DissertationsEnLigne.com - Dissertations gratuites, mémoires, discours et notes de recherche
Recherche

Molière, « Dom Juan », Acte I Scène 2 - Tirade De Don Juan : l'Éloge De l'Infidélité [1]

Mémoire : Molière, « Dom Juan », Acte I Scène 2 - Tirade De Don Juan : l'Éloge De l'Infidélité [1]. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires
Page 1 sur 12

quisitoire contre la fidélité et éloge de l’inconstance

Don Juan se présente comme un homme libre qui n’admet aucun obstacle à sa liberté. C’est pourquoi la fidélité lui paraît le pire ennemi de l’amour : « La belle chose que de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle ». La fidélité est un emprisonnement volontaire qui, en forçant à faire un choix, élimine les autres possibilités que le libertin entend maintenir la plus largement ouvertes. Elle est la mort de la passion amoureuse, car la possession enlève au désir sa force et son attrait : « lorsque en est maître une fois (…) tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour «. Voilà pourquoi le meilleur de l’amour est dans la fraîcheur de ses débuts, dans l’excitante nouveauté des « inclinations naissantes ». Don Juan refuse la tiédeur en amour. Il veut que son désir conserve sa fièvre et son impatience. En fait, ce qu’il désire, c’est le désir lui-même. On peut dire que le désir du plaisir l’intéresse moins que le plaisir du désir. C’est pourquoi peu lui importe qui il aime pourvu qu’il aime. Par cette conduite narcissique dans laquelle il se plaît d’abord à lui même, Don Juan cherche à échapper à l’espace et au temps.

Pour dure, l’amour doit donc, pour lui, reposer sur l’inconstance, qui par attrait de la nouveauté maintient le désir en alerte : « tout le plaisir de l’amour est dans le changement ». Cette phrase définit le donjuanisme, qui fait de la multiplication des conquêtes la condition de l’amour. Don Juan est le contraire de Tristan pour qui Yseult est le seul et unique amour de sa vie. A l’éternité de la passion amoureuse, Don Juan oppose la succession fiévreuse des instants. A la « passion » au singulier, il préfère le pluriel des rencontres multipliées qui satisfont son désir de totalité, marqué par la répétition de l’adjectif « toutes » : « Toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée par la première en doit point dérober aux autres les justes prétentions quelles ont toutes sur nos cœurs ».

II-Le charme de la beauté

Don Juan justifie cette inconstance par l’attrait irrésistible qu’exerce sur lui la beauté féminine : « Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne ». Toujours à la recherche du plaisir des sens, il est immédiatement sensible à la beauté qui se présente à lui et, comme s’il cédait à une urgence, il veut sans attendre tirer plaisir d’elle : « je ne puis refuser mon cœur à tout ce que vois d’aimable, et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous ». L’amour a sur lui un pouvoir fatal et inévitable, que traduisent les mots « ravit » , « cède », « entraîne », ou encore « charmer », qui a au XVIIème siècle un sens fort et veut dire « envoûter », « ensorceler ». Le libertin a besoin de cet envoûtement. Paradoxalement si le séducteur est actif et dominateur lorsqu’il attaque ses proies, il est passif dans le désir.

III-Art de l’amour, art de la guerre

Mais il y aussi dans cette conception de l’amour un plaisir de la séduction qui prend la forme d’un combat amoureux et apparente l’art de l’amour à l’art de la guerre. La femme est présentée comme un ennemi dont l’amant libertin veut triompher exactement comme dans une lutte armée. C’est le vocabulaire militaire qui décrit l’entreprise amoureuse : « On goûte une douceur extrême à réduire par cent hommage le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances quelle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur ». L’amour est pour le libertin une façon d’assouvir un besoin de puissance et de domination. Rappelons que l’aristocratie a perdu après la Fronde, complot manqué de la noblesse contre l’Etat, une partie de ses prérogatives habituelles en matières de guerre et de diplomatie. Louis XIV, pour domestique les grands seigneurs naturellement rebelles à la monarchie absolue, les a transformés en courtisans inoffensifs dans la prison dorée de Versailles. La littérature et la galanterie devinrent alors des compensations grâce auxquelles ils pouvaient en partie assouvir leur volonté de puissance.

B – Un portrait du libertin

Cette profession de foi sur l’amour nous permet aussi de nous faire une idée plus précise de la personnalité du libertin.

I-Liberté absolue, instabilité perpétuelle.

Ce qui frappe d’abord, c’est sa revendication d’une liberté absolue. L’inconstance suppose en effet une disponibilité complète et le refus de s’attacher : » je ne puis refuser mon cœur mon cœur à tout ce que je vois d’aimable, et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous ». Don Juan ne supporte pas l’idée d’être lié définitivement à une femme. C’est pourquoi sa frénésie amoureuse est aussi une fuite et une peur de la dépendance. D’une façon provocante, il remet en cause les règles morales traditionnelles et notamment le mariage qui consacre socialement l’amour : « Quoi ! tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, te qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? » En disant cela il pense à sa femme Elvire qu’il vient de quitter et à qui il va devoir rendre des comptes. Mais ce désir de liberté totale a pour conséquence une instabilité et une insatiabilité sans répit. Don Juan ne peut demeurer en repos. Sa vie est une perpétuelle fuite en avant. Il lui faut agir sans arrêt sous peine de tomber dans l’ennui : « j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits «. Le libertin est donc au moins esclave de son désir sensuel. Il le justifie par la très haute idée qu’il a de lui-même.

II-Orgueil et mépris des autres

Don Juan est en effet plein d’orgueil. Ceux qui choisissent la tranquillité bourgeoise de la fidélité, les amours molles et souvent médiocres du mariage, s’attirent son mépris : « Non, non, la constance n’est bonne que pour les ridicules ». Il a besoin quant à lui du risque et du danger de la passion amoureuse, qui le met au ban de la société. Il devra par exemple affronter les frères d’Elvire qui voudront venger le déshonneur de leur sœur. Cette situation lui plaît. Il considère qu’il est le plus fort et que rien ne peut entraver son appétit de domination : « Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs ». Cet orgueil l’entraîne à la mégalomanie. Il se compare à Alexandre, le célèbre conquérant antique, qui était au XVIIème siècle, chez les moralistes et les prédicateurs, le symbole de la démesure. L’amour n’est donc pas pour lui une fin, mes un moyen de s’affirmer.

Il le considère en esthète, c'est-à-dire en attachant plus d’importance à sa façon d’aimer qu’aux gens qu’il aime. L’amour est un art, indépendant de ceux qui le pratiquent. Les femmes sont pour le libertin des jouets dont il se lasse aussi vite qu’il s’est épris d’elles. Plus que des individus, il a le culte de la beauté : « la beauté me ravit partout où je la trouve ». En esthète raffiné, il sait jouir du plaisir de la contemplation, comme en témoignent les nombreuses références au regard : « tu veux […] qu’on n’ait d’yeux pour personne », « les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux «, « je conserve des yeux pour voir », « tout ce que je vois d’aimable ». Quand il séduit une femme, Don Juan attache, par ailleurs, un grand soin à chacune des opérations qui le conduisent à la victoire finale.

III- Hypocrisie, corruption, volonté de pouvoir

Manipulateur subtil et maître absolu des apparences, Don Juan a, comme arme favorite, l’hypocrisie. L’amour est pour lui une comédie dont il connaît tous les mécanismes. Il sait habilement flatter la proie qu’il approche, en lui rendant « cent hommages ». Il sait utiliser la pitié grâce qu pouvoir « des transports » [au XVIIème siècle, émotion vive et passionné qui emporte celui qui l’éprouve], « des larmes et des soupirs ». Son plaisir est accru par sa conscience de faire mal. Il aime corrompre les jeunes femmes naïves et salir « l’innocente pudeur d’un âme qui a peine à rendre les armes ». Avec sadisme, il se délecte des tourments qu’il inflige à la femme qu’il dévoie, en venant à bout des « scrupules dont elle se fait honneur ». Hypocrisie, corruption, tels sont les piments dont le libertin a besoin pour aimer. Sans aucun respect de la personne humaine, il fait de l’amour une occasion d’améliorer son style et d’affirmer sa maîtrise. Le sentiment joue pour lui un rôle moins important que la volonté. Son plaisir suprême est de voir les faits coïncider avec son désir et le résultat confirmer son projet, en menant sa victime où il a « envie de la faire venir ». Dans cette affirmation de soi, le langage joue un rôle primordial, qu’il importe maintenant

...

Télécharger au format  txt (16.8 Kb)   pdf (135 Kb)   docx (11.8 Kb)  
Voir 11 pages de plus »
Uniquement disponible sur DissertationsEnLigne.com