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Chants D'Ombre

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oix entre Soukeïna, symbolisant la Négritude et Isabelle, le monde blanc, confesse dans « Que m’accompagnent koras et balafong » : « J’ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan, toute la race paysanne par le monde » (p. 30).

L’orientation devant la bipolarisation que le poète dessine dans Chants d’Ombre devient moins nette à quelques endroits des poèmes, car sa volonté de pardonner, après avoir récriminé contre la France, l’amène souvent à la réconciliation et à l’acceptation de l’Autre. Marcien Towa souligne dans sa thèse cette attitude particulière du poète en insistant sur un point :

« Outre l’amour chrétien des ennemis et le devoir de fraternité universelle, le poète, levant le voile sur un coin de sa vie privée, nous confie que son comportement politique suit aussi les péripéties de ses aventures passionnelles : "A cause aussi des mains de rosée, le soir, le long de mes joues brûlantes" » [14].

Loin du sarcasme de Towa, nous recommandons plutôt d’être saisi par l’intention première de Senghor d’illuminer son lecteur par la richesse des traditions africaines sans pour autant nier celles d’autrui. Ainsi, se tenant plus près de son Afrique, Senghor expose le culte des Ancêtres auquel il a été initié, l’harmonie familiale dans laquelle il a été bercé et le sens de l’honneur qui marque l’identité des anciens régimes africains. Ces éléments thématiques, fort utiles à la définition de la Négritude, abondent dans le premier recueil de Senghor et mériteraient qu’on en fasse la glose.

« In Memoriam », le poème d’ouverture de Chants d’Ombre, annonce la Toussaint, fête catholique en l’honneur de tous les saints, sans que Senghor s’attarde dans son élégie à les louer :

« C’était hier la Toussaint, l’anniversaire solennel du Soleil

Et nul souvenir dans aucun cimetière » (p. 7).

Sa préoccupation personnelle demeure l’état de confinement dans lequel il se trouve. Faisant état de distinction entre lui-même et « [ses] semblables au visage de pierre », notamment les Blancs, Senghor choisit de s’enfermer dans une tour de verre pour se sauvegarder de toute conversion idéologique. Son isolement, aussi délibéré qu’il semble, renforce le sentiment de solitude qui le brûle. Le prolongement de cette séparation physique et spirituelle avec son peuple finit par étouffer le poète qui se tourne vers la méditation pour retrouver son cadre familier. Dans cette activité du rêve, le poète décrit une lente progression de son regard qui vise à ramener des images nettes dans sa conscience. Dans un premier temps, il ne parvient guère à discerner ces images sous le voile de la brume. Leurs projections sur les collines donnant finalement forme, le poète les assimile aux conducteurs de sa race, notamment ses Ancêtres :

« O Morts, qui avez toujours refusé de mourir, qui avez su résister à la Mort

Jusqu’en Sine jusqu’en Seine, et dans mes veines fragiles, mon sang irréductible

Protégez mes rêves comme vous avez fait vos fils, les migrateurs aux jambes minces.

O Morts ! défendez les toits de Paris dans la brume dominicale

Les toits qui protègent mes morts » (p. 7-8). L’association du poète à ses Ancêtres et l’évocation de leur dynamisme dans l’univers sont les premiers signes manifestes de l’identification du poète à la Négritude. L’acceptation de la pensée négro-africaine qui fait que les Morts veillent à la protection de l’individu est un signe de conservation de la race. Mais on voit qu’en contraste avec sa foi catholique, qui n’est nullement remise en question ici, Senghor a choisi de célébrer ses Morts en conformité avec l’animisme, apport de l’homme noir, en vue de pouvoir faire face à ses « frères aux yeux bleus ». Il est certain que Senghor prône une conciliation avec le monde blanc à la fin de son poème ; cependant, il limite son engagement dans cette conciliation en choisissant de ne garder que les valeurs qui sont propres à sa tradition.

Senghor concède aux Esprits une place prépondérante dans son univers. Par rapport aux éléments de la nature, le poète met l’accent sur la vie perpétuelle des Morts dans le Cosmos, et sur les honneurs que leur doivent les vivants. Car les Ancêtres veillent à la protection et à la sauvegarde des Hommes, d’où le rappel fréquent du poète de quelques pratiques du culte des Ancêtres. Senghor attache beaucoup d’importance à ces pratiques parce qu’elles permettent de dépasser la réalité apparente pour entrer en communion avec l’univers qu’on appréhende mieux ainsi. C’est seulement par ce processus d’intégration que le poète parviendra à renforcer sa force vitale. Senghor a défini la force vitale comme la loi de l’existence de l’homme :

« Pour exister, dit-il, l’homme doit réaliser son essence individuelle par l’accroissement de l’expression de sa force vitale... Dans la mesure où l’homme est force vitale, les ancêtres, s’ils ne veulent pas être inexistants, « parfaitement morts » - c’est une expression bantoue -, doivent se consacrer au renforcement de la vie, de l’existant actif » [15].

C’est donc à la recherche de cette force vitale que Senghor se consacre dans les Chants d’Ombre pour mieux affirmer son être. C’est ainsi qu’on lit ce vœu dans « Nuit de Sine » :

« Que je respire l’odeur de nos Morts, que je recueille et redise leur voix vivante, que j’apprenne à

Vivre avant de descendre, au-delà du plongeur, dans les hautes profondeurs du sommeil » (p. 13).

L’aspiration à la vie chez le poète est marquée par une conscience spirituelle, un dialogue entre l’individu et les Ancêtres du clan.

La place qu’occupe la religion dans Chants d’Ombre, et généralement dans les poèmes de Senghor, est surtout liée à l’attitude du Négro-africain devant son prochain, fût-il son ennemi. La position de Senghor à cet égard consiste à résoudre le conflit de propagande insidieuse et tous les procédés vexatoires qui l’opposent au monde blanc par un dépassement psychologique qui se traduit par une récupération et une transfiguration de son être. Par ailleurs, Senghor prêche l’absolution des offenses perpétrées par l’Europe contre le monde noir. Le poème « Neige sur Paris » dépeint en partie le tableau des peines que l’Occident a infligées à l’Afrique depuis la période de l’esclavage jusqu’à la colonisation. L’affreux spectacle est la représentation d’un continent abattu et soumis aux cruautés de l’envahisseur [16]. Et l’extorsion des biens du continent a tôt fait de mener l’Afrique vers le désastre. Et pourtant, en dépit de toutes ces tribulations, la résolution du poète demeure la volonté pacifique :

« Seigneur je ne sortirai pas ma réserve de haine, je le sais, pour les diplomates

qui montrent leurs canines longues

Et qui troqueront la chair noire » (p. 20).

Curieuse attitude que cette volonté de pardon qui ne saurait tenir sa source de cette confession : « A cause aussi des mains de rosée, le soir, le long de mes joues brûlantes ». Nous avons déjà vu dans « In Memoriam » que Senghor concluait son poème par un vœu de réconciliation avec ses antagonistes malgré les traits d’opposition qui le distinguaient du monde blanc. Cette volonté pacifique est due à l’émotivité de l’homme noir découlant de sa méthode de connaissance des objets. Le Négro-africain, d’après le poète, adopte une attitude spécifique par rapport à l’objet qu’il étudie. En effet, il s’attarde peu aux caractéristiques extérieures de l’objet, minimisant par là toute tentative de rationalisation qui appelle à prendre une distance par rapport à l’objet. Au contraire, il pénètre le fond de l’objet pour apprécier sa sous-réalité. Senghor précise à cette occasion que le Négro-africain :

« Ne voit pas l’objet, il le sent... Sujet et objet sont, ici, dialectiquement confrontés dans l’acte même de la connaissance, qui est acte d’amour... Le Négro-africain pourrait dire : « Je sens l’Autre, je danse l’Autre, donc je suis ». Or danser, c’est créer, surtout si la danse est d’amour. C’est, en tout cas, le meilleur mode de connaissance (Liberté 1 : 259) ».

A la lumière de cette citation, on imaginerait peu que le poète soit porté à la haine d’autrui quand le modèle épistémologique qu’il campe ici a pour finalité l’amour de l’Autre. C’est dire qu’après avoir longuement formulé l’opposition entre le monde africain et le monde occidental, Senghor a fini par dépasser la dialectique des contradictions en prônant la paix et l’amour de l’Autre.

Marcien Towa a saisi dans sa thèse la persistance du poète à réconcilier les antagonismes. Pour lui, la théorie senghorienne conclut à l’absence d’oppositions des contraires, dans la mesure où tout semble entrer dans la symbiose pour ne plus se distinguer. On constate dans la glose de Towa une certaine banalisation de la formule de Senghor quand il avance cette remarque :

« N’ayant aucune notion déterminée d’aucun être, ne distinguant rien de rien avec précision, le concept d’opposition, de

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