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L'Art

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’artifice, c’est-à-dire de technique, de procédé qui déforme la nature ou tout du moins ruse avec elle. Pour Baudelaire, l’Art, écrit avec une majuscule, a sans conteste une valeur religieuse, voire quasi-mystique. C’est un instrument de connaissance, un sacerdoce auquel doit se consacrer le poète exilé, chassé d’un paradis perdu à une époque antérieure, s’il veut retrouver le "vert paradis", ce monde surnaturel dont le monde réel n’est que l’image affadie et même désespérante, en tout cas insatisfaisante. En même temps qu’il investit l’Art de cette ambition métaphysique, le poète lui attribue une finalité technique : être le moyen sublime de recréer l’unité perdue, de produire l’ivresse sacrée par sa "sorcellerie évocatoire", "sa magie incantatoire". Par sa souplesse à traduire les "correspondances", le langage poétique peut nous ouvrir "les portes de corne et d’airain", nous guider "à travers des forêts de symboles", c’est-à-dire au travers du monde visible, vers le monde invisible, vers une surnature plus réelle que la nature elle-même. Ici cependant, la citation proposée, qui est sortie de son contexte, réduit le rôle de l’Art à n’être que le reflet le plus exact possible de la réalité qui nous entoure. Ainsi est évacuée la quête mystique, l’invitation au voyage sacré.

Le mot nature, quant à lui, a autant d’acceptions que le mot art. Il ne s’agit pas ici de l’essence d’un être, de sa finalité, mais plutôt de la totalité de l’univers, avec son dynamisme et son mystère ou peut-être plus spécialement le monde visible, surtout matériel et végétal en tant qu’il n’est pas altéré par l’intervention humaine. Ainsi le mot nature conduit à l’opposition entre inconscience et conscience, nature et homme, inertie et activité, répétition et invention, matière et esprit, déterminisme et liberté. C’est une distinction qui remonte à Platon, à la nature, on oppose l’artifice et la culture. Ainsi les deux jugements qui nous sont proposés, posent la question de la création ou de l’imitation. L’art est-il une reproduction servile ou une invention ? un choix, un style, l’interprétation du réel, la reconstruction d’un univers personnel ?

II. L’Art peut-il se borner à n’être qu’une photographie de la nature ?

Si l’Art est une copie, alors la plus belle œuvre est la photographie. Certes il existe une beauté naturelle incontestable : beauté des paysages, des visages, des fleurs. Mais à supposer que l’artiste se borne à reproduire ce qu’il voit, il peut mutiler la réalité en ne reprenant qu’une partie seulement de ce qu’il contemple. Il peut aussi fausser la nature en l’embellissant ou en la caricaturant à son insu. En fait la beauté intrinsèque d’un spectacle naturel n’est pas suffisante : un bel objet ne garantit pas la réussite d’un tableau. Inversement la laideur a pu constituer un sujet artistique. Prenons-en pour exemple certaines scènes atroces de Salammbô de Flaubert, comme l’extermination des mercenaires dans « le défilé de la Hache », ou Germinal de Zola, comme la révolte des femmes de mineurs qui brandissent les horribles restes de l’épicier qu’elles viennent d’émasculer par vengeance et en signe de libération. Ce divorce entre les deux ordres de beauté s’est accentué avec la peinture abstraite ou non-figurative. Un tel tableau se satisfait à lui-même, ne se réfère plus à aucun objet naturel et s’affranchit ainsi de toute imitation possible.

L’art ne saurait donc être une simple photographie de la réalité. « Le soleil, disait Cézanne, cela se représente, mais ne se reproduit pas. » La représentation du réel ne peut être qu’une reconstruction ou une transposition. En effet l’artiste utilise des équivalences : mots pour la littérature, gestes pour la danse, notes pour la musique. Il doit les façonner par une technique.

Comme disait Kant : « Une beauté naturelle est une chose belle, la beauté artistique est une belle représentation d’une chose ». L’art ne saurait être qu’une transposition, une équivalence plastique du monde sensible.

Allons plus loin, l’Art par sa magie, l’homme par son initiative créatrice fait venir au monde des objets qui n’existent pas dans la réalité. C’est un monde artificiel, humain qui vient se surajouter à la nature. Baudelaire, nous l’avons déjà dit, affirmait que le monde réel n’est apparence ; il faut aller au-delà : « C’est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. La Soif insatiable de tout ce qui est au-delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique, que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau… » (L’Art romantique)

III. L’Art n’est-il que choix ?

Si l’art n’est le plus souvent qu’une recomposition d’éléments pris dans la nature, on comprend que chaque écrivain voit la réalité au travers de sa personnalité. Selon les mots de Zola, « une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un tempérament ». Ainsi la Provence de Mistral n’est pas celle d’un Daudet, à plus forte raison d’un Giono ou d’un Bosco.

En fait le réel est souvent absurde et sans beauté. L’art lui donne un sens, le reconstruit comme la tragédie qui transforme un fait divers en une question essentiellement humaine, dégagée de toute contingence, auréolée de son éternité. Ainsi le roman historique nous révèle le sens de l’aventure humaine au travers de la trame si dense des événements. Quatrevingt-Treize d’Hugo simplifie la Révolution française en une épopée où se heurtent avec fracas des protagonistes symboliques : le marquis de Lantenac qui incarne l’ancien régime, Gauvain, son neveu, représentant l’idéalisme généreux de la République, Cimourdain, prêtre défroqué et séide de l’absolutisme révolutionnaire. Hugo juge le passé et nous enseigne aussi les principes qui doivent, à ses yeux, constituer la foi du monde. La stylisation de l’artiste rend donc le réel plus beau et plus vrai. Il s’agit bien alors d’invention, de génie, c’est-à-dire de recomposition, de nouvelle synthèse, de la combinaison nouvelle de moyens en vue d’une fin. C’est affaire d’imagination, de sens des formes et des rythmes, d’association d’idées.

L’art ne peut être un simple choix parmi des éléments réels. Il doit être invention de formes nouvelles si nécessaire. Alors est dépassée la contradiction entre nature et art. L’artiste peut choisir, mais ce qui importe, c’est l’unité, la pensée créatrice qui allie aussi bien éléments réels qu’imaginaires en une œuvre unique, composée, signifiante, répondant aux desseins de son créateur. L’artiste est alors démiurge,

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