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La Vie Devant Soi

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rd, d'une nuit de champagne ou de détresse. Roman préfère croire à la nébuleuse Mosjoukine, russe blanc, noble et glorieux.

A Nice ils vivent quelques mois dans un appartement de deux pièces, avenue Shakespeare. Ensuite leur foyer est un hôtel, aussi cosmopolite que la ville : l'hôtel pension Mermonts, situé boulevard Carlonne, au n° 7 de l'actuel boulevard François-Grosso, au carrefour de la rue Dante. Romain vit avec sa mère, nommée gérante par le propriétaire du Mermonts. Enfin à l'abri des révolutions et de la pauvreté, elle a installé son fils comme un prince, tandis qu'elle s'est attribué la chambre la plus petite et la moins aérée, sous les combles.

Les Kacew ne pratiquent aucune religion. Ils ne fréquentent pas non plus la synagogue de la rue Deloye. Juifs par l'état civil, ils ne cherchent pas à se mêler à d'autres familles de leur confession. Nina Kacew a éliminé le problème : elle ne parle pas de Dieu, et elle évite de rappeler ses origines. Russes à Nice, Juifs dans la société russe, athées parmi les Juifs, les Kacew n'appartiennent à aucun clan ni à aucun groupe : ils vivent l'un pour l'autre, seuls, en marge de toute fraternité de l'exil. Nina a élevé Romain dans le culte de la France. Elle a toujours associé la France à la réussite et au bonheur. Elle reporte sur son fils les ambitions dont elle a été frustrée - des ambitions si hautes, si folles apparemment qu'elles ressembleraient à des châteaux en Espagne. Elle est prête à tous les sacrifices pour que son fils, démesurément aimé, devienne académicien ou ambassadeur de France …..

Nina a dû accepter, pour survivre, les métiers les plus humbles : elle a toiletté les chiens, pris en pension des chats et des oiseaux, et fait des ménages. Comme elle est belle, et possède des manières de grande dame, elle a obtenu de tenir une petite vitrine à l'hôtel Negresco : elle y a vendu à la commission des cravates, des foulards, des parfums à la clientèle du palace. Diabétique, victime de plusieurs comas hypo-glycémiques, Nina commence et finit ses journées à l'insuline. Et cependant sa maladie ne l'empêche ni de travailler ni de sourire. On la voit monter et descendre vingt fois par jour l'escalier de la pension.

Timide, sauvage même, Romain grandit dans l'ombre de cette mère courageuse et orgueilleuse à laquelle il obéit encore comme un petit enfant. C'est une mère juive, adorante et despotique, volontaire et dominatrice. Elle pousse Romain à réussir, à se surpasser. Il s'exécute par respect autant que par amour. On ne voit pas au nom de quoi il aurait refusé de devenir Romain Gary, d'égaler D'Annunzio, sauver la France, puis accepter de la représenter à l'étranger. A treize ans Romain est un adolescent tendu vers un futur qu'il discerne mal et ne sait comment aborder. Un adolescent sévère, concentré sur une angoisse et des projets qu'il ne livre à personne.

Au lycée de Nice Romain est un bon élève, il possède un don d'écrire et une maturité rares. Cette adolescence niçoise, Romain Gary la racontera un jour, à grands traits imprécis, dans le roman qui passera pour le plus autobiographique de son oeuvre, La promesse de l'Aube, où sous le masque de l'écrivain reconnu et fêté, perceront encore toutes les tendresses et les blessures du jeune homme d'autrefois. Pourtant on y chercherait en vain les détails rigoureux d'une biographie. C'est l'atmosphère de Nice, avec ses tentations et ses misères, qui est décrite. C'est surtout l'amour d'une mère et d'un fils, amour possessif et exigeant, qui est au centre de cette histoire, tracée par une plume très pudique. Au coeur de ce récit, la figure excessive de sa propre mère : mère chimérique, tyrannique, encombrante, fantasque, possessive jusqu'au sacrifice de soi, vouant son fils au succès les plus fous pour mettre au clou ses propres déboires, rêvant Romain comme lui-même l'inventera plus tard. Le récit est extravagant, comme ses personnages. Qui, sinon une mère à l'imagination slave, pourrait croire en la vérité d'un tel destin ? Que le fils émigré d'une théâtreuse russe jouant sa vie comme son dernier rôle, abandonnée par son époux, élevant seule son enfant, luttant contre la misère et les sarcasmes sans jamais désespérer de cette terre promise qu'était la France légendaire des droits de l'homme ; qu'un tel rejeton puisse devenir compagnon de la Libération, consul général de France, officier de la Légion d'honneur, il faut tout le génie de la plume de Gary, sa puissance créatrice, pour y croire. Sur son passé, Gary n'a pas menti. Il n'a rien inventé. Il a plutôt travesti une vérité trop sordide, trop laide et qui l'a fait souffrir. Il enjolive quand il raconte, il poudre, il farde, il paillette sa vie. Moins mythomane que magicien dans sa manière de tout enchanter, poétiquement.

A propos de La promesse de l'aube Gary dira " Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné […] Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de puits, il n'y a que des mirages […] Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer.

Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine ". Tout est dit. Rien n'est épuisé.

Après des études à la faculté de droit d'Aix-en-Provence et à la faculté de droit de Paris, Gary apprend le métier d'aviateur. Plus tard il rejoint la France Libre et est incorporé dans les forces aériennes françaises libres. En 1944 il publie à Londres son premier roman qui deviendra en français " l'Éducation européenne ". La même année il épouse Lesley Blanch. Petite, menue, blonde, elle évoque une poupée en biscuit, anglaise précisément, fragile et précieuse. Elle a trente-sept ans (soit sept années de plus que lui) et une carrière de journaliste d'excellente renommée. Rédactrice à Vogue, elle s'occupe en particulier du cinéma et du théâtre, milieu où elle est connue, appréciée, parfois redoutée. Entre eux, l'humour sera, avec la complicité littéraire, le meilleur ciment.

Nommé Secrétaire d'ambassade à Sofia (Bulgarie), puis premier secrétaire d'ambassade à Berne (Suisse), Chargé d'Affaires à La Paz (Bolivie), Consul Général de France à Los Angeles, Gary poursuit une carrière fulgurante.

En 1956, alors qu'il se trouve en Bolivie, il apprend qu'on lui a décerné le prix Goncourt pour " Les racines du ciel ". Rentré à Paris, la diplomatie, la politique, la littérature, le Tout-Paris honorent Romain Gary. Gary soigne sa publicité, cultive sa différence, sa moustache à la Clark Gable, son allure hautaine et sa voix charmeuse. Il joue les stars, posant pour Paris Match au zoo du bois de Vincennes, où il offre des quignons de pains à ses amis éléphants, ou s'affichant dans les rues de Paris avec un bonne de coton bolivien, orange et vert, qu'il a acheté au marché de La Paz. Sa légende s'étoffe. Théâtral, cabotin, résolument mystificateur, Gary sait d'expérience que le succès passe par la comédie. A sa parution " Les racines du ciel " " divise la critique, et pose la question du style : Gary est-il ou n'est-il pas " un bon écrivain " ? Les avis sont partagés. Gary connaît ses faiblesses mais ne laisse pas toujours à son éditeur le temps de " peigner " ses livres. Dès qu'il l'a achevé, il faut que son roman paraisse, de toute urgence, même un peu en désordre, et dans sa brutalité. Une deuxième édition des Racines, après le Goncourt, éliminera les plus grosses erreurs.

En 1957 à Los Angeles il participe à la vie hollywoodienne. C'est là qu'il rencontre Jean Seberg. Elle a vingt et un an. Lui, quarante-cinq. Elle est blonde, pâle et claire, près de ce Consul de France qui ressemble à un mexicain. Elle est célèbre. Encore plus que lui. Elle a donné son visage à la " Jeanne d'Arc " d'Otto Preminger. Elle a joué Cécile, dans " Bonjour tristesse ", d'après Sagan, et elle vient d'achever le tournage d' "A bout de souffle " au côté de Jean-Paul Belmondo, sous la direction de Godard. Sa coiffure taillée à la serpe, à ras, elle n'en paraît que plus féminine, plus fragile, sous ses quelques mèches très douces, qui accentuent en elle la pureté des traits, la perfection du contour. D'une beauté qui se moque des fards, cette très jeune femme attire Romain au premier coup d'oeil. Elle correspond si bien à l'idéal féminin de ses romans, qu'il a l'impression de tomber amoureux de l'une de ses créations, et de voir son rêve prendre corps. Entre un mariage de raison et des amours de quelques nuits, il rencontre enfin une femme issue de son propre

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