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Les Classes Moyennes à La Dérive. Lousi Chauvel

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e feu de la création sociétale pour le donner ensuite aux hommes et aux femmes de toutes les classes sociales. Cette stratégie de diffusion était en elle-même porteuse de progrès : une fois les anciens privilèges partagés avec les classes populaires, il était temps d'en exiger de nouveau. Désormais, ce n'est plus le cas, les classes moyennes sont avant tout une classe anxieuse, sans projets porteur pour la société dans son ensemble. Chapitre 1 : Définir les classes moyennes Idée selon laquelle la société est peu ou prou hiérarchisée et que les « classes moyennes » sont en sandwich entre une classe supérieure et une classe populaire. Définition des classes moyennes qui avait cours lors de la fin des Trente Glorieuses : 1. Les classes moyennes seraient celles dont le niveau de rétribution s'approche de la moyenne (en 2006 un peu plus de 1850€ de salaire mensuel net, si l'on restreint l'analyse aux salariés à temps plein toute l'année) 2. Elles seraient définies par la position intermédiaire de leurs membres dans les hiérarchies sociales et professionnelles, ainsi que dans les échelles de qualifications, marquées par une expertise ou un pouvoir organisationnel moyen. La catégorie des professions dites « intermédiaires » formeraient alors le noyau central de cet ensemble auquel s'ajouteraient de larges fractions des cadres et professions intellectuelles supérieures, et éventuellement les groupes d'employés les plus qualifiés ainsi que les contremaîtres ;

3. Elles se définiraient aussi par un sentiment d'appartenance, moins statique que dynamique, notamment par le fait d'identifier son sort – ou celui de ses enfants – à celui de ce groupe intermédiaire. Cette représentation est avant tout marquée par une idéologie du progrès, puisque, au moins dans les représentations, qui rentre dans la classe n'en sort pas, sinon par le haut. Un examen approfondi des deux premiers critères révèle de nombreux paradoxes. En France, l'idée de « classes moyennes » évoque celle de classes proches de la moyenne, au sens arithmétique du terme. Immédiatement surgit une question : la moyenne de quoi et de qui ? Exemple : le salaire. En 2002, en ne considérant que les salariés à temps plein, le salaire mensuel net moyen avoisinait 1850€. C'est à peu près la paye d'un maître de conférences des universités débutant de plus de trente ans (souvent à Bac +10), ou celle d'un ouvrier qualifié de la manutention en fin de carrière. Le premier peut certes espérer tripler son revenu au terme d'une bonne carrière, alors que le second voit les jeunes débuter à 300 euros plus bas. Derrière cette moyenne il y a donc de très fortes disparités : ceux situés au-dessus exprimeront avec modestie leur satisfaction, modulée peut-être par le sentiment de mériter plus, et ceux en dessous dissimuleront peut-être leur frustration. Au même moment, la notion de classe moyenne supérieure doit être relativisée : les 11,5% du salariat membres des deux groupes les plus élevés constituent en France une certaine forme d'élite sociale, mais ils représentent aussi 38% des habitants de Paris intra-muros, où ils risquent d'avoir le sentiment de ne surnager qu'à peine au-dessus de la moyenne. L'analyse du revenu du travail salarié offre une vision très simple du social : par définition ; réfléchir en termes de salaire à temps plein permet d'éviter toute considération sur le chômage, sur les récipiendaires du RMI, sur les nombreux travailleurs pauvres... Cela met également à l'écart les populations indépendantes non salariées, les ménages comptant deux apporteurs de ressources sans enfants... Le salaire offre ainsi une vision simple, mais aussi excessivement simpliste. Pour compléter cette analyse, il faut s'intéresser à l'ensemble des revenus disponibles, en particulier après l'impôt sur le revenu, et aux effets de composition de ces revenus en fonction des structures familiales ; un célibataire n'ayant pas forcément les mêmes besoins qu'une famille de cinq enfants. Les classes moyennes sont-elles une classe ? La formation d'une classe exige l'alliance de deux facteurs simultanés. Le premier relève de l'existence d'une position économique spécifique, susceptible de définir des conflits d'intérêt avec les autres classes en présence. Le second relève de la prise de conscience d'une communauté de condition et de destin au sein de cette classe. Le premier facteur est objectif, le second subjectif (on retrouve ici Marx :classe en soi, classe pour soi). Il ne suffit pas de se ressembler pour se rassembler. Le monde des classes moyennes offre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un exemple de structure sociale objectivement friable, mais capable de susciter une prise de conscience et un sentiment d'adhésion puissant, même au sein de populations qui ne devraient en aucune façon s'y assimiler raisonnablement. La capacité de l'appellation « classe moyenne » à fédérer sous son nom des groupes sociaux qui ne s'en approchent en rien relève des plus belles errances sociologiques. En effet, dans une enquête de l'Ifop réalisée pour la Fondapol en 2010, 65% des sondés se déclaraient appartenir à ce groupe. L'adhésion subjective était complétée par une forte dimension culturelle. Les classes moyennes se firent porteuses d'une nouvelle morale d'émancipation dont 1968 reste la référence symbolique. Cette morale se fondait partiellement sur la démocratisation de valeurs et de comportements typiques des hautes bourgeoisies et des milieux artistiques qui, dans l'Europe centrale de la Belle-

Epoque inventèrent notre modernité culturelle. Il y a eu un grand pouvoir de séduction de cet esprit. Ainsi, les classes moyennes forment une structure singulière : plus encore que la paysannerie française parcellaire du temps de Marx – une classe « sac à patates » – , la classe moyenne forme un ensemble hétéroclite dont l'unité s'est fondée, un temps, sur l'espoir d'un changement social et culturel radical, virtuellement partagé par l'ensemble de la population. La classe moyenne est-elle une classe de frustration ? Pour le Pierre Bourdieu de La Distinction, oui. Les catégories moyennes et les « fractions dominées de la classe dominante » que sont notamment les enseignants, vivent une contradiction entre leur position culturelle de représentants de la méritocratie scolaire et leur sort réel dans les espaces économiques (salaires restreints) et politique (accès à la représentation). D'où une profonde frustration. C'est ce qu'il nomme la misère de position. Catherine Bidou, dans Les Aventuriers du Quotidien (1984), détectait au contraire une participation exceptionnelle au tissu associatif et une propension à prendre le pouvoir localement en colonisant systématiquement la société civile dans les domaines éducatifs, culturels, voire dans la décision politique par la voie élective. Loin d'être frustrées, les aspirations de ces classes moyennes, quoique démesurées relativement à leur importance numérique dans la population, trouvaient un assouvissement plus que proportionnel dans les réalités sociales. Pourtant, cette singularité dans l'espace social a duré le temps d'une éclipse, puisque du point de vue des frustrations des classes moyennes, le long terme pourrait s'avérer plus proche des cauchemars bourdieusiens. Chapitre 2 : Que se passe-t-il dans la société française ? « La France va mieux » (Lionel Jospin, 19 mars 2002). C'est le diagnostic que propose une lecture un peu superficielle des indicateurs moyens disponibles concernant la société française. Une lecture plus approfondie des données révèle pourtant, au fond de la soute, d'importantes voies d'eau. Le paradis social perdu. Voilà trois décennies que la société française regrette les Trente Glorieuses. L’année 1983 est aussi la fin d'une séquence présentée par Henri Mendras comme « la seconde Révolution française », véritable bouleversement de l'univers des valeurs et des représentations religieuses, morales et éthiques, mais aussi des formes sociales et culturelles, dont les événements de 1968 ont marqué la prise de conscience. Ces dynamiques propices à l'optimisme sont tombées. Cette société de post-abondance n'est pas marquée par de franches régressions du pouvoir d'achat sur l'ensemble de la population. Il reste que les gens de condition intermédiaire, ne disposant pas d'un gros patrimoine, font face à des difficultés inattendues et à des frustrations objectivement explicables, puisqu'ils n'ont guère bénéficié des brèves embellies de la croissance. Le discours ambiant en 1999-2001 au sujet d'une amélioration économique dont ils ne voyaient pas la couleur a eu un effet délétère : il donna l'impression d'un discours creux, tenu par des aveugles. Alors que les années 1950-1975 avaient été une séquence fabuleuse pour la consommation (avec la découverte par les classes populaires de l'automobile, de la propriété du logement, de la salle de bain dans le logement...), la période 1975-2006 semble nettement plus morose. Pour ne pas voir ses chances reculer, il faut obtenir une promotion, avoir de la chance ou bénéficier des plus-values d'une épargne. Dès lors, l'essentiel de la population, celle qui n'a d'autres ressources que son travail, vit dans une société de quasi-stagnation. Pour les plus vulnérables apparaissent les problèmes d'un logement social dégradé,

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