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Classes Sociales Et Territoires

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rverons dans une première partie que la répartition des individus sur le territoire semble recouper une division en classes sociales. Puis dans une deuxième partie, nous montrerons que le territoire est l’enjeu de luttes sociales. Enfin, nous pointerons les limites à l’homologie entre territoires et classes sociales.

Attendu que 75% de la population française est urbaine et qu’un français sur cinq vit dans l’agglomération parisienne, nous nous centrerons ici sur les grandes agglomérations françaises.

I- Les territoires : lieux d’expression des différences de classes sociales

a. La division spatiale recoupe la division de la société en classes sociales

Le sociologue français Maurice Halbwachs a proposé une approche originale des classes sociales avec sa théorie du « feu de camp » : dans la société, il y aurait un noyau « chaud », actif où la vie sociale serait plus intense, et qui serait caractéristique des classes sociales favorisées. A l’inverse, les classes populaires seraient éloignées de ce noyau et la vie sociale y serait bien plus plate, plus morne. Cette analyse est transposable à l’espace urbain puisque l’on note que dans la majorité des villes françaises, le centre-ville où bouillonne la vie culturelle, intellectuelle et commerciale est, en général, accaparé sur le plan résidentiel par les classes les plus favorisées. A l’inverse, la caractéristique première des « quartiers de relégation » où résident des populations défavorisées est très souvent leur éloignement du centre des villes. Loïc Wacquant fait justement remarquer qu’en Europe « la relégation dans ces concentrations de logements publics en déshérence à la périphérie des villes se fonde prioritairement sur la classe et non l’appartenance ethnique [à l’inverse des Etats-Unis] ».

Plus généralement, on observe une division spatiale qui recoupe la structure sociale. L’agglomération parisienne en fournit un exemple éclairant : l’ouest parisien est celui de la bourgeoisie et de l’aristocratie, où les prix fonciers et immobiliers sont très élevés. A Neuilly par exemple, on observe une très grande concentration d’assujettis à l’ISF (impôt sur la Fortune). A l’est et au nord au contraire les classes populaires sont surreprésentées. De même, comme le souligne Anne Wyvekens, on observe dans la France contemporaine un mouvement de périurbanisation qui accompagne le gonflement des classes moyennes. Celles-ci ne peuvent s’installer dans les quartiers chics, faute de moyens, mais bénéficient des ressources qui leur permettent d’accéder à la maison individuelle et de profiter des avantages de la ville. La division en classes sociales (au sens nominaliste, wébérien du terme) du territoire ne fait donc guère de doutes. E. Maurin peut ainsi affirmer que les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres ne se mélangent pas.

b. La mobilité sociale s’accompagne fréquemment d’une mobilité géographique

Autre preuve de l’homologie qui existe entre les territoires et les classes sociales, les individus changent fréquemment de lieu de résidence lorsque leur situation économique se modifie. Ainsi, si les grands ensembles construits dans les années 1960 et 1970 ont été occupés à leurs débuts par des catégories populaires et moyennes, les classes moyennes ont progressivement quitté ces quartiers jugés inconfortables, inadaptés, pour accéder à la propriété individuelle dans les quartiers pavillonnaires de banlieue. On peut d’ailleurs rappeler que sous le terme « banlieue » existe en réalité une grande diversité de territoires. En conséquence, Sophie Body-Gendrot et Catherine Withol de Wenden notent qu’« entre 1990 et 1999, 61% des habitants de ZUS (zones urbaines sensibles) ont changé de logement, et les deux tiers de ceux-ci ont définitivement quitté la ZUS ».

Ce qui fait aussi la différence entre les classes sociales, c’est l’accès à la mobilité. Laurent Davezies et Pierre Veltz, estiment que selon les différents classes sociales, le rapport au territoire est différent. Pour ces deux chercheurs, il y aurait deux grands types de « perdants » : d’un côté, les immobiles, membres des classes défavorisées, sont assignés à résidence pour des raisons d’insuffisance de revenus ou d’infrastructures de transport ; d’un autre côté, les hyper-mobiles, plutôt membres des classes moyennes qui vivent dans des communes périurbaines et qui doivent parcourir des distances de plus en plus longues : « entre le cadre parisien, par exemple, qui dispose du vélo et du métro, et l'employé ou le cadre moyen de banlieue, condamné à l'automobile et qui consacre, sans toujours bien le mesurer, une part de son budget 4 à 5 fois supérieure aux transports quotidiens, l'écart s'est creusé ». Encore une fois, ce sont les classes favorisées qui vivent en centre-ville ou à proximité qui jouissent de la meilleure « approche » de l’espace : par exemple, ils n’ont pas beaucoup de distance à parcourir au quotidien pour aller sur leur lieu de travail ou pour consommer (loisirs et dépenses courantes), mais grâce à leurs revenus, ils font de longue distance le week-end ou pour les vacances pour rejoindre des lieux de villégiature privilégiés.

II- Le territoire : un enjeu pour les différentes classes sociales

a. Cette ségrégation relève de véritables stratégies de classes et de phénomènes de domination

La distribution des espaces de la ville semble également refléter les inégalités, voire des rapports de domination qui existent entre les différentes classes sociales. Ces dernières s’opposeraient alors dans une lutte pour l’appropriation des espaces, conformément à l'approche marxiste : les classes supérieures parviennent à s’approprier les territoires les plus agréables. Les quartiers bourgeois bénéficient en général d’infrastructures de meilleures qualités (commerces, administrations publiques, transports) alors que les quartiers de relégation cumulent les handicaps : environnement dégradé (insalubrité des logements, bruit et pollution liés à la proximité d’une autoroute), espaces éloignés des centres d’activité et de loisirs, transports en commun de médiocre qualité, absence de commerces et disparition progressive des administrations publiques, délinquance élevée, etc. Cette situation n’est pas le fruit du hasard et peut même être analysé comme le fruit d’une « lutte des classes ».

Pour Eric Maurin, cette lutte prend la forme d’un évitement des classes « par le haut » : selon lui, « chaque groupe s’évertue à fuir ou à contourner le groupe immédiatement inférieur dans l’échelle des difficultés ». Les classes supérieures cherchent à fuir les classes moyennes qui fuient les classes populaires. Concrètement, les plus aisés parviennent à résider dans les quartiers les plus chers (par exemple à Paris l’ouest de la capitale) donc non accessibles aux autres classes. Les prix immobiliers et fonciers jouent donc un rôle de tri entre les différentes classes. Il y a en effet coïncidence entre ceux-ci et la répartition des individus selon leur niveau de revenu et de patrimoine (c’est à dire selon leur classe sociale au sens nominaliste). On observe donc une « ghettoïsation par le haut » qui explique que la concentration sociale soit la plus forte en haut de l’échelle sociale, c’est à dire dans les quartiers chics. Autre illustration de la lutte entre classes pour l’appropriation des territoires : la gentrification. Cette expression désigne le processus d’installation des classes moyennes supérieures dans des quartiers populaires. A Paris par exemple, Belleville est envahi par les « bobos », les prix grimpent, ce qui conduit à évincer progressivement les plus modestes. Sarah Boucher observe même des luttes sourdes, une franche hostilité entre les nouveaux venus et les anciens occupants.

Il apparaît donc que la lutte des classes se retrouve dans le territoire dans la mesure où les classes dominantes choisissent leurs lieux de résidence alors que les classes populaires, voire moyennes sont contraints.

b. Le territoire participe en retour à la reproduction et à la pérennité des classes

La répartition spatiale exerce des effets structurants sur la constitution des classes. Pour Maurice Halbwachs, dans Les cadres sociaux de la mémoire (1925), l’espace est un support aux identités collectives. Cela signifie que l’identification à un groupe passe, entre autres, par l’identification à des lieux, des monuments, des espaces. Par analogie, on peut admettre l’idée selon laquelle les groupes sociaux et leur histoire s’inscrivent dans l’environnement et surtout dans les représentations de cet environnement que les membres de ces groupes s’en font. Ainsi, il est remarquable que les grands ensembles, synonymes de ségrégation, voire d’exclusion, sont malgré tout constitutifs de l’identité des habitants. C’est ainsi que la classe ouvrière s’est identifiée aux quartiers où les ouvriers étaient majoritaires. Les « banlieues rouges » étaient des lieux de sociabilité, d’interconnaissance, comme l’était l’usine et a joué un rôle dans la prise de conscience des intérêts de classe. L’homogénéité sociale des espaces urbains renforce la cohésion du groupe en conférant une identité au territoire qui peut alors s’apparenter à une identité de classe .

Plus encore, le découpage social de

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