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Baudelaire, les Fleurs du mal

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Par   •  30 Mars 2021  •  Commentaire de texte  •  2 729 Mots (11 Pages)  •  469 Vues

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Séminaire M1 : Baudelaire et l’expérience poétique

Baudelaire, Les Fleurs du mal

« TABLEAUX PARISIENS » :

LE CHOIX DE LA MODERNITÉ

Une poésie de la grande ville

La section « Tableaux parisiens », insérée dans l’édition de 1861 et composée de dix-huit poèmes de longueur variable, invite le lecteur à une déambulation exploratoire dans les méandres de la capitale. De 1857 à 1861, Baudelaire, quoique toujours fidèle à son idéal romantique incarné par Delacroix, découvre, sur les traces de Constantin Guys, une peinture de l’esquisse, réalisée au lavis ou à l’aquarelle, et représentant des sujets contemporains dans un cadre urbain : modistes, femmes en chapeaux, crieurs, passants anonymes... Il se passionne pour ce peintre auquel en 1863 il consacre un essai intitulé Le Peintre de la vie moderne.

Loin de constituer une anthologie attendue de clichés et de « vues » urbaines, les textes rassemblés ici témoignent d’un regard aigu, toujours teinté de mélancolie, qui cherche dans le fourmillement de la grande ville les affleurements de secrets encore irrévélés : rencontres imprévues, approches de la marginalité, bouleversements urbains, univers louches du crime et de la débauche, spectacle ininterrompu du vice, les divers « tableaux » qu’offre la cité moderne reconduisent le poète à la conscience douloureuse de son incomplétude. Ils favorisent dans le même temps l’essor d’une écriture poétique qui fait le choix de la modernité, tant par ses sujets, que par l’éventail renouvelé de ses formes.

Une poésie urbaine

Par le titre « Tableaux parisiens », Baudelaire inscrit cette section des Fleurs du mal dans la lignée du Tableau de Paris que Louis Sébastien Mercier avait proposé à partir de 1781. Il s’agissait alors d’un inventaire descriptif et critique de la société d’Ancien régime saisie dans tous ses aspects et dans toutes ses divisions. Repris par Baudelaire, le terme recouvre à part égale une composante descriptive et une dimension satirique. Car le tableau ordonne le réel pour le rendre pleinement visible et surtout lisible : il s’offre comme une représentation concertée des aspects de la vie. Il inventorie de la sorte – sous la forme de quelques genres appropriés, tels le paysage, le portrait, le croquis, le type ou encore l’allégorie – les manifestations et les avatars les plus significatifs d’une époque et d’un milieu. Mais ce répertoire de la ville moderne promis par Baudelaire n’élude pas la dimension critique et satirique : il importe moins de brosser la fresque des réalités sociales et humaines (à la manière d’un Balzac par exemple) que de présenter des « images », des symboles et des mythes modernes, offrant prise à l’interprétation morale et métaphysique. Dans les « Tableaux parisiens », il est encore et toujours question de la condition de l’homme déchu confronté à son indépassable misère.

L’intention poétique

Mais le projet poétique de Baudelaire obéit, dans ces conditions, aux lois de l’aléa et de la flânerie. Dans le poème « Le soleil » (v. 5-8), l’errance du poète est ouvertement associée à l’éveil de l’inspiration poétique :

Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,

Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,

Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,

Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

La marche pédestre est ainsi conçue comme un mouvement d’invention, qui favorise la rencontre inattendue avec le motif poétique. Notons ici l’expression « les hasards de la rime », qui suggère ici – contre l’idée admise d’une poésie volontariste et laborieuse – l’essor quasi spontané de l’intuition poétique. Celui qui chemine solitaire et sans but se laisse porter par son instinct (comme l’indique le verbe « Flairant »), par son humeur ; il est disponible et ouvert à tout ce qui est susceptible de s’offrir à son regard dans une espèce d’accident de la sensibilité et du langage : voir dans cette perspective « Les sept vieillards », « Les petites vieilles », « les aveugles », « A une passante »... En somme ces vers du poème « Le soleil », placés en tête de la section, constituent un programme et résument l’art poétique qui gouverne les « Tableaux parisiens » : une poétique de la rencontre, de l’imprévu et du choc.

Mais au domaine urbain élu par Baudelaire ressortit une visée poétique spécifique plus large, un projet d’ensemble dont le poète avait indiqué l’orientation lorsque dans le Salon de 1859 il disait regretter que la peinture de son temps oublie le « paysage des grandes villes, c’est-à-dire la collection des grandeurs et des beautés qui résultent d’une puissante agglomération d’hommes et de monuments, le charme profond et compliqué d’une capitale âgée et vieillie dans les gloires et les tribulations de la vie » (O. C., t. 2, La Pléiade, Gallimard, 1976, p. 666).

Dans la ville moderne, que le réalisme balzacien avait à partir de 1830 déjà désignée comme un lieu privilégié d’enquête historique et sociale, Baudelaire ne va pas puiser le pittoresque – c’est-à-dire tous les aspects charmants susceptibles de composer un tableau – mais l’expérience d’une réalité jusque-là négligée ou ignorée par la poésie, celle des foules anonymes, des populations marginales et déclassées qui hantent la cité immense et lui donnent une âme propre, à la fois humaine et monstrueuse. Le poète voudrait ainsi ausculter les souffrances de cette âme profonde et son errance poétique est aussi une exploration morale.

Une poésie de la modernité

L’ancien et le moderne

Dans les « Tableaux parisiens », le « paysage des grandes villes » se présente d’abord comme une réalité soumise au changement. Le Paris évoqué dans cette section revêt le visage d’une capitale en pleine métamorphose, caractérisée par les grands chantiers de rénovation urbaine que, sous le second Empire, le baron Haussmann avait entrepris. Baudelaire est sensible à ces restructurations qui entraînent d’inévitables destructions.

Quelques allusions sont çà et là ménagées qui rappellent l’ancienne capitale et les endroits alors à la mode : dans « Les petites vieilles », l’établissement de jeux Frascati (v. 37), fondé sous le Directoire et fermé en 1837, avant d’être détruit peu de temps après : Tivoli (v. 40), également, autre lieu de jeux et de réjouissances, qui était en vogue sous la Restauration. A l’image de ces petites vieilles alourdies de souvenirs ignorés de tous, à l’image aussi de ce « faubourg secoué par les lourds tombereaux » (« Les sept vieillards ») ou de « ces concerts, riches de cuivre » des kiosques à musique (« Les petites vieilles »), le passé lointain affleure à la surface du présent. Il semble ainsi que le poète soit animé d’un devoir de mémoire et voué du même coup à un éternel travail de fouille à l’instar du « Squelette laboureur », dont on interroge le geste autant que le but.

Ainsi le poème « Le cygne » évoque le Paris du passé, capitale de l’Ancien régime qui désormais disparaît, et au souvenir de laquelle visiblement le poète reste mélancoliquement attaché :

Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville

Change plus vite, hélas ! que le coeur d’un mortel !)

Une ville meurt, à jamais perdue (sauf dans la mémoire hypertrophiée du poète mélancolique), et une nouvelle cité s’éveille, lieu de la modernité éclatante. Car la modernité parisienne est d’abord faite de mouvement et de bruits, d’agitation et de fracas. Nombreux sont les poèmes de cette section qui insistent sur cet aspect. Le premier vers de « A une passante » donne le ton : « La rue assourdissante autour de moi hurlait ». Ce hurlement signale la présence active de tout un peuple laborieux : de « l’atelier qui chante et qui bavarde » du poème « Paysage » au réveil du « sombre Paris » empoignant ses outils (« Le crépuscule du matin »), les « tableaux parisiens » réservent une place non négligeable à cette réalité proprement urbaine. Aussi vacarme et stridence thématisent-ils « le chaos des vivantes cités » (« Les petites vieilles »). La ville est irrégularité, tonitruance ; d’elle jaillissent des éclats comme le dit le poème « Les aveugles » :

[...] Ô cité !

Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu’à l’atrocité

Ce tohu-bohu urbain est le fait du plaisir et de la débauche. Les poèmes « Le crépuscule du soir », « Le Jeu », mais aussi les vers 12-13 du « Crépuscule du matin » se font l’écho du monde enivrant des plaisirs nocturnes. Monde à l’égard duquel le poète semble adopter une attitude ambivalente, puisque tantôt il exhorte au recueillement face au « rugissement » de la cité livrée à la prostitution (voir v. 28-36 du « Crépuscule du soir »), opposant au tapage le repli intimiste (comme dans le poème XCIX), tantôt, au contraire, il déclare envier « l’infernale fièvre » de cette humanité éprise d’ivresse et de vice :

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