait effectivement de la valeur ? Évidemment, on peut répondre que cela ne sert à rien, que l’on peut vivre sans. Et je reprendrai – je vous promets qu’ensuite je ne le citerai plus – encore une phrase de Jankélévitch : « On peut vivre sans philosophie comme on peut vivre sans musique, mais pas si bien ! » Voilà, c’est juste le « pas si bien » sur lequel nous réfléchirons aujourd’hui. Je vous présente maintenant mes invités avec qui nous essaierons de parler de la manière dont ils envisagent cette question. Après avoir bavardé entre nous, nous bavarderons, je l’espère, avec vous.

© Éditions de la Bibliothèque publique d’information / Centre Pompidou, 2005 ISBN 2-84246-097-9

Donc, voici à partir de ma droite, et sans que cela ait de connotation politique, François Dagognet, Jean-Pierre Faye et Jacques Sojcher. Je commence par la gauche, sans que cela soit politique non plus : Jacques Sojcher est professeur de philosophie et d’esthétique à l’université libre de Bruxelles. C’est un auteur qui écrit dans des registres très différents : la philosophie, la poésie, le théâtre. Il se situe entre l’écriture « de fiction » et la philosophie. Dans un livre, Petits savoirs inutiles (éditions Le Grand miroir, mai 2004), il se présente d’une façon qui me plait beaucoup :

« J’ai rassemblé plusieurs textes parus dans une revue et quelques autres inédits. Le montage en a peut-être fait un livre ou des fragments de livre, le contraire assurément d’une œuvre. J’admire ces penseurs qui poursuivent avec rigueur et endurance une pensée philosophique majeure. Leur fidélité aux grands textes et la force de leurs lectures critiques en fait à la fois des constructeurs et des créateurs. Avec une autorité sans fondement, ils érigent une œuvre plus monumentale que leur modestie ne peut le faire paraître. Je pense à Heiddeger, à Lévinas, à Dérida et bien sûr aussi à Foucault, à Deleuze, à Lacan, un peu moins modeste, il est vrai. Quelle que soit leur différence, ce sont les maîtres du logos et de la pensée. Le professeur de philosophie et écrivain que je suis ne se veut ni un commentateur ni un inventeur de nouveaux concepts. Peut-être un passeur… de quels savoirs ? Une fiction de savoirs qui est celle du philosophe-artiste comme l’appelait mon ami, trop tôt disparu, JeanNoël Buarnet. Entre philosophie et littérature, dans une subjectivité 4 en perte de sujets dont Blanchot serait la figure presqu’anonyme, À quoi sert je fais malgré moi passer dans mes textes les sentiments du non la philosophie ? appartenance de quelque chose d’insignifiant, de mineur, de puéril. Je me suis toujours senti marginal dans tous les corps académiques, épousant et n’épousant pas ma maison selon l’injonction de René Char, ni vraiment professeur, sinon d’incertitudes, ni vraiment écrivain, sinon de petits livres sporadiques… Peut-être un passeur de mots. »

Voilà. Pour moi, qui ai lu depuis assez longtemps les œuvres de Jacques Sojcher, cela le présente assez bien et nous verrons si cela lui correspond lorsque, tout à l’heure, je lui donnerai la parole… Vous connaissez bien Jean-Pierre Faye, je crois. Son œuvre, assez considérable, flirte elle aussi, si je puis dire, tant avec la philosophie, les textes théoriques que les textes littéraires. Et si Jacques Sojcher est passeur de mots, je dirais, et il me contredira après, que Jean-Pierre Faye, lui, met les mots sur la sellette ou bien à la question. Il les torture même parfois. Il leur fait avouer quelque chose, ce qu’ils devraient dire. Et je vous conseille vivement la lecture de son dernier livre, La Philosophie désormais, où vous verrez ce que l’on peut faire en lisant le verbe « être » avec l’aide d’autres langues… Jean-Pierre Faye torture les mots en leur faisant dire effectivement ce qu’ils devraient dire si l’on y est attentif, mais aussi ce qu’ils tentent de ne pas dire. Chacun se souvient de ses œuvres qui ont, je crois, beaucoup marqué et qui analysent les langages totalitaires, qui tentent de déterminer

© Éditions de la Bibliothèque publique d’information / Centre Pompidou, 2006 ISBN 2-84246-097-9

ce que le langage lui-même charrie de totalitaire. Je ne citerai pas ici toute une liste d’ouvrages, des bibliographies complètes existent pour ceux qui souhaiteraient avoir des renseignements. Et puis, enfin, à ma droite, François Dagognet pour lequel j’ai beaucoup d’admiration, je l’avoue publiquement. C’est un auteur, un philosophe extrêmement prolixe sans que ceci ait rien de négatif. Il est aussi médecin. Il est dans une très grande proximité – il me corrigera – avec Georges Canguilhem, et son œuvre est aujourd’hui extrêmement importante, suscitant déjà de nombreux essais. Là encore, lire la bibliographie de François Dagognet nous prendrait près d’une heure et demie, mais les sujets qu’il traite sont d’une extrême originalité. Je me souviens avoir parlé dans Libération de l’étude qu’il avait faite sur le sale, les objets sales. Il a travaillé également sur la sculpture, sur la peau, sur le théâtre, à peu près sur tout ce qui peut échapper à ce que l’on pourrait appeler la saisie classique des philosophes. C’est un épistémologue évidemment, et il vient de publier un livre, Philosophie à l’usage des réfractaires, qui est une initiation aux concepts. Je dois d’ailleurs dire qu’en tant que professeur de philosophie, j’apprécie beaucoup François Dagognet et je n’oublie jamais qu’en France l’importance de la philosophie commence par la classe de philosophie, en classe de terminale. Or dans cet ouvrage, il a repris justement les notions du programme des classes de terminale en essayant de les traiter à son tour. Voilà, j’espère n’avoir pas dit trop de bêtises. Chacun d’entre vous maintenant va essayer de répondre à la question « À quoi sert la philosophie ? » et puis, ensuite, nous bavarderons entre nous. François Dagognet, je vous donne la parole tout de suite. 5

François Dagognet

À quoi sert la philosophie ? Il me semble que la question s’impose d’autant plus que parfois la philosophie déraille et perd ses missions et sa fonction, notamment lorsqu’elle s’enfonce dans une histoire de la philosophie érudite. Mais ce n’est pas forcément son destin. À quoi sert vraiment la philosophie ? Comme l’a dit M. Maggiori, c’est à la fin du lycée, au dernier moment, que la philosophie trouve sa place parce qu’elle va permettre à l’élève de réfléchir sur ce qui lui a été appris jusque-là. Dans les autres disciplines, on s’informe. En philosophie, il ne s’agit pas d’information, mais de réflexion sur ce que l’on a reçu, sur les méthodes, les limites. On ne s’intéressera pas, par exemple, à une science déterminée, aux résultats d’une science. On s’intéressera à la méthode par laquelle tel ou tel, dans le passé, a réussi à vaincre une difficulté. La méthodologie est au cœur de la philosophie et, en principe, cela doit rendre plus intelligent le jeune élève puisqu’au lieu de lui asséner des conséquences et, je répète le mot, des informations, on va lui demander de s’interroger sur elles. La méthodologie ne découvre rien… Mais elle permet de mieux comprendre ce que l’on a reçu. Et, d’autre part, la philosophie devient aujourd’hui plus nécessaire que jamais parce qu’elle s’intéresse à l’avenir de ce que les sciences ont préparé. C’est particulièrement vrai en biologie où le bouleversement est total. Le savant ne peut pas nous dire ce qu’il faut faire ou ce qu’il ne

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