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Une Vie

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rité..." aux dernières lignes: "La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon, ni si mauvais qu'on croit", conclusion laissée à une servante, tout est clos et le récit est fermé sur lui-même, limité entre les années d'éveil de Jeanne et celles de son déclin. La structure du roman est celle d'une existence humaine, c'est-à-dire que, comme une existence humaine, elle est toute en rebondissements et en retombées: l'unité "a posteriori", telle qu'elle apparaît, est en fait la remise en ordre d'un puzzle, comme l'a fait ressortir André Vial dans "La genèse d'"Une vie", premier roman de Guy de Maupassant. (* A. Vial, "La genèse d'"Une vie", "premier roman de Guy de Maupassant", les Belles-Lettres, 1954) De même, de la naissance à la mort, le fil conducteur ne se dégage avec quelque certitude que quand le dernier mot a été dit: avant, tout n'est que conjecture.

Or, ce roman, si uni d'aspect, est celui est celui qui a donné le plus de mal à Maupassant, avant de trouver une forme définitive, et il est le seul dont on puisse, à la suite d'André Vial, retracer avec précision les étapes d'élaboration. Le 10 décembre 1877, il est à l'état de plan, ainsi que l'auteur l'annonce à Flaubert, et diverses lettres à Laure de Maupassant témoignent qu'il travaille, au moins jusqu'au fort de l'été 1878, à ce livre qu'il espérait avoir terminé pour l'hiver. Mais, à la suite de diverses circonstances, il abandonne le projet pendant deux ans, pour ne le reprendre qu'en 1881. A partir de là, et, curieusement, au-delà de la publication en volume, paraissent des contes qui sont comme des ébauches de telle ou telle partie du roman: "Par un soir de printemps" (7 mai 1881), "Le Saut du Berger" (9 mars 1882), "Vieux objets" (29 mars 1882), "Rencontre" (26 mai 1882), et, postérieur au roman, "Humble drame" (2 octobre 1883). Goncourt signale avoir vu "le nouveau livre, "Une vie", exposé à l'étalage des Galeries de l'Odéon et dédié à Mme Brainne" le mardi 10 avril 1883

Alors que la plupart des manuscrits de Maupassant ont disparu, nous sommes ici en possession d'une série de fragments de manuscrits, retrouvés et répertoriés par André Vial.

Une patiente étude de détail a révélé que ces pages avaient été écrites à des moments relativement éloignés, que tel personnage primitivement prévu, disparaissait, que tel autre, à l'origine épisodique, prenait du relief et de l'importance, que des pans entiers de description étaient sacrifiés. Or, dans la version définitive, rien ne se ressent de ces hésitations ni des interruptions dans la composition, comme pour coller plus étroitement au sujet, la vie de tous les jours, qui n'est jamais qu'un assemblage de hasards. A la technique du peintre Maupassant a préféré celle du mosaïste, et pourtant, l'unité existe, souveraine, assurée par une série de phrases clefs qu'il serait facile de relever.

A mesure que le livre avance, les jalons s'espacent pour faire place aux événements (comme la découverte de Rosalie et de Julien têtes mêlées sur le même oreiller, la nouvelle trahison de Julien et sa mort), puis au plus important, l'absence d'événements, l'amer remâchement des espérances brisées: "Et rien de nouveau n'arriva plus jusqu'aux derniers jours de juillet" (8).

Ce "rien de nouveau" n'est guère qu'une reprise des indices précédents, et correspond à une sorte de logique interne du néant, tel que l'a défini Maupassant. En réalité, sur le plan de l'événement, presque tout arrive, au contraire, à partir de ce chapitre 8, mais en négatif. Jeanne aurait pu penser qu'avec son malheur conjugal, elle avait épuisé les possibilités de la détresse, mais il lui faut encore subir la mort de sa mère, puis celle de Julien, avec lequel elle avait repris les relations conjugales, dans l'espoir d'avoir un second enfant (qui ne vivra pas), puis celle de son père, mais elle n'aura atteint le désespoir que quand son fils l'aura abandonnée et qu'elle devra comprendre que le sort de l'homme est, finalement, la solitude. Le drame de Jeanne n'est pas ce qui lui arrive et qui, pour un pessimiste comme Maupassant, est simplement la norme, mais le décalage entre le rêve et la réalité. Il nous est dit expressément deux fois qu'elle. "rêvait" au chapitre 1. Au chapitre 3, le verbe est repris, mais il s'applique à toutes les femmes, ce qui laisse un peu Jeanne dans l'ombre, ou plus exactement, la distingue du lot: les femmes rêvent, sans y attacher d'excessive importance, à des figures d'hommes comme celle de Julien, elles discernent que ce n'est qu'un rêve, alors que Jeanne - dont on sait qu'elle l'aime déjà - est persuadée que, pour elle, le rêve va sous peu devenir réalité.

Au chapitre 4, il est encore question de "bonheurs rêvés", mais juste avant une interrogation qui est presque une prémonition, et ce sera "l'affaissement de ses rêves au chapitre 6.

Ces mêmes indices sont comme une justification préalable du Destin, et donc comme une négation du hasard. Aussi serais-je tenté d'y voir une philosophie plus qu'un artifice de romancier. Jeanne, que ses illusions de jeune fille vouent nécessairement au malheur, n'est pas assez sotte pour seulement imaginer le Bonheur, dont elle sait par intuition qu'il n'existe pas, mais elle demande à la vie "des bonheurs", ce qui est différent. Quand le mot bonheur est au singulier, c'est pour en diminuer la portée par une restriction qui le nie presque: "quelque chose comme un souffle de bonheur".

Tout le roman est construit sur cette négation du bonheur. Si l'on considère l'équilibre des chapitres, on constate que onze sur quatorze sont relativement longs (de 19 à 34 pages de format livre de poche) et trois nettement plus courts (de 9 à 15 pages). Les chapitres les plus longs, comme le chapitre 7 (30 pages), le chapitre 9 (34 pages) et le chapitre 10 (30 pages) correspondent à des récits (amours de Julien et de Rosalie, mort de petite mère, mort de Julien) qui marquent la descente dans la souffrance pour Jeanne. Les trois chapitres courts sont ceux qui évoquent le bonheur à venir, présent ou passé: le chapitre 2, qui s'achève sur l'annonce des fiançailles, le chapitre 8, où est narrée la naissance du petit Paul, le chapitre 12, où se situe la page célèbre, si souvent citée, qui décrit l'émotion presque heureuse de Jeanne retrouvant dans le grenier des Peuples meubles et objets familiers.

La même économie peut s'observer dans la chronologie du roman, à cette différence près que la plus grande précision est apportée sur les moments heureux, alors que les autres, qui dominent dans la réalité, s'étirent et s'effilochent dans le vague. Tout se passe comme si Jeanne avait saisi au vol sur son keepsake des heures dont elle mesurait le prix par leur brièveté. Le 2 mai 1819, elle sort du couvent. Julien la demande en mariage moins de deux mois plus tard, vers le premier juillet et le mariage est fixé au 15 août. Les jeunes époux partent pour la Corse le 19 août et y arrivent le 20. Le 23, ils séjournent dans une "petite ville cachée au fond de son golfe bleu", le 24, ils sont à Piana, le 25, ils se rendent à Evisa où Jeanne connaît sa première nuit d'amour, le 15 octobre, ils débarquent à Marseille, restent quelques jours à Paris, où Jeanne a la révélation de certains traits déplaisants du caractère de Julien, et sont de retour aux Peuples vers le 15 octobre. Nous savons seulement que l'automne est sans joie, que Jeanne commence à être affrontée à ce que risque d'être sa vie: "Et la journée s'écoula comme celle de la veille, froide au lieu d'être humide. Et les autres jours de la semaine ressemblèrent à ces deux-là; et toutes les semaines du mois ressemblèrent à la première." Il y a une certaine technique de l'imprécision, que nous retrouvons au fur et à mesure que Jeanne s'enlise dans le quotidien, que "l'Attendu" devient du déjà vu ou pire.

Le 9 janvier 1820, le baron et sa femme quittent les Peuples, date importante, parce qu'elle marque le début véritable de l'abominable tête-à-tête avec Julien. Quelques semaines plus tard, naissance du bâtard de Julien et de Rosalie. En juillet, Paul naît avant terme et est baptisé à la fin d'août. En décembre, Julien et sa femme rendent visite aux Fourville, et c'est encore une date importante, puisque s'amorcent des relations qui seront à l'origine du drame. Sans ces relations nouvelles, d'ailleurs, le premier trimestre de 1821 serait particulièrement monotone.

Le printemps est précoce et chaud et, le 7 mai, Jeanne découvre que Julien la trompe avec Gilberte de Fourville. Le 20 mai arrivent le baron et petite mère, qui meurt à la fin du mois ou au début de juin. A la fin de septembre, l'abbé Picot, si tolérant dans son épaisseur rustique, qui rappelle de très près celle du curé Bournisien de "Madame Bovary", vient présenter au château son successeur, l'abbé Tolbiac, dont l'intransigeance pèse lourd sur la suite des événements. Au printemps 1822, c'est la mort de Julien et de Gilberte et une longue maladie de Jeanne qui accouche prématurément

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