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Mille et mille fois, André Breton, Lecture Analytique

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Par   •  10 Février 2017  •  Commentaire de texte  •  1 943 Mots (8 Pages)  •  2 798 Vues

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 Mille et mille fois

André Breton

Le recueil Clair de terre (1923) est antérieur d’un an au Manifeste du surréalisme et s’ouvre par cinq poèmes qui explorent le rêve. Vers libres qui mettent en oeuvre l’écriture automatique pratiquée par les surréalistes, se fondant sur les images, les sensations, les pensées immédiates. Les récits de rêves suscitent la création artistique, comme c’est le cas ici : les associations incongrues, les univers fantasmagoriques du rêve contiennent, en effet, une grande part de poésie. Notre poème est  rythmé par un jeu musical des sons, des analogies et la fulgurance d’images improbables.

Un dépaysement de l’imaginaire

Le poète laisse divaguer son esprit au gré du rêve et du spectacle de la nuit et de la neige. Il participe au monde, mais il est aussi réceptif. L’acte d’écrire va jaillir de cette disponibilité au monde. Le poème est marqué par son aspect chaotique mais on s’aperçoit qu’il renferme une cohérence profonde : le lecteur, d’abord dérouté, construit peu à peu le sens. L’évocation de couleurs (« couleurs vivantes », v.16, « onze couleurs », v.19) ou de lumière : « neige »,  « jour », « étoiles »  « ciel », la présence de chiffres : « mille et mille » du titre, « onze » repris à trois reprises, contribuent à transcrire ou à recréer la complexité originale des visions oniriques. 

Les images sont frappantes : ciel et terre : « deux jardins dans lesquels se promènent mes mains » (v. 5), « J’ai défait le ciel comme un lit merveilleux » (v. 12), voire déconcertantes : « l’amour qui est une mécanique de cuivre et d’argent dans la haie » (v. 7), « une tour habitée par des signes mystérieux au nombre de onze » (v. 1). L’effet produit est saisissant, et ceci parce que l’esprit et l’imagination sont invités à des associations nouvelles qui n’en finissent pas de se déployer.  

Les nombreuses propositions relatives dans les premiers vers : « qui  regagnent » (v.1), « que je prends », (v.2), « qui fond » (v. 2), « que j’adore », (v. 3), « qui n’accorde » (v. 4), …sont autant d’expansions du nom qui, en amplifiant la phrase, la délient , l’assouplissent  dans un vers libre, affranchi des contraintes de longueur et de rimes, dépourvu de toute ponctuation qui entraverait les mots et donnant à la phrase ampleur et vivacité propres à suggérer l’enthousiasme galopant du poète.

Mais le poète assiste, également avec passivité  à cet univers qu’il découvre, béat, en le subissant comme l’illustrent les expressions contenant le verbe d’état « être » ou des tournures négatives : « je suis un de ces rêves » (v. 3), « moi qui n’accorde » (v. 4), « mes mains qui n’ont rien à faire » (v. 5), « Je suis un des rouages de l’amour terrestre » (v. 8).

La magie du  rêve permet de faire surgir des éléments naturels que l’imaginaire transforme en objets fabriqués : « jour »/« nuit » : « deux jardins » ; (v. 4-5) ; « amour » : « mécanique » (v. 7) ; « ciel » : « lit merveilleux » (v. 12) ; « étoiles » (v. 13) : « grains » (v. 15). La fantaisie débridée du rêve permet également aux objets de se confondre avec la nature : « bras [qui] pend du ciel » (v. 13). Ainsi, le rêve est le lieu de tous les possibles, de toutes les prouesses que le monde réel ne nous permet pas d’accomplir.

Le langage du rêve

Le dormeur est enveloppé dans le rêve, il en devient le « centre » (« Les signes n’ont jamais affecté que moi », v.32) et la « matière » (je suis un de ces rêves », v.3). La nuit le pénètre et des images se créent en lien avec ses perceptions. Il participe ainsi à ses rêves et se fond dans « l’espace onirique »  il est le protagoniste, celui qui va évoluer dans ce monde nouveau au cœur duquel il est subitement projeté. En effet, aucun élément ne vient situer les circonstances dans lesquelles l’activité onirique a lieu : le mécanisme du rêve s’est emballé sans  explication et le poète, comme un enfant émerveillé qui joue , va immédiatement participer à ce tourbillon de créativité dans le paysage qui se construit sous ses yeux : l’activité du poète est marquée par les expressions : « la neige que je prends » (v. 2), « j’adore » (v. 3), « je prends part à l’amour » (v. 7), « J’ai défait le ciel » (v. 12).

L’atmosphère ambiante de cet épisode onirique est « mystérieuse » : l’adjectif est cité dès le deuxième vers, fait de ouate  (neige) mais aussi de nébulosité (ciel).  

Aucune trame narrative ni cohérence thématique n’apparaît à la première lecture dans ce poème. Le lecteur est confronté à une suite de vers, à des juxtapositions apparemment gratuites ou fortuites de mots. Le poème est une suite d’éléments hétéroclites(bizarre). Atmosphère vaporeuse, immatérielle absence de cohérence apparente et de temporalité conventionnelles, récit qui peut sembler « disloqué ».

Mais le lecteur s’aperçoit que la reprise de certains termes installe une chaîne sémantique et sonore : « La neige » / « Cette neige »  « fait des rêves » / « je suis un de ces rêves »   « Je prends part à l’amour » / « l’amour terrestre » / « les autres amours »  « J’ai défait le ciel » / « Mon bras pend du ciel »  « disparaître dans la mer » / « la neige sur la mer ». Le texte fonctionne par associations lexicales (reprise d’un même terme) qui elles-mêmes déclenchent des associations d’idées (chaque terme relançant un nouveau terme) : on pense aux collages et à l’écriture automatique, qui rappellent la juxtaposition insolite des images dans le rêve. Ces associations créent différentes tonalités dans le texte : de la pureté évoquée par la blancheur de la neige, à la profondeur de l’univers onirique produite par le nom « rêve » puis à la sensualité évoquée par le substantif  « amour ».

Un art poétique paradoxal

La référence aux mains du poète à deux reprises dans le texte, rappelle son activité essentielle : écrire, car la neige qu’il prend dans sa main (v. 2) s’est, en rêve, substituée au crayon. Si la neige fond, c’est pour mieux laisser place au crayon qui, lui, est solide. Le poète est en manque de créativité. Ainsi, il affirme au vers 5 que « ses mains n’ont rien à faire » : au désœuvrement va succéder l’activité créatrice ouverte sur le « désordre infini » (v. 32) qui arrive comme un appel : « j’entends l’autre ».

Ainsi, le champ lexical de l’écriture imprègne le texte d’une vitalité créative débordante qui révèle l’aspiration profonde du poète : « page à page », « inscriptions », « signes », « ligne », « corresponds ». L’entreprise est valorisée par un lexique mélioratif qui renvoie à ce projet que l’auteur souhaite fécond et enrichissant : « j’adore » (v.3), « merveilleux » (v. 12), « divines » (v. 30), « prospère » (v. 22), « cœur » (v. 35).

Le poète va naître de la littérature : « je prends naissance » (v. 33) en participant à la re-création du « monde », substantif particulièrement significatif car dernier mot du poème : c’est sur cette impression d’universalité que se termine le rêve, impression déjà évoquée au vers 29 : la conquête du monde poétique est un projet  tenace, lumineux et vibrant car plein de « couleurs vivantes » (v. 16) ; le poème est teinté d’une dimension cosmique grâce aux quatre éléments qui sont représentés : l’eau par les termes « mer » (v. 15 et 17), « torrents » (v. 26), le feu par le verbe « brûle » (v. 21), l’air par le terme « ciel » (v. 12, 13, 28), la terre par les termes « terrestre » (v. 9), « sol « (v. 28), ainsi que les trois règnes : animal par les termes « cheval » (v. 22), « onagre » et « truites » (v. 23), végétal par le terme « jardin », minéral par les termes « cuivre », « argent », « roc », « métallique ». Le poète célèbre la beauté du monde et son extrême diversité. Dans une frénésie euphorique, il glorifie l’univers duquel il compte saisir la quintessence dans son projet poétique.

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