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Peut-On Désirer Sans Souffrir ?

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qu'il lui arrive de plus en plus souvent de penser que le désir n'a rien à voir avec la satisfaction. Il affirme que le désir quand il s'affirme dans toute sa puissance se convertit en vie créatrice. Il donne même à penser que cet accomplissement du désir nous conduirait au-delà du désir puisque les objets qui ont été l'occasion de l'éveil du désir deviennent inessentiels. Et Rilke affirme que le mouvement de la vie créatrice s'éprouve dans la joie. Quoi de plus éloigné de la souffrance que la joie ?

Comment trancher entre ces deux thèses ? Nous montrerons, dans un premier moment que le désir conçu comme manque d'un objet dont la possession nous comblerait pour former avec lui, comme le note Rainer Maria Rilke, une « unité indépendante » masque son véritable enjeu engage la question shakespearienne : « être ou ne pas être, telle est la question ? »

Dans un second moment nous montrerons que l'affirmation de Rilke se comprend si nous posons que le véritable enjeu du désir est l'être, que si nous sommes des êtres de désir c'est parce que nous sommes les répondants de l'être. Le désir répondrait à un appel de l'être en tant qu'il nous fait originairement défaut.

Dans un troisième et dernier moment nous essaierons d'éclairer pourquoi le désir est communément identifié au manque et donc à la souffrance.

Il est classique d'identifier le sens du désir à celui du manque et donc à celui de la souffrance. Le mythe de l'androgyne primitif met en récit une telle thèse. Dans une lettre le poète Rainer Maria Rilke, sans le nommer explicitement, reprend la substance de ce mythe. Le désir rechercherait la satisfaction et cette satisfaction serait comme une seconde moitié qui permettrait de constituer une réalité indépendante. Hors la satisfaction le sujet désirant est dépendant de l'objet de son désir ; la satisfaction venant il forme une totalité sans faille qui se suffit à elle-même. Le mythe posant cette réalité indépendante à l'origine, sous la figure de l'androgyne primitif, donne à penser que l'être véritable est donné à l'origine. Le désir est donc compris comme la condition de l'homme qui s'est séparé de l’Être. La satisfaction serait alors comprise comme le bonheur des retrouvailles avec l’Être véritable.

Cependant, force est de constater que l'objet susceptible de nous satisfaire pleinement relève plus du fantasme que de la réalité. C'est nous, semble-t-il, qui imaginons que l'objet de notre désir pourrait nous satisfaire. Nous lui prêtons des qualités, des vertus, qu'il n'a pas. L'objet du désir serait alors une sorte de fétiche. Il faudrait donc distinguer ce que nous projetons imaginairement sur l'objet et l'objet lui-même. Du coup nous comprendrions ce fait banal qui veut que la satisfaction du désir provoquée par un objet déterminé, par un objet marchand par exemple, ne dure pas. Cette renaissance de l'insatisfaction, de la souffrance, signerait l'écart entre la représentation que nous nous formions de l'objet et ce qu'il se qu'il s'est révélé être une fois que nous pouvions en jouir. Cependant cela n'est pas exactement vrai de certaines réalités qui éveillent notre désir. Ainsi si nous aimons telle musique, telle interprétation de telle œuvre cette déception et la souffrance qu'elle est peuvent ne jamais survenir. Non seulement je ne connais pas de déception mais plus je l'écoute, plus elle suscite mon émerveillement et ma joie ? Et cette joie d'exister que j'éprouve dans ce rapport à l’œuvre ne peut pas être pensé comme satisfaction. Ce que j'éprouve n'est pas la jouissance de former une totalité sans faille qui se suffit à elle-même, ce n'est pas le contentement que j'éprouve dans l'égalité à soi de l'ataraxie, ce que j'éprouve est tel que je ne peux pas garder ça pour moi, j'éprouve une plénitude qui s'excède elle-même en désir de la faire partager, en pensées, affects nouveaux qui me viennent et renouvellent mon être-au-monde. Non seulement je ne retrouve pas une unité perdue mais j'entre dans un monde que j'éprouve de tout mon être et que je n'aurais pu seulement imaginer comme possible. Reste à penser ce qui de l'objet suscite cette flambée de l'imaginaire et ce qui de l’œuvre donne cette joie.

C'est un fait que la beauté éveille le désir. Mais précisément la beauté n'est pas une réalité objective au sens où nous pourrions en former le concept et la reconnaître à partir de la connaissance de ce concept. La beauté, dit Kant, n'est pas la représentation d'une belle chose mais la belle représentation d'une chose ». La beauté se conjugue au singulier et, comme l'affirme Aristote, il n'y a pas de science, et donc de connaissance, du singulier. La beauté m'arrive comme ce que je ne sais pas mais m'affecte au plus intime. Qu'est-ce qui m'arrive ainsi ? Cela n'aurait-il pas quelque rapport avec cette question de l’Être ? Si l'être humain naît sans qualités, si les qualités qui lui font défaut n'apparaissent que dans un processus créateur cette hypothèse mérite examen. Mais il faut reconnaître que la rencontre des créations sont une épreuve qui met à mal les pré-ventions du sujet, ses pré-jugés, ses pré-tentions, ses idées toutes faîtes, ses savoirs. Cette épreuve douloureuse est alors à imputer à la fermeture sur soi de l'ego et certainement pas au désir.

Rilke nous invite à prendre cette hypothèse au sérieux ne serait-ce qu'en posant la question de savoir s'il existe bien un rapport entre désir et satisfaction. Ce lien existerait, dit Rilke, aussi longtemps qu'il est faible, aussi longtemps, verrons-nous, qu'il n'est pas véritablement désir. Le manque et la souffrance ne constitueraient donc pas l'essence du désir. Si nous vivons le désir comme souffrance se serait par manque d'intelligence du véritable enjeu du désir.

En effet nous pouvons soutenir que le désir engage la question de l'être comme le laissait déjà entendre la fin de notre première partie. Si l'être n'est pas donné à l'origine, contrairement à ce que pose la tradition métaphysique, ce qui se joue nécessairement et essentiellement à travers l'existence humaine c'est la quête de l'être. L'homme serait le répondant de l'être qui ne pré-existe pas à cette responsabilité. Ainsi, comme le pose Heidegger, l'existant est cet étant pour lequel il y va de l'être en son être même. Autrement dit tous nos objets de désir viendraient en lieu et place de l'être qui serait le véritable « objet » de notre désir. Sauf que, l’Être n'est pas donné à l'origine, il doit venir à la présence. Et ce sont les créations humaines qui répondent de son absence qui constituent cette venue à la présence de l'être sur un mode toujours singulier. Et nous comprenons alors pourquoi Rilke parle alors de « trop grands désirs » qui deviennent des totalités qui s'excèdent elles-mêmes en tant que mouvements créateurs. Pourquoi trop grands désirs ? Parce que si ce qui éveille originairement le désir c'est l'absence pure de l’Être, qui n'est l'absence d'aucun étant aussi suprême soit-il, le désir endure l'incommensurable, endure l'inouï de l'avènement de la venue à la présence, dont la raison ne peut rendre compte puisque cet avènement se produit à partir d'une absence pure. Mais si l'enjeu du désir est tel, la souffrance que peut connaître un sujet qui ne peut répondre de l’Être est bien plus intense que celle de l'insatisfaction ; cette souffrance est celle qu'endure un sujet qui ne se sent pas exister voire qui se sent coupable d'exister. C'est la possibilité de soutenir la condition humaine qui est en cause.

L'expression « trop grands » dit l'excès de l’Être sur tout étant. Et si le désir est essentiellement quête de l’Être comme faisant originairement défaut cette quête s'accomplit comme création, comme venue singulière à la présence de l’Être. Cela veut dire que si le désir ne peut avoir à faire avec l’Être comme tel, puisqu'il fait originairement défaut, alors il ne peut avoir à faire qu'à ses traces, ses œuvres, laissées par celles et ceux qui ont répondu, de manière créatrice, de l'absence pure qui marque originairement la condition humaine.

Le véritable enjeu du désir est donc

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