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Rhétorique

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nciens (Aper) ou des Anciens sur les Modernes (Messalla), en ce qui concerne l’art rhétorique. Malgré le désir de Tacite de tempérer les divers arguments, on sent que son cœur va aux accusateurs du temps présent, qu’il est tenté de se réfugier avec le poète hors de la vie publique et que, surtout, il partage l’idée d’un déclin de la rhétorique lié au déclin de la liberté politique. L’austérité des mœurs et la violence des passions politiques nourrissaient autrefois l’ampleur et le courage du discours prononcé devant le peuple. La parole, non la naissance, conduisait alors au pouvoir : aussi l’art oratoire était-il l’objet de tous les soins : « On était forcé de se présenter devant le peuple, au Sénat il ne suffisait pas d’expliquer brièvement son vote, si l’on était pas capable de défendre son avis avec talent et éloquence, ou bien, impliqué dans une calomnie ou une accusation, il fallait répondre sans emprunter la parole d’un autre, quand on voulait témoigner en faveur d’un ami dans un procès même politique, on était forcé de le faire non pas de loin et par écrit, mais de vive voix et devant le tribunal » (XXXVI). Aussi les anciens orateurs, pour donner de la consistance à leurs discours, ne se contentaient-ils pas d’une vague culture générale, mais s’appuyaient sur de solides connaissances : « Tous les discours de Cicéron le laissent voir : géométrie, musique, grammaire, aucun des arts libéraux (ingenuæ artis scientiam) ne lui était étranger […] Les anciens orateurs possédaient le droit civil, et avaient une teinture de grammaire, de musique, de géométrie […] Un orateur digne de ce nom arrivait alors au forum armé de toutes ses connaissances, comme le soldat à la bataille pourvu de toutes ses armes » (XXX, XXXI et XXXII). Car la rhétorique est comme le courage militaire : il lui faut la guerre pour s’exercer. Enfant, le futur orateur, cet « élève du forum » (fori auditor) « assistait aux plaidoiries même par courtes répliques, était présent aux discussions violentes et apprenait pour ainsi dire à combattre au milieu même de la mêlée » (XXXIV). Il faut le théâtre de la république et ses débats véhéments et cruels (la mort étant souvent le prix de la défaite) pour que l’art oratoire s’élève jusqu’au sublime : « La grande éloquence (magna eloquentia), comme la flamme, a besoin de matière pour s’alimenter, de mouvement pour se ranimer, et c’est en consumant qu’elle brille […] Si les orateurs de notre temps ont acquis toute l’influence compatible avec un gouvernement régulier, paisible et heureux, les désordres et la licence (perturbatione ac licentia) n’en offraient pas moins autrefois une plus vaste carrière. Alors en effet, dans la confusion générale et dans l’absence d’un chef unique, on était un orateur habile en proportion de l’ascendant qu’on pouvait exercer sur un peuple sans guide. De là de continuelles propositions de lois et un nom populaire ; de là ces harangues de magistrats qui passaient à la tribune presque la nuit tout entière ; de là les accusations dirigées contre les hommes les plus influents et ces inimitiés qui s’attachaient même à des familles ; de là la politique factieuse de la noblesse et la lutte continue du Sénat et de la plèbe. Tout cela n’était pas sans déchirer l’Etat, mais exerçait l’éloquence de ces époques lointaines et semblait lui promettre à l’envi de grandes récompenses » (XXXVI). Sous l’empire, l’orateur politique devenu avocat d’affaires consacre tout son art à des causes anecdotiques et futiles ; autrefois le salut de l’Etat était en jeu : « Quelle différence, s’exclame Messalla, d’avoir à parler sur un vol, une formule ou une ordonnance extraordinaire du préteur, ou bien sur la brigue dans les comices, sur des alliés dépouillés ou des citoyens massacrés ! […] La puissance du talent grandit avec l’ampleur du sujet, et l’on ne saurait prononcer un discours brillant et lumineux sans avoir trouvé une cause digne de l’inspirer » (XXXVII). Certes, le gouvernement du « divin Auguste a apporté une longue période de calme, des loisirs continus pour le peuple, la tranquillité au Sénat » XXXVIII), mais l’éloquence se meurt dans cette paix qui étouffe toute revendication : « Personne n’ignore qu’il est plus utile et meilleur d’éprouver les bienfaits de la paix plutôt que les souffrances de la guerre ; cependant, les guerres produisent plus de héros (bonos proeliatores) que la paix » (XXXVII). Pour Tacite, ce n’est pas l’éloquence qui, par son conformisme et son idolâtrie de l’opinion, se fige en un code incapable de se réformer, c’est l’ordre instauré par l’empire qui bâillonne la liberté de parole et fait taire la grande voix du rhéteur.

Ainsi domestiqué par un pouvoir tout-puissant, l’art oratoire ne peut plus lancer un appel au peuple, et le rhéteur, réduit à l’état méprisable de la courtisane ou du flatteur, est exilé du lieu qui inspirait et magnifiait à la fois son art : l’assemblée des citoyens. Dès lors, la rhétorique, si elle veut éviter de disparaître, doit changer de nature. Dès sa fondation par Protagoras, l’art rhétorique comprenait deux orientations complémentaires mais pourtant différentes : l’orateur est d’une part le gardien de la constitution et l’arbitre du débat démocratique ; mais il est encore le maître qui prétend enseigner la vertu. Il est à la fois le démocrate et le pédagogue. Il est donc possible de discerner une double finalité de l’art rhétorique : politique, il enflamme la liberté mais risque aussi de la duper ; pédagogique, il civilise les mœurs, polit l’amour-propre et apprend à l’enfant à se plier aux règles de la bienséance sociale. Il risque encore, selon le procès que lui fait le philosophe, étouffer son génie propre, son « démon », en l’asservissant au conformisme de l’opinion commune. L’ironie philosophique est un art de la critique et de l’insolence ; le ton magistral du rhéteur vise au contraire à intégrer l’enfant dans la communauté civile, en faire un animal social capable de générosité et de sacrifice. Cette double vocation de la rhétorique est affirmée dès l’Athènes antique : Isocrate, contemporain de Platon, critiquait les sophistes (parmi lesquels il comptait les philosophes) qui embrouillent les discours par leur prétention dogmatique de parvenir à la vérité. La véritable vocation de la rhétorique, qui est un art et non une science, est d’apporter une discipline morale (apprendre à écouter et à céder la parole) et un fondement pour l’éducation et la vie civique (la pratique du dialogue engendre cette amitié sans laquelle il n’est pas de cité véritable). Selon Isocrate, l’homme « bien élevé » (pepaideumenos) n’est pas le spécialiste ni l’expert d’un art ou d’une science. Bien au contraire, il ne se pique de rien mais garde en toutes choses un jugement droit, une parfaite maîtrise de lui-même, une âme juste et forte. La rhétorique est le véritable apprentissage de cette culture générale, de cette maîtrise du discours et de la pensée qui forment l’homme accompli, ce que le cycle d’études des « humanités » nommera plus tard « l’honnête homme ». Au modèle isocratique, il faudrait alors opposer le modèle démosthénien, comme la pédagogie à la politique. Démosthène, exact contemporain d’Aristote (tous deux sont nés en 384 et sont morts en 322), recourt à l’art oratoire pour se faire l’apologiste de la démocratie menacée par l’expansion macédonienne. Il se suicidera après l’échec de la révolte contre les Macédoniens. La philippique (trois discours contre Philippe de Macédoine prononcés entre 351 et 341) restera le modèle de la harangue politique qui appelle un peuple à se mettre debout et à résister contre l’envahisseur, de l’exhortation à la liberté. L’Anonyme, au premier siècle de notre ère, voit dans le style enflammé et violent de Démosthène l’une des plus hautes formes du style sublime, l’autre forme étant le ton enthousiaste de Socrate-Diotime dans le Banquet, ou de Socrate-Stésichore dans le Phèdre. La rhétorique politique est passionnément attachée à la démocratie et cherche à exalter l’énergie nationale ; la rhétorique pédagogique est beaucoup plus paisible : conservatrice de nature, elle vise à intégrer l’enfant dans le jeu social, et nullement à le contester. Son idéal est un idéal de bienveillance, de sociabilité, de reconnaissance dans l’échange et le dialogue, ce qui implique un certain scepticisme à l’égard des prétentions dogmatiques de la science (la rhétorique politique, à l’inverse, ne doute pas : aussi adopte-t-elle volontiers le ton exalté du prophète ou du fanatique). La rhétorique politique veut défendre la démocratie ; la rhétorique pédagogique, ou policée plutôt que politique, veut fonder une civilisation. La première est militante et citoyenne ; la seconde est riche de son urbanité et de sa civilité, plutôt que de son civisme. La première appelle à l’insurrection ; la seconde enseigne les convenances et les bienséances, le bon usage et l’art de la politesse plutôt que l’art politique. C’est ainsi qu’au patriotisme athénien de Démosthène s’oppose le panhellénisme

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