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La Bruyère, Les Caractères, Livre VIII, "De la Cour », 32

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Par   •  13 Avril 2023  •  Cours  •  1 771 Mots (8 Pages)  •  3 647 Vues

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La Bruyère, Les Caractères, Livre VIII, "De la Cour », 32

De "Vient-on de placer quelqu'un" à " la fureur d'en dire du bien".

Présentation du passage

Cette remarque s'inscrit dans le livre VIII des Caractères, "De la Cour". La satire anti-aulique constitue presque un genre à part entière depuis le XVIe siècle. Le courtisan est l'une des cibles favorites de La Bruyère, qui a lui-même fréquenté la cour de Louis XIV.

Dans ce texte, La B. décrit la brutalité de l'engouement ou de la désaffection des courtisans en fonction de la "faveur" dont jouissent les individus distingués par le pouvoir -comme les ministres du Roi par exemple. Il dépeint ce phénomène de louange générale, qui peut être brutalement suivie par un blâme universel, comme un "prodige" au sens latin: une catastrophe naturelle, un déluge, un déferlement de "fureur" (au sens de "folie furieuse") partagé par les courtisans.

Composition de l'extrait

L'extrait se divise en deux parties principales introduites par une tournure similaire: une supposition éventuelle, sous la forme d'un verbe au présent avec inversion du sujet: "Vient-on de placer...", "Commence-t-il à chanceler...". La B. juxtapose deux images: celle de l'engouement des courtisans, dans une première partie, celle de la brutale disgrâce qui peut suivre, dans la seconde partie du texte. La critique porte ainsi à la fois sur les excès de la "réputation" à la cour, en bien comme en mal, et sur l'inconstance du succès que l'on y rencontre.

Proposition de problématique:

Comment La Bruyère, dans ce texte qui oscille entre l'humour et le sérieux, dénonce la vanité des réputations qui se font et se défont à la cour.

Dans un premier temps, nous étudierons la partie du texte consacrée au temps du   succès, en montrant comment La Bruyère pointe différents excès de la louange: trop soudaine, trop unanime, excessive et indifférente aux mérites réels de l'homme qu'elle porte aux nues. Nous en viendrons ensuite à la partie consacrée à la "chute" de l'homme en place, qui révèle une violence non moins arbitraire, irrationnelle et injustifiée, et comme une volonté de revanche dans l'annihilation de l'individu par le groupe.  

Analyse linéaire

1er mouvement, de "Vient-on de placer" à "il rougit de sa propre réputation": Célébration de l'homme en faveur

Le texte s'ouvre sur une supposition courte et générale: "Vient-on de placer quelqu'un dans un nouveau poste". Pas de précision, ni sur le "on" dont il est question (il peut s'agir du roi comme d'un ministre ou de toute autre personne de pouvoir), ni sur le poste, ni sur la personne qui en hérite. La généralité du propos, en même temps que sa simplicité, contrastent avec la réaction qui va suivre et sa démesure; cette réaction apparaît comme un mécanisme étrange, prodigieux.

Aussitôt en effet, "c'est un débordement de louanges". La B. utilise un présent d'éventualité qui gagne rapidement la valeur d'un présent de narration pour nous plonger dans la description de cette marée montante de flatterie. La métaphore du déluge est filée "inonde", "débordement", "on en a au-dessus des yeux" tout au long des deux premières phrases, puis avec l'image du "torrent " qui "emporte" tout le monde. Cette image hyperbolique rend le phénomène de la flatterie générale sensible, presque palpable.

La phrase s'enfle et mime l'invasion de cette louange qui se répand partout. Une première proposition relative ,"qui inonde", vient caractériser le "débordement de louanges", immédiatement suivie d'une seconde relative juxtaposée "qui gagne". Celle-ci s'étire dans l'énumération de tous les lieux envahis, "l'escalier", "les salles", "la galerie", tout l'appartement". L'ordre des endroits cités suggère un envahissement progressif: on part de l'extérieur de la maison (les cours, la chapelle) pour pénétrer à l'intérieur de l'habitation, dans des lieux de plus en plus intimes. Alors que la phrase s'étire et rebondit, le rythme s'accélère aussi. La dernière énumération se termine sur une cadence majeure, un accent emphatique: "les salles" (2 syllabes), la galerie (4 syllabes), tout l'appartement (5 syllabes).

Le rythme de la phrase est ainsi travaillé pour accompagner l'imagination du lecteur, il amène l'image de la noyade: "on en a au-dessus des yeux, on n'y tient pas".

Cette rumeur suffocante de louange est aussi trop unanime. Elle réconcilie dans la flatterie générale les voix de "l'envie" et de "l'adulation": une intention haineuse et une excessive soumission. La B. suggère une perte de contrôle des individus, "emportés", "forcés" comme par un courant trop puissant pour y résister. De nouveau, la syntaxe mime ce mouvement par un enchaînement de propositions relatives: "qui les emporte, qui les force".

Mais cet emballement général n'a rien à voir avec l'opinion sincère des individus.: ils parlent tous d'une même voix, quoi qu'ils pensent; pire, ils parlent sans même connaître celui dont il est question. Il s'agit donc d'une force aveugle, un discours qui n'a aucun souci de "vérité".

La louange pèche par excès, on le voit dans la dernière partie de ce mouvement, centrée non plus sur les flatteurs mais sur celui qui est l'objet de leurs louanges. Le voilà soumis à une métamorphose trop brutale: "en un instant" pour être crédible. Elle est figurée par deux descriptions qui se font écho, la première vraisemblable, la seconde excessive et tombant dans le merveilleux: "l'homme d'esprit, de mérite ou de valeur" (sujet) devient "un génie du premier ordre, un héros, un demi-dieu" (attribut du sujet).

Victime de sa propre réputation, il est impossible au pauvre homme d'y faire honneur. La B. développe cette idée sur un rythme ternaire, avec cette fois un mouvement de cadence mineure (image d'un dégonflement). L'homme dont il est question "paraît difforme près de ses portraits." La louange devient comme un reproche à celui qui en est l'objet, accuse ses insuffisances comme des tares. Il ne peut qu'avoir honte "de sa propre réputation" (La Bruyère a supposé qu’il s'agissait d'un honnête homme). Il s'agit en fait d'une élévation paradoxale, née "de la bassesse et de la soumission" des courtisans.

Le texte n'est jamais ouvertement argumentatif. La B. utilise l'asyndète: les phrases ne sont liées entre elles par aucune coordination. L'auteur n'explicite ni la logique de sa progression, ni son jugement. Adoptant un discours descriptif, il laisse seulement apparaître ici et là des termes ou des expressions qui laissent percevoir ce qu'il pense, comme "on n'y tient pas", "en un instant", ou l'adverbe "prodigieusement" qui marque l'ironie.

Le texte est travaillé dans son lexique, son rythme, le détail de ses formulations, pour décrire finement le phénomène de la faveur à la cour. La description d'un "prodige", d'un cataclysme, emprunte au registre épique. La Bruyère l'utilise sur le mode burlesque, pour mieux se moquer des réflexes courtisans.

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