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Nietzsche, Commentaire De Texte, Aurore

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mme dans un sous-sol, un souterrain. Cette position de Nietzsche dans Aurore est nouvelle par rapport aux propos qu’il a tenus précédemment, par exemple dans Humain trop humain. À cette époque, Nietzsche fait plutôt de la chimie des sentiments moraux que des évaluations et interprétations. C’est l’analyse des affects. La chimie est comme une science naturelle, elle s’intéresse aux causes et aux effets. La morale est un résultat, la conséquence d’une histoire. La morale a une histoire, elle se fonde sur la tradition, les mœurs, les habitudes d’obéissance. Les traditions morales, selon Nietzsche, valent plus par leur ancienneté que par leur valeur intrinsèque. On respecte les mœurs établies. C’est un réflexe conservateur et traditionnel de la pensée. Ce qui est moral, c’est ce qui se fait. La plupart des philosophes, estime Nietzsche, n’ont fait qu’emboîter le pas. Les fondateurs de la morale sont en fait des personnes qui entérinent la ou les morales dominantes. C’est ce qu’il montre dans son ouvrage Humain trop humain.

À titre d’exemple, voici un extrait du §96 intitulé «Morale et Moral » :

« Avoir de la morale, des mœurs, une éthique, cela signifie obéir à une loi ou à une tradition fondées en ancienneté [...] On appelle « bon » celui qui, comme tout naturellement, à la suite d’une longue hérédité, donc aisément et volontiers, agit en conformité avec la morale telle qu’elle est à ce moment. [...] il est dit bon parce qu’il est bon « à quelque chose » [...] On a toujours trouvé la bienveillance, la pitié, et autres sentiments semblables « bons à quelque chose », utiles, c’est surtout le bienveillant, le secourable, que l’on appelle maintenant « bon », être méchant c’est [...] s’opposer à la tradition, quelque raisonnable ou absurde qu’elle puisse être ; mais dans toutes les lois des diverses époques, c’est surtout nuire à son prochain que l’on a ressenti comme nuisible, si bien qu’actuellement le mot « méchant » nous fait avant tout penser à un dommage volontairement infligé au prochain.

Elle n’est pas entre « égoïste » et « altruiste » l’opposition fondamentale qui a conduit les hommes à distinguer le moral de l’immoral, le bien du mal, elle est entre l’attachement à une loi, à une tradition et l’acte de s’en détacher. La manière dont la tradition a pris naissance est ici chose indifférente ; elle l’a fait en tout cas sans référence au bien et au mal ou à quelque impératif catégorique immanent, en visant avant tout à la conservation d’une communauté,

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d’un peuple [...] (s’affranchir de la tradition est plus nuisible) encore à la communauté qu’a l’individu [...]

Toute tradition se fait d’autant plus vénérable dans sa continuité que l’origine en est plus reculée, plus oubliée ; les trésors de respect qu’on lui voue s’accumulent de génération en génération, la tradition finit par être sacrée [...] la morale de la pitié est une morale beaucoup plus ancienne que celle qui exige des actions désintéressées. »2

Dans Aurore, Nietzsche essaie de montrer que dans la morale, il s’agit plus d’expressions cryptées, d’affects, de pulsions, d’intérêts que de mœurs, de traditions, de pratiques établies. Nietzsche est en train de rechercher comment on peut désigner sa recherche généalogique s’appuyant sur la psychologie, pour fouiller les profondeurs.

Aurore est le livre où Nietzsche esquisse pour la première fois la théorie selon laquelle ce sont les instincts qui constituent l’être, la nature d’un individu.

Dans le § 109, Nietzsche parle de la maîtrise de soi, de la modération des instincts. Il présente six méthodes pour combattre la violence d’un instinct et conclut :

«Donc: éviter les occasions, implanter la règle dans la pulsion, provoquer la satiété et le dégoût de la pulsion, établir une association avec une idée torturante (comme celle de la honte, des conséquences affreuses ou de l’orgueil offensé), ensuite la dislocation des forces et finalement l’affaiblissement et l’épuisement général, – telles sont les six méthodes : mais vouloir combattre la violence d’une pulsion, cela n’est pas en notre puissance, pas plus que la méthode qui nous échoit, pas plus que le succès que nous remportons ou non avec elle. Visiblement, dans tout ce processus, notre intellect est bien plutôt l’instrument aveugle d’une autre pulsion, rivale de celle dont la violence nous tourmente [...] Tandis que «nous» croyons nous plaindre de la violence d’une pulsion, c’est au fond une pulsion qui se plaint d’une autre ; ce qui veut dire que la perception de la souffrance causée par une telle violence présuppose qu’il existe une autre pulsion aussi violente ou plus violente encore et qu’il va s’engager un combat dans lequel notre intellect doit prendre parti. »3

Pour approfondir cette théorie, nous examinerons plus particulièrement le § 119 d’Aurore qui s’intitule « Expérimenter et imaginer » ainsi que les trois premiers paragraphe de sa Préface.

2 Œuvres complètes, Vol. I, T. III, trad. Robert Rovini, éd. Gallimard, Paris 1988, § 96, pp. 91-92. Les expressions en caractères gras sont soulignées par nous. Les mots et expressions en italique sont de Nietzsche.

3 Aurore, trad. J. Hervier modifiée, pp. 87-88

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ÉTUDES DES TEXTES

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AURORE § 119

« EXPÉRIMENTER ET IMAGINER »

Dans ces aphorismes (ou paragraphes), les mots qu’emploie Nietzsche ont plusieurs sens que la traduction française ne rend pas. Ainsi, le verbe allemand erleben, traduit par “expérimenter” signifie « vivre quelque chose, le ressentir en termes d’expérience intérieure ». Quant au terme “imaginer”, en allemand, il veut dire aussi « créer » dans le domaine littéraire. Ici, il signifie avoir des représentations qui ne sont pas d’ordre rationnel mais aussi des affectif. Cela indique qu’il n’y a pas que des représentations conscientes et rationnelles.

Nous allons découper ce texte afin d’en mieux saisir la quintessence.

1ER MOMENT :

LA CONNAISSANCE DE SOI EST INCOMPLÈTE

« Aussi loin que quelqu’un puisse pousser la connaissance de soi, rien pourtant ne peut être plus incomplet que son image de l’ensemble des instincts qui constituent son être. »4

Ce début évoque la Préface de la Généalogie de la morale :

« Nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, nous les hommes de la connaissance, et nous sommes nous-mêmes inconnus à nous-mêmes. À cela il y a une bonne raison : nous ne nous sommes jamais cherchés, – pourquoi faudrait-il qu’un jour nous nous trouvions ? »5

Ici apparaît l’ampleur de la méconnaissance telle que symbolisée par Œdipe. La tragédie d’Œdipe Roi réside dans le fait qu’Œdipe ignore qui il est. C’est la méconnaissance de soi, c’est le défaut de maîtrise, c’est le malentendu. Œdipe est le découvreur, le déchiffreur d’énigmes devant la sphinx (sphinx est féminin en allemand), mais il ignore qui est l’auteur du

4 Aurore, trad. Inédite d’Eric Blondel, & 119.

5 Généalogie de la morale, trad. Éric Blondel, éd. GF-Flammarion, 1996, Avant-propos, p. 25

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crime dont la conséquence a été l’épidémie de peste dans Thèbes. Œdipe ignore que le criminel, c’est lui-même.

Nietzsche pose comme principe : il y a en nous-mêmes quelque chose que nous ne connaissons pas. Il n’utilise pas le terme d’inconscient qui n’est pas courant à son époque. Cela viendra avec Freud, un peu plus tard, pour lequel l’inconscient est un moyen d’accès interprétatif, par le biais du rêve qui en ouvre la porte.

Nietzsche trouve quelque chose qui ressemble à l’interprétation du rêve, à partir de certaines données non représentées, non conscientes, non rationnelles, fabuleuses. Donc, le terme du titre de ce paragraphe « imaginer » peut se traduire aussi par « fabuler », raconter des histoires sur soi-même. Ces histoires sont des interprétations libres et même arbitraires. À partir d’un élément connaissable, par exemple un souvenir, selon un thème du rêve nous construisons une histoire. Cette histoire est une invention, une interprétation, une fabulation.

2E MOMENT :

ON NE SAIT PAS NOMMER CE QUI SE PASSE EN NOUS

« À peine s’il peut nommer les plus grossiers (instincts) par leur nom : leur nombre et leur force, leur flux et leur reflux, leurs actions et leurs réactions mutuelles et surtout les lois de leur nutrition lui demeurent complètement inconnues. »6

Nous ne savons pas nommer ce qui se passe en nous. Nietzsche vient de le souligner dans le § 116. Le monde inconnu du “sujet”.

« Ce que les hommes ont tant de

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