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Incipit, le rapport de Brodeck, P. Claudel

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Par   •  23 Mai 2018  •  Commentaire de texte  •  2 732 Mots (11 Pages)  •  4 034 Vues

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LE RAPPORT DE BRODECK, P. Claudel (2007)

L.A. N°1 : extrait de l'incipit

(pages 13 à 15 de l'édition du Livre de Poche)

  Philippe Claudel est né en 1962 en Lorraine. Il est professeur d'université à Nancy. Son premier ouvrage, publié en 1999 est intitulé Meuse, l'oubli. Mais la reconnaissance et le succès critique viendront avec son roman Les Âmes grises, qui reçoit le Prix Renaudot et qui est adapté au cinéma par Yves Angelo. Il est aussi l'auteur d'un court roman sur l'altérité; La Petite fille de M. Linh (2005). Le Rapport de Brodeck parait en 2007 les lycéens lui décernent leur Goncourt . Son dernier roman s'intitule L'Enquête,  est paru cette année,  il évoque la question du totalitarisme et de la violence déja présente dans Le Rapport.

P. Claudel a aussi travaillé pour le cinéma, il a écrit un scénario original et  a réalisé Il y a longtemps que je t'aime, en 2008 (avec Elsa Zilberstein et Kristin Scott Thomas), ce film  obtenu le César du meilleur premier film.

   Le Rapport de Brodeck est un récit à la première personne, le héros éponyme est un survivant des camps de la mort, qui va être chargé de rédiger un rapport par ses concitoyens au sujet du meurtre d'un étranger venu résider dans leur village. Le roman est le récit de ce qui s'est passé, de ce que vit Brodeck pendant la rédaction du fameux rapport et aussi de ce qui lui est arrivé pendant  sa déportation.

  Notre passage est un extrait de l'incipit; les pages 13 à 15, qui nous permettent de faire un peu mieux connaissance avec Brodeck. On pourra se demander comment notre narrateur arrive à plonger le lecteur dans la perplexité et à créer une attente en nous penchant d'abord sur le narrateur-personnage, sa difficulté à s'exprimer et à raconter. Les autres, les villageois ont un rôle primordial d'initateurs, leur présence est forte et hostile. Enfin, la raison d'être du récit est de servir de rapport  sur un événement terrible et mystérieux qui n'est pas nommé mais  dont la violence est suggérée...

  1. Le narrateur : Brodeck

a) L'énonciation: première personne ("je", "moi"l 1 et 22, "me", ligne 28) Brodeck se pose comme le narrateur : "tout ce que je raconte". "Ils ont dit qu'ils voulaient que ça soit moi". Importance, le narr. est distingué par tous les autres, unanimement. Marques de 1ère pers dans tout le texte mais l 13, Brodeck s'inclut dans la communauté villageoise en utilisant "on"= nous, "On n'en pouvait plus, vous savez."= tout le monde était à bout, il ressentait la même chose.

L'objet du narrateur = son récit (récit d'un récit) , nombreux verbes du champ lexical du récit :"je raconte" (l 1), "dire" l 2 et 5, "je dirai" l 7, "je le redis" l 22

b) La contrainte : Brodeck a été contraint par les autres, choisi ;"ils voulaient". Il aurait su ne rien dire :"moi, j'aurai pu me taire"= mise en relief, insistance emphatique du pronom mis en tête de phrase = capacité, j'y serai arrivé, j'aurai réussi à garder le secret pour moi (l 22)/ "mais ils m'ont demandé de raconter, quand ils m'ont demandé cela" (l 22 et 23)= opposition. Cela peut d'ailleurs paraître paradoxal de vouloir garder la trace d'un crime au lieu d'essayer de le dissimuler. Il y a donc une volonté extérieure plus forte que Brodeck. Plus précis encore l 32 : "refuser ce qu'on vous demande... ce n'est pas possible, et c'est même très dangereux" (l 34) Brodeck n'est pas libre de refuser même si sa tâche va être très difficile à cause de ...

  1. la difficulté à raconter :  c'est d'abord juste dire les choses qui est difficile comme l'usage des points de suspension le suggère l 2 "juste après... après le ..."C'est aussi le choix des mots qui est délicat:"je ne sais pas comment dire" (l 2), disons l' événement, ou le drame, ou l'incident": impératif présent 1ère pers du pluriel du verbe dire= faisons cela + rythme ternaire, 3 substantifs différents, le premier est neutre, le 2e est connoté de façon tragique et le dernier est  réducteur, il contredit presque le 2e. Brodeck a soudain l'idée de se rabattre sur un mot de son dialecte germanique qui est l'idiome parlé par les habitants de ce village de l'Est de la France (qui évoque très fortement l'Alsace), il existe un rapport d'intimité entre les villageois et leur dialecte qui "épouse si parfaitement les peaux, les souffles et les âmes de ceux qui habitent ici." Cette métaphore insiste sur le triple aspect de cette correspondance parfaite entre les villageois et leur langue; elle se marie à leurs corps ("peaux" à l'extérieur et " souffles" à l'intérieur ) et fait partie de leur esprit ou mieux de leur essence (leurs "âmes")  Brodeck est donc très satisfait de sa trouvaille: "Oui, je dirai l'Ereigniëss" (l 7)

 Cette partie nous a donc permis de faire connaissance avec Brodeck, le narrateur, à qui on a confié une mission de la plus haute importance et qui exprime déjà sa solitude face aux Autres, c'est à dire tous les hommes du village...

  1. Les autres: le groupe face à  Brodeck seul

a) Le groupe face à un individu : tout au long du texte,  Brodeck fait sentir à quel point il est seul face à un groupe soudé qui exprime sa volonté "ils ont dit qu'ils voulaient que ce soit moi" (l 1) et "tous les hommes étaient là" (l 10). Une métaphore exprime fort bien le côté compact de ce groupe dont les 40 membres sont "serrés comme des joncs de saule dans un fagot, à s'étrangler" (l 16). Cette image met en valeur la solidarité de ces hommes si proches à cause de leur complicité et de l'exiguïté de la salle. La promiscuité de ces hommes est telle que le narrateur en donne une description très péjorative et très précise sur le plan olfactif; il évoque "leurs haleines", "leurs pieds" et insiste encore  sur "la poisse âcre de leur sueur, de leurs vêtements humides". Comme si cela ne suffisait pas, il cite aussi le fumier, le vin et la bière dont l'odeur colle aux vêtements. On conçoit sans peine que Brodeck les trouve malodorants, presque animaux s'ils ne sentaient pas l'alcool. Cette impression de  dégoût vient sans doute de l'écoeurement de Brodeck. Le mot qu'il utilise le plus pour désigner ce groupe qu'il doit affronter est le pronom personnel pluriel "ils". Comme le nombre fait la force,  Brodeck n'a pas le choix, il écrit : "J'ai accepté bien malgré moi."(l 35).

b) L'état d'esprit des autres: au moment où  Brodeck arrive à l'auberge, il trouve les autres dans un curieux état; malgré leur nombre, ils sont tous silencieux et isolés: "chacun était comme replié dans son silence" (l 15). L'ambiance des lieux est particulière car la salle ressemble à une "grosse caverne un peu sombre, étouffée de fumée de tabac et de fumée d'âtre" (l 11). Le substantif « caverne » est intéressant car il est connoté de façon à mettre en relief le côté primitif, grossier de cet abri, faisant ressembler ceux qui s'y cachent à des hommes préhistoriques. Pour se cacher encore plus, ils s'enveloppent dans les volutes de leurs pipes et du feu de bois. Brodeck les trouve donc en état de choc: "hébétés, assommés" (l12): ils n'ont pas encore pleinement réalisé ce qu'ils ont accompli, il évoque aussi un "moment de stupeur" à la ligne 36. Ils ignorent ce qu'ils vont faire, sont hésitants, comme le suggère l'expression "moment de bascule et d'indécision" (l 37).

  1.  La menace qu'ils exercent : ce que ressent pourtant  Brodeck à cet instant précis; c'est la menace qu'ils représentent pour lui et la pression qu'ils vont exercer pour le convaincre de devenir leur complice. Brodeck n'est pas dupe ; il est position de faiblesse car il est seul face à quarante brutes butées, leurs attitudes physiques sont révélatrices; "la plupart avaient les poings fermés": ils ne les ont même pas desserrés ou ils s'apprêtent à recommencer puisque celui "qui ouvrira la porte" pourra être considéré comme "un sauveur" ou taillé "en pièces" et c'est plutôt vers la seconde hypothèse qu'ils ont l'air de pencher.  Brodeck fantasme sur les mains cachées dans les poches, il les imagine crispées, "serrées autour des manches de leurs couteaux." Il se sent très fortement menacé au moment où il pénètre dans l'auberge mais aussi précisément quand il écrit les lignes que nous lisons. Il perçoit la menace de manière insidieuse "je sens maintenant dans mon dos des choses, des mouvements, des bruits, des regards." (l 27) il utilise ici le présent d'énonciation. Ce ne sont pas des menaces explicites ou visibles et cela les rend d'autant plus pernicieuses.  Brodeck a l"impression d'être devenu une proie, "je me demande si je ne me change pas peu à peu en gibier avec toute une battue à mes trousses" (l 29) Le terme "battue" est très révélateur du sentiment de peur éprouvé, Brodeck a tout le village contre lui, il s'est changé en meute (métaphore filée de la chasse). La présente menaçante des habitants est si forte que  Brodeck se sent à nouveau prisonnier, comme quand il était déporté. Il exprime cette affreuse condition par une phrase au rythme ternaire qui joue sur l'accumulation: "je me sens épié, traqué, surveillé", il a perdu toute liberté; d'abord de geste: "comme si toujours désormais il y avait quelqu'un derrière mon épaule" (l 30-31). On relève l'usage de deux adverbes de temps : "toujours"  exprime la permanence et "désormais" insiste sur la naissance fatidique de ce sentiment. L'absence de liberté est même perceptible jusque dans ses pensées, puisque Brodeck a l'impression qu'ils pourront aller jusqu'à "lire dans (s)on cerveau"( l 31).(Cela fait penser à la police de la pensée imaginée par G Well dans sa dystopie 1984.) Il est donc entièrement sous leur pouvoir menaçant...

  1. L'événement :

a) Sa proximité dans le temps et dans l'espace : "ça s'est passé à l'auberge Schloss, il y a environ trois mois". Le nom de l'auberge "Schloss" signifie château et serrure en allemand, en tout cas, ce nom suggère un lieu fermé, une forteresse, un secret (verbe schlieβen = fermer à clé), n'oublions pas qu'elle est comparée à une caverne... Il est proche dans le temps (3 mois) et le récit est son voisin « juste après... » Ligne 36, Brodeck explique qu'il s'y est retrouvé « au mauvais moment », « quelques minutes après... » Il y avait été envoyé par Fédorine qui avait besoin de beurre. Ce motif domestique n'est pas évoqué dans notre extrait mais disons qu'il tranche par son côté anodin et c'est d 'autant plus ironique et cruel d'être allé à l'auberge justement à ce moment-là... On peut commenter aussi l'utilisation de l'adverbe « environ » à la ligne 2 qui signifie « à peu près », comme si  Brodeck ne se souvenait pas de la date précise du moment. Cette approximation peut sembler paradoxale pour un jour si important dont la date devrait être gravée à jamais dans son esprit. Il retarde aussi l'événement en utilisant le futur, l 31: « j'y reviendrai » il rejette donc la révélation, au moins provisoirement, de cette façon.

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