La Tirade De Créon

de la collectivité : « Et toi non plus, tu n'as plus de nom, cramponné à la barre. »

2. Persuader Antigone de renoncer à son projet

a. Créon adopte un style lyrique et laisse éclater ses sentiments :

• On voit son ardent désir de la persuader, pour la sauver, car il a de la tendresse pour elle et il sait que son fils l'aime. Il utilise des procédés d’éloquence : des impératifs (« essaie de comprendre... ! ») des questions oratoires (« crois-tu, alors, qu'on a le temps... ? »).

• il est agacé par les idées Antigone, qu'il trouve irréalistes, et il reprend ironiquement ses termes dans une phrase « crois tu, alors, qu'on a le temps de faire le raffiné, de savoir s'il faut dire « oui » « non », de se demander s'il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? »

b. Il interpelle violemment Antigone et la didascalie précise même qu'il « la secoue soudain, hors de lui. » : le jeu scénique vient renforcer la violence de ses propos. Il se laisse même aller à des jurons et des injures : « bon Dieu», « petite idiote »

c. Toute la scène qu'il décrit, avec sa métaphore filée, constitue une sorte de fable pour illustrer son argumentation, et il veut en tirer une morale, pour persuader Antigone.

[bilan partiel et transition] : Créon a donc cherché dans cette tirade à convaincre et persuader Antigone du bien-fondé de son attitude. Il lui a montré qu’un homme d'état est placé devant un dilemme insoluble et ne peut, s'il est vraiment responsable, que punir impitoyablement : la raison d'état l’exige.

Axe 2 : les objectifs d'Anouilh

1. Par la bouche de Créon, Jean Anouilh brosse ici un tableau très noir de la France de 1944 au milieu de la débâcle allemande, la France n'a plus de chef. Qui va avoir le courage de remettre de l'ordre dans un pays totalement désorganisé ? Ils ont beau jeu, les puristes comme Antigone qui ne veulent pas « se salir les mains » !

2. Les pronoms personnels que Créon utilise pour se désigner lui-même sont variés : « je », au début; puis « on » pendant toute la métaphore ; « vous » à la ligne 29, et enfin « tu ». C'est une façon d'interpeller les spectateurs, afin qu'ils puissent s'identifier éventuellement à lui.

3. Pour décrire la situation, Anouilh utilise l'image du navire dans une tempête, représentant l'État en danger : « Cela prend l'eau de toutes parts », « le gouvernail est là qui ballotte », « et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer » : anaphore du et pour donner de la force à son expression.

La population est représentée par l'équipage, au comportement irresponsable souligné par l’énumération : « c'est plein de crimes, de bêtise, de misère... ». « L'équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu'à piller la cale ». Les officiers, c'est-à-dire les notables du pays, ne valent guère mieux : ils sont égoïstes et lâches. Ils ne pensent qu'à «sauver leur précieuse peau, et leurs petites affaires » : ironie amère des adjectifs précieuse et petites « Ils sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d'eau douce.» Le résultat sera que « toutes ces brutes vont crever ensemble ». Les spectateurs ne peuvent pas ne pas faire un rapprochement avec la situation de la France sous l'Occupation, et voir dans ces métaphores des allusions directes à la fuite des corps dirigeants à l'arrivée des Allemands, aux profiteurs de guerre qui pillent et s'enrichissent avec le marché noir, à la collaboration honteuse de certains avec les nazis...

4. Le vocabulaire moderne et familier de Créon constitue une sorte d'anachronisme, il contraste avec la dignité de sa fonction et son époque : «tirer dans le tas », « gueule », «crever ».... : encore une façon d'inciter à un rapprochement avec l’époque contemporaine.

[Bilan partiel] Les contemporains d'Anouilh ont été troublés par cette pièce qui brossait un tableau si réaliste et si cruel de la France, et par l'affrontement tragique entre deux visions du monde : celle de la petite Antigone qui rêve de pureté