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Le Réel Et l'Irréel En Littérature

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nir des rapports de mise en valeur qui font apparaître le premier dans les circonstances qui pourraient lui sembler les moins propices. Si Le Jeu de l’amour et du hasard a une valeur littéraire qui lui fait dépasser le simple canevas de la comédie italienne, c’est que s’y glisse, au cœur d’une structure très conventionnelle, une vérité saisissante. Marivaux n’abolit pas les contraintes de ce type de théâtre : on y trouve à la fois l’intrigue amoureuse entre deux couples de maîtres et de valets, le jeu du masque - on sait que la comédie italienne se joue en masques pour les rôles masculins - des stratagèmes et des quiproquos. Cette structure issue de la commedia dell’arte est fondamentalement irréelle et se présente comme un aimable divertissement léger. Mais Le Jeu de l’amour et du hasard permet, dans des situations convenues, de faire jaillir une intelligence du réel dans ce sujet rebattu qu’est l’amour.

Lorsque Silvia se sent prise d’amour pour Dorante, son attitude face à Lisette puis à son père et à son frère reflète une authenticité psychologique amoureuse qui, sans caractériser la jeune première de manière singulière, relève d’une vérité de l’amour. Le feu des répliques de Silvia lorsque l’on touche à « Bourguignon », qui n’est que Dorante déguisé, sa susceptibilité excessive, sa nervosité, tout la révèle sans qu’elle ait dit mot de son amour et nul ne s’y trompe : « J’ai donc besoin qu’on me défende, qu’on me justifie ? On peut donc mal interpréter ce que je fais. Mais que fais-je ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-moi, je vous en conjure : cela est-il sérieux ? me joue-t-on ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas tranquille. »

L’amour commence par se cacher, et se cacher d’abord à soi-même en prétendant se cacher aux autres. Mais ces derniers voient toujours plus clair, et ni Mario ni Monsieur Orgon ne s’y trompent, pas plus que Lisette. Réel et irréel jouent ensemble dans ce moment du Jeu de l’amour et du hasard. Il relève des conventions du théâtre italien que Silvia soit amoureuse de Dorante, et cet amour, immédiat, n’a rien qui, en soi, le fasse échapper à l’irréel de cette règle. Mais sa manifestation, en revanche, dans ce monde de carton et de masques, emprunte des voies qui relèvent de la connaissance intime des mécanismes profonds de l’amour, que l’on retrouvera tout aussi bien, par exemple, à la fin du XVIIIe siècle dans l’incapacité de Valmont à reconnaître le sentiment qu’il porte à Madame de Tourvel. Derrière cette attitude commune, cette découverte psychologique fondamentale de l’âge classique, l’amour-propre. Car si Silvia refuse de s’avouer son amour, c’est parce qu’elle prend Dorante pour un valet et ne peut s’imaginer lier son sort au sien sans déchoir. Si elle est l’héroïne de la pièce, c’est que seul son amour-propre ne cède pas : Dorante, en revanche, la demandera en mariage en la prenant pour une soubrette. L’art de Marivaux transcende ainsi, sans les rompre, ces barrières irréelles qu’impose la comédie italienne et ce dernier cadre aboutit à un mélange d’une extrême singularité, profondeur et transparence complète, réel et irréel.

L’irréel et le réel peuvent entretenir des rapports qui inversent celui qui se déroule dans les pièces de Marivaux. Le réel peut être une production littéraire liée à une accumulation d’irréalités successives dans un cadre entièrement réel. Le Côté de Guermantes, dans son traitement de l’aristocratie du faubourg Saint-Germain, produit ainsi un effet de réel par le déplacement constant des comportements et surtout du langage des personnages dans leur cadre. Les Guermantes, le duc comme la duchesse, dans des registres différents, sont parfaitement insérés dans un monde réel, celui de la haute société de la fin du XIXe siècle, et tout est fait pour pourvoir d’une réalité précise ce cadre social, que connaît parfaitement Proust, comme le sien propre.

Mais en lieu et place des figures attendues de ces membres éminents du faubourg, telles que le narrateur lui-même se prépare à les rencontrer, sorte de dieux vivants dont la conversation doit le faire entrer dans les arcanes de l’intelligence et de la finesse, sans pour autant tomber le moins du monde dans une caricature qui ne fera que reprendre de simples clichés, le portrait de la duchesse en femme - dont les jeux de mots et les idées sont un mélange de provocation gratuite, de sottises, d’affirmations péremptoires médisantes voire scatologiques - bâtit un effet de réel par la parfaite incongruité de ce comportement dans le cadre où il se dévoile. La princesse de Parme manque de tomber à la renverse devant la dernière affirmation d’Oriane : « - Zola, un poète ! - Mais oui, répondit en riant la duchesse, ravie par cet effet de suffocation. Que votre Altesse remarque comme il grandit tout ce qu’il touche. Vous me direz qu’il ne touche justement qu’à ce qui… porte bonheur ! Mais il en fait quelque chose d’immense ; il a le fumier épique ! C’est l’Homère de la vidange ! Il n’a pas assez de majuscules pour écrire le mot de Cambronne. »

Ces « mots » de la duchesse sont si « irréels » dans sa société choisie qu’ils provoquent ainsi un effet détonnant et aboutissent à faire de cette femme une personne qui échappe à la convention littéraire pour renvoyer à l’imprévisibilité du réel. Que l’on se soit beaucoup attaché à rechercher les modèles de Proust indique cet effet particulier produit sur le lecteur. L’irréel produit un effet de réel, là encore, par contrepoint, et tout cet art de Proust repose, comme dans l’entrevue avec Charlus, à la fin du même volume, sur ce singulier mélange.

Ce rapport de contrepoint n’épuise pas les possibilités de relation entre le réel et l’irréel. Lorsque Proust donne de la haute société l’image qui est la sienne dans Le Côté de Guermantes, il existe un effet de distance critique pour le narrateur, issu de la bourgeoisie, qui se faisait une merveille du salon si huppé de la duchesse. Le narrateur ne manque pas de souligner à quel point il s’étonne de voir si fort prisé et si fermé ce salon qui ne diffère pas des salons de la bourgeoisie. Cette appréhension critique permet de se pencher sur un autre type de relation entre réel et irréel au sein de la littérature.

II. L’irréel renvoie au réel par le travail critique

Lorsque Voltaire se met à la rédaction des contes philosophiques, en marge d’un travail d’intellectuel où il se sent surveillé constamment par une censure toujours en éveil, cette forme littéraire dont il est l’inventeur lui permet, au sein d’un cadre irréel, non de créer des effets de réel mais de renvoyer à la réalité en s’en faisant le dénonciateur.

Le conte philosophique fonctionne sur un canevas de roman picaresque, où les personnages ne sont dotés d’aucune réalité psychologique et où l’intérêt est lié aux voyages incessants du héros lancé par terre et par mer pour retrouver sa belle. Le roman picaresque fonctionne ainsi dans l’irréalité complète des acteurs et des situations. Voltaire reprend ces conventions, non pour les faire jouer de façon interne comme Marivaux et la comédie italienne mais pour viser les désordres de son monde en transportant ses héros dans des situations où certaines rencontres renvoient non à des individualités mais à une critique sociale globale.

C’est ainsi le cas, dans Candide, de la guerre des Abares et des Bulgares, qui, dans la « boucherie héroïque », permet la dénonciation des ravages de la guerre de sept ans : « [Candide] passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés. » « Lois du droit public » et « besoins naturels de quelques héros » appartiennent ainsi pleinement au mode antiphrastique comique du conte voltairien sans sacrifier pour autant la dénonciation globale des combats et des armées en campagne. Le conte philosophique passe ainsi en revue les thèmes de la lutte des philosophes du XVIIIe siècle : l’Eglise bien sûr, mais aussi l’esclavage, le parisianisme, la médecine, etc. Le réel est ainsi présent de manière symbolique dans le conte.

Mais ce rôle critique de la littérature qui renvoie au réel peut renvoyer à un réel de la littérature comme production sociale. L’Education Sentimentale est une écriture critique du romantisme littéraire : elle renvoie constamment en filigrane à un réel qui est celui d’une époque du roman. La fiction dénonce la fiction de la littérature romantique. L’histoire de Frédéric Moreau, dans la figure de son héros sans qualités, uniquement caractérisé par un narcissisme qui n’est peut-être que celui de son époque et ne lui appartient ainsi même pas, dans son impuissance amoureuse, tout cela compose non pas tant un personnage réel en lui-même qu’une figure inversée qui cherche

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