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Analyse linéaire Michel Leiris L'Âge d'homme

Commentaire de texte : Analyse linéaire Michel Leiris L'Âge d'homme. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  7 Décembre 2020  •  Commentaire de texte  •  1 629 Mots (7 Pages)  •  6 012 Vues

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« Gorge coupée »

Agé de cinq ou six ans, je fus victime d'une agression. Je veux dire que je subis dans la gorge une opération qui consista à m'enlever des végétations1 ; l'intervention eu lieu d'une manière très brutale, sans que je fusse anesthésié. Mes parents avaient d'abord commis la faute de m'emmener chez le chirurgien sans me dire où ils me conduisaient. Si mes souvenirs sont justes, je m'imaginais que nous allions au cirque ; j'étais donc très loin de prévoir le tour sinistre que me réservaient le vieux médecin de la famille, qui assistait le chirurgien, et ce dernier lui-même. Cela se déroula, point par point, ainsi qu'un coup monté et j'eus le sentiment qu'on m'avait attiré dans un abominable guet-apens. Voici comment les choses se passèrent : laissant mes parents dans le salon d'attente, le vieux médecin m'amena jusqu'au chirurgien, qui se tenait dans une autre pièce en grande barbe noire et blouse blanche (telle est, du moins, l'image d'ogre que j'en ai gardée) ; j'aperçus des instruments tranchants et, sans doute, eus-je l'air effrayé car, me prenant sur ses genoux, le vieux médecin dit pour me rassurer : « Viens, mon petit coco ! On va jouer à faire la cuisine. » À partir de ce moment je ne me souviens de rien, sinon de l'attaque soudaine du chirurgien qui plongea un outil dans ma gorge, de la douleur que je ressentis et du cri de bête qu'on éventre que je poussai. Ma mère, qui m'entendit d'à côté, fut effarée.

Dans le fiacre2 qui nous ramena, je ne dis pas un mot ; le choc avait été si violent que pendant vingt-quatre heures il fut impossible de m'arracher une parole : ma mère, complètement désorientée, se demandait si je n'étais pas devenu muet. Tout ce que je me rappelle de la période qui suivit immédiatement l'opération, c'est le retour en fiacre, les vaines3 tentatives de mes parents pour me faire parler, puis, à la maison : ma mère me tenant dans ses bras devant la cheminée du salon, les sorbets qu'on me faisait avaler, le sang qu'à diverses reprises je dégurgitai et qui se confondait pour moi avec la couleur fraise des sorbets.  

Ce souvenir est, je crois, le plus pénible de mes souvenirs d'enfance. Non seulement je ne comprenais pas que l'on m'eût fait si mal, mais j'avais la notion d'une duperie, d'un piège, d'une perfidie atroce de la part des adultes, qui ne m'avaient amadoué4 que pour se livrer sur ma personne à la plus sauvage agression.

Toute ma représentation de la vie en est restée marquée : le monde, plein de chausse-trappes5, n'est qu'une vaste prison ou salle de chirurgie ; je ne suis sur terre que pour devenir chair à médecins, chair à canons, chair à cercueil ; comme la promesse fallacieuse6 de m'emmener au cirque ou de jouer à faire la cuisine, tout ce qui peut m'arriver d'agréable en attendant, n'est qu'un leurre, une façon de me dorer la pilule pour me conduire plus sûrement à l'abattoir où, tôt ou tard, je dois être mené.

Michel Leiris, L’Âge d’homme, 1939.

1. Végétations : organes situés dans la gorge. 2. Fiacre : voiture à cheval. 3. Vaines : inutiles, inefficaces. 4. Amadoué : séduit par des gentillesses. 5. chausse-trappes : piège métallique. 6. fallacieuse : trompeur, illusoire.

- Amorce : Michel Leiris est l'auteur du roman autobiographique L'âge d'homme publié en 1939.

- Extrait : L'écrivain relate ici un souvenir très désagréable qu'il a vécu dans sa jeunesse : une opération des végétations qui a marqué toute sa représentation de la vie.

- Projet : Comment ce souvenir traumatisant a-t-il joué un rôle capital dans la vie de l’auteur ?

- 2 Mouvements : des lignes 1 à 24, il s’agit du récit d’un souvenir traumatisant : l’opération des végétations. Les lignes 25 à 34 concernent les commentaires du narrateur adulte qui, avec le recul du passé, explique ensuite les conséquences de cet événement sur sa vie et sa personnalité.

1er mouvement : Un souvenir traumatisant : le récit de l’opération

1) Le récit de l'opération (1er paragraphe)

Le récit s’ouvre un souvenir d’enfance commenté par le narrateur adulte d’où la présence du « je » enfant avec les temps du passé pour raconter ce souvenir d’il y a une trentaine d'années : « fus » « âgé de 5 ou 6 ans » + la présence du regard distancié du « je » narrateur-adulte avec les temps du présent : « je veux dire » (l.1)

        

 L’opération est vécue de façon très brutale :

- le vocabulaire met le narrateur en position de victime : « victime » (l. 1), « agression » (l.1, 28), « subis » (l.1).

-  Le mot « agression» (l.1, 28) est même répété 2 fois dont une fois avec un superlatif accentuant la violence de ce qu’il a subi « la plus sauvage » (l.28).

 Le champ lexical du domaine médical dramatise aussi le récit « une opération » (l.2), « végétations » (l.2), « l’intervention » (l.2), « anesthésié » (l.3), « chirurgien » (l.4)


 Les parents sont ensuite les 1ers adultes accusés d’avoir organisé le mensonge comme le souligne le mot à connotation morale « faute » (l. 4) et le champ lexical de la duperie « sans me dire » (l. 4), « le tour sinistre » (l.5), « un horrible guet-apens » (l. 8), et la comparaison « ainsi qu’un coup monté » (l.7)

 la représentation du médecin est ensuite très contrastée et est à l’origine de ce traumatisme :

- d’une part, l’auteur montre que le docteur  agit comme un protecteur ou comme « Un grand-père » : « il le prend sur ces genoux » (l.12), « le vieux médecin » répété 3 × (l.6, 9,12)

 

- d’autre part, l’image du chirurgien est aussi associée à un « ogre » (l.11) + Leiris rapporte également les paroles rassurantes du médecin au style direct pour renforcer la trahison et insister sur le côté trompeur des adultes qui utilisent des périphrases pour cacher ce qui va arriver : « Vient mon petit coco, on va jouer à la cuisine » (l.13).

 L’opération elle-même est décrite de façon pathétique avec un champ lexical de la violence « d’une manière très brutale » (l.3), « ogre » (l.11), « instruments tranchants » (l.11), « attaque soudaine » (l.14), « éventre » (l.15)

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