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Le Villageois Et Le Serpent

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uffisent à conter son histoire et quatre vers pour la morale. Ces vingt quatre premiers vers sont répartis en quatre scènes qui s'équilibrent entre cinq à sept vers chacune : une phrase de sept vers pour présenter la situation initiale, une phrase de cinq vers pour dire l'action d'un des personnages, une phrase de cinq vers aussi pour signifier la réaction de l'autre personnage qui amène une nouvelle perturbation, enfin la conclusion de l'histoire en deux phrases et sept vers. C'est donc à la fois simple, condensé et très équilibré.

De plus l'auteur semble ne nous présenter que les informations nécessaires, sans s'encombrer de détails superflus. Le décor est évoqué en quelques noms dépourvus d'adjectifs : « à l'entour de son héritage», « en sa demeure », « le long du foyer » ; cela suffit à passer du dehors au dedans, du froid au chaud. Les renseignements sur l'époque sont réduits au strict minimum : « un jour d'hiver ». Examinons ensuite la présentation des deux personnages : rien ne nous est dit sur le serpent car tout un chacun connaît son comportement et le danger qu'il représente (son venin peut infliger la mort); quant au « manant» (ce terme, repris par « villageois» suffit à le situer socialement). Un « manant » (du latin « maneo », rester, demeurer) est un habitant de la ville (bourgeois ou artisan), du bourg : il s'agit ici d'un roturier, d'un hobereau, d'un gentilhomme. Il dispose d'une propriété, héritée de ses aieux, ce qui signifie une relative aisance. Il nous suffit de savoir ici qu'il vit à la campagne et cela justifie qu'il puisse trouver un serpent et l'emmener chez lui. Voyons enfin le déroulement de l'action. Elle suit le schéma narratif traditionnel : situation initiale (un paysan recueille un serpent qui allait mourir de froid), perturbation (le serpent cherche à mordre le paysan), recherche de solution (le paysan prend sa cognée et frappe), succès (le serpent meurt), la situation finale reste sous entendue.

La Fontaine fait l'économie de digressions inutiles. En fait l'impression de vérité du récit naît de sa sobriété même, de sa simplicité. Cette efficacité est renforcée par un choix de vocabulaire précis et concret qui fait bien surgir l'essentiel du tableau : ainsi les mots « manant », « foyer » et « cognée », « loyer » et « salaire », « repli » et « saut », « tronçon », « queue » et « tête » créent des images précises et directes dans l'esprit du lecteur.

La vivacité du récit)

La vivacité, le dynamisme du récit résultent de plusieurs moyens ingénieux. Tout d'abord l'alternance d'octosyllabes et d'alexandrins permet de varier le rythme en réservant notamment les alexandrins pour la phase cruciale de l'histoire quand le serpent cherche à mordre (vers 13 à 20). Mais ces vers longs sont allégés par les coupes qui mettent en relief les éléments importants : ainsi le mot « Ingrat » (vers 18) se détache bien au commencement du vers, isolé par la coupe après deux syllabes et prend d'autant plus de valeur qu'il porte tout le thème de la fable qui est l'ingratitude. De plus le fait même que le manant réagisse en prononçant ce mot fait comprendre qu'il n'est pas mordu par le serpent et fait tomber le suspens que les vers 15, 16 et 17 entretenaient en montrant l'action du serpent sans que l'on sache si le paysan pourrait y parer... La coupe est aussi très expressive et forte pour isoler « Tu mourras » au vers 19, donc juste après; ces deux vers coupés de manière significative et inhabituelle créent de l'animation dans une série de huit alexandrins qui aurait pu paraître lourde. La vivacité tient aussi à l'abondance de verbes d'action (« lève », « siffle », « prend », « tranche », < fait », « cherche »...), souvent juxtaposés d'ailleurs pour accélérer le rythme (« le prend, l'emporte»; .« le réchauffe, le ressuscite»...). Si l'on remarque que l'emploi du présent donne à la narration une impression de « reportage », en intégrant le lecteur au récit, on comprend aussi d' où viennent cette vivacité et cette efficacité du texte. Les deux seuls passés simples qui encadrent le tableau (au vers 5 et au vers 24) viennent comme deux bornes grâce auxquelles on prend un peu de recul et qui permettent de resituer le récit dans le passé. Notons aussi que la syntaxe est simple : les phrases sont essentiellement faites d'indépendantes, souvent juxtaposées de surcroît («Il vous prend

sa cognée » / « il vous tranche la bête » / « II fait trois serpents de deux coups »). Enfin les deux interpellations qui ont recours aux compléments dits « d'intérêt » (« il vous prend », « il vous tranche la bête») permettent certes d'obtenir des alexandrins en ajoutant deux syllabes, mais ont aussi pour fonction d'inviter le lecteur à prendre part à l'action.

LE PLAISIR DU CONTEUR ET LA MORALE DE LA FABLE)

Non seulement le fabuliste se préoccupe de bien mener son récit, mais il y prend un plaisir évident.

Des mots superflus mais savoureux et une façon de jouer avec le récit)

Si nous avons parlé des informations essentielles du récit, nous nous apercevons pourtant qu'elles y côtoient le superflu. En effet comment expliquer que La Fontaine ait besoin de quatre adjectifs de sens assez proche pour décrire le serpent ? « Gelé» fait double emploi avec « transi », de même «perclus » et « immobile rendu » : il n'a pas vraiment besoin de chacun des mots mais il les savoure, jouant sur leur nombre de syllabes, leur sonorité (le son fermé du « u » qu'on retrouve dans « perclus » et « rendu »). L'adjectif « perclus » veut dire ici impotent, tétanisé, ankylosé, paralysé, c'est-à-dire privé de la faculté de se mouvoir (inerte). De même La Fontaine fait de la surenchère, de l'inflation verbale en juxtaposant « bienfaiteur », « sauveur » et « père » dont le sens va croissant alors que le nombre de syllabes est décroissant. Autre signe du plaisir que prend La Fontaine à parfaire son récit : nous avions relevé l'abondance des verbes d'action, or il vient s'y glisser des noms communs ou substantifs comme « repli » et «saut » alors que les verbes (« faire » les deux fois) sont pauvres. Ici encore il s'amuse car il allonge sa phrase, tenant le lecteur en haleine. Plutôt que de dire « il se replie », « il saute », l'auteur utilise des substantifs qui conviennent mieux à l'attente, au danger qui se forme et ainsi , il retarde l'information.

LA Fontaine s'amuse encore avec la précision des chiffres : « trois, deux, un » (vers 21 22) qui sont presque trop parfaits d'autant plus que le rythme du vers est lui aussi d'un équilibre parfait : 3 / 2 /3 pour le vers 22. Clin d'oeil de l'auteur aussi quand il emploie la noble expression « juste courroux » pour la faire suivre d'un geste banal à la campagne (un coup de cognée). C'est en cela aussi que sa façon d'impliquer le lecteur par le « vous » d'intérêt est teintée d'humour comme si le paysan nous sauvait du même coup !

Nous constatons que La Fontaine ne se contente pas d'un récit efficace il le polit, il le peaufine, poussant le raffinement jusqu'à établir une symétrie jusque dans la répartition des vers de chaque épisode (7 / 5 / 5 / 7).

(B . Le sens de cette fable, la leçon morale)

La Fontaine se réfère à Esope, fabuliste grec du VIIème siècle avant notre ère (à supposer que ce dernier ait jamais existé... peu importe), et ce, dès le premier mot de sa fable.

Dans sa fable intitulée « Le voyageur et la vipère », Esope raconte qu'en plein hiver, un voyageur trouve sur son chemin une vipère qui meurt de froid. Une fois réchauffé, le reptile mord le voyageur à l'estomac. Ce dernier s'écrie, juste avant de mourir : « bien fait pour moi ! quelle idée de sauver cette vermine, qui même en pleine forme ne mériterait que la mort ! ». On mesure ici toute la distance entre le fabuliste grec et La Fontaine.

Pour Esope, comme pour tous les Anciens, l'essentiel était dans la morale, l'histoire n'étant qu'un support. La leçon d'Esope consiste à démontrer que « la perversité, non seulement ne rend pas bienfait pour bienfait, mais se dresse même contre ses bienfaiteurs ».

Faut il donc penser qu'il en va de même pour La Fontaine ?

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