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Jean-Paul Sartre

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qui menace la jeune République : la présence menaçante des alliés et surtout de l’Angleterre aux frontières, tandis qu’à l’intérieur se déchaîne la guerre civile dans toute son horreur. Les princes qui veulent venger la mort de Louis XVI et restaurer leur pouvoir ont lancé le mot d’ordre "Pas de grâce" auquel répond le non moins laconique "Pas de quartier" républicain. Cette guerre pourtant n’est par limpide : nul ne sait où il en est exactement sauf à faire un acte de foi pour l’un des partis, mais surtout cette lutte est féroce, marquée par la vengeance ; d’ailleurs elle broie aussi bien les adversaires que ceux de son propre camp. Pour justifier les consciences à la dérive, les deux factions ont inventé une terreur implacable.

Hugo fait œuvre de sociologue, il tente d’expliquer l’appartenance à l’un des partis. Il note que les villes et les gros bourgs ont été gagnés à la cause révolutionnaire tandis que les campagnes plus rétrogrades sont restées royalistes. Dans cette guerre civile, il y a de la lutte des classes, c’est une guerre de bourgeois à paysans, mais surtout il existe profondément chez les royalistes le refus du progrès, l’attachement viscéral à la tradition sous son double aspect féodal et religieux.

Hugo a su noter aussi l’opposition qui a pu exister entre Paris et la Province. C’est de Paris qu’est partie l’impulsion initiale, c’est à Paris qu’est entretenue la ferveur révolutionnaire. Pourtant tout n’est pas aussi simple et ce n’est pas un des moindres mérites de Victor Hugo que d’avoir su discerner les confusions et les contradictions de la Révolution, lui à qui on a souvent reproché une vision manichéenne du monde. Par exemple il relève la présence de nobles chez les Bleus et de roturiers chez les Blancs. Il n’hésite pas à exposer la lutte des factions à l’intérieur du camp révolutionnaire, par exemple il fait une place toute particulière à la diatribe de Marat qui condamne l’anarchie régnante, qui propose la dictature de la Commune, au détriment de la Convention où les Girondins plus fédéralistes se défient de Paris. Les clubs qui ajoutent à la confusion n’échappent pas à la critique, celui de l’évêché est même composé de personnes peu recommandables. Si à la tête du pays les chefs se disputent (l’entretien entre Marat, Danton et Robespierre est un morceau de bravoure) on retrouve cette même rivalité et de ce fait cette même incapacité dans le commandement de l’armée. "Des héros mal commandés, voilà nos soldats". Enfin la pression populaire est incessante sur l’assemblée nationale, ce qui pourrait enlever toute sérénité aux débats.

Pourtant Hugo dresse un bilan somme toute favorable : l’œuvre législative a été importante, elle a fondé la défense des opprimés et l’unification du pays. En fait la Révolution a pu se poursuivre parce qu’elle avait l’assentiment populaire, il n’est que de relire les pages concernant le Paris affamé mais probe et gai, à l’esprit pétillant, attaché par-dessus tout à la liberté. À la discorde qui règne à la Convention entre Girondins et Montagnards, à l’irrésolution traîtresse de la Plaine et du Marais s’oppose l’afflux des volontaires décidés à défendre la République.

La thèse hugolienne est donc claire : devant l’imminence des périls, pour sauver les acquis de la Révolution, pour redresser les consciences perverties, même à l’intérieur du parti républicain, il fallait l’aide d’un moyen puissant entre tous : la Terreur. Ainsi se trouve justifiée une certaine cruauté par l’impérieuse nécessité du moment.

La Révolution est romancée

Si Hugo se montre parfois historien, il pense avant tout en romancier. C’est pourquoi il mêle fiction et réalité, histoire et invention romanesque. Aux personnages de l’histoire, il ajoute ceux de sa création. Danton, Robespierre, Marat côtoient Cimourdain, Léchelle combat non loin de Gauvain. En fait les trois protagonistes principaux chargés d’incarner un des aspects de la guerre civile : Lantenac, Gauvain et Cimourdain appartiennent de près ou de loin à la même famille. Hugo y trouve sans doute un ressort dramatique supplémentaire ainsi qu’une image hautement symbolique des luttes fratricides qui déchirent la France d’alors.

À l’histoire, Hugo superpose tous les procédés du roman historique romantique : lieux secrets et terribles, couloirs dérobés, actions vives, stratagèmes, coups de théâtre… jusqu’à confiner au mélodrame. Tous ces moyens doivent impressionner le lecteur, renforcer le caractère tragique des événements. À la fin du roman, le pathétique atteint son point culminant avec les crises de conscience des trois principaux personnages et les conséquences sanglantes qui en résultent. Le dénouement est aussi bref qu’horrible et grandiose.

La Révolution est magnifiée

Au-delà de l’historien ou du romancier, nous avons affaire au poète et au philosophe, à celui qui explique et chante dans un foisonnement d’images et de symboles. Hugo manifeste la volonté constante de donner un sens métaphysique aux événements historiques. Quatre-vingt-treize doit nous apporter la signification profonde et cachée de cette époque troublée. "La vérité légendaire est d’une autre nature que la vérité historique. La vérité légendaire, c’est l’invention ayant pour résultat la réalité".

Examinons tout d’abord le camp royaliste : nous y trouvons surtout deux personnages, l’aristocrate Lantenac et le peuple incarné dans l’Imânus. Le vieux marquis est encore plein de vigueur. C’est le chef que tous attendent, manifestant un sens de la discipline inhumain. Dans l’épisode de la caronade, le courageux fautif est tout à la fois décoré et fusillé. (Si le roman s’ouvre sur cette condamnation surprenante, il se termine sur le pardon et la réconciliation ; c’est tout un itinéraire spirituel). Ce général ne connaît et ne tolère aucune faiblesse, il est sûr de son droit : "Je suis un instrument de Dieu". Se rattachant à toute une tradition chevaleresque et féodale, il se montre brave et inflexible jusqu’à la cruauté. Ce personnage n’est pas dénué de grandeur morale, pourtant il est condamné. Il s’appuie sur l’Imânus, guerrier fruste à la "laideur surhumaine et quasi-divine", tout à la fois "le démon, le satyre, l’ogre". Tout auréolé des superstitions locales, ce monstre plus cruel et plus sauvage que les autres est bien dans la veine hugolienne. C’est l’émanation du peuple breton, soldat de la nuit, enfant des forêts enténébrées dans lesquelles il se réfugie jusqu’à s’y fondre. Ce paysan breton est proche de la bête : fanatisme, ignorance, langue particulière, traditions figées et contraignantes l’empêchent d’accepter la remise en question fondamentale de la Révolution. Victime de la tyrannie, il refuse le statut d’homme que la République vient lui offrir. Cette révolte bretonne, qu’Hugo compare à celle de la Suisse pour mieux la condamner, cherche à sauvegarder des préjugés. Cette rébellion est d’une inutilité superbe parce que c’est "la querelle de l’idée locale contre l’idée universelle". Ce refus du progrès l’a fait rejeter aussi sûrement que sa cruauté ostentatoire et inutile : elle n’hésite pas à fusiller les femmes et à prendre des enfants en otages comme lors de l’épisode d’Herbe-en-Pail. Elle s’est déshonorée en faisant appel à l’étranger, c’est pourquoi la mort glorieuse de la Claymore sera ignorée : "on n’est pas héros contre son pays". Condamné au nom du sens de l’histoire, tenant du passé contre l’avenir, le parti royaliste s’écroulera comme la Tourgue, symbole de l’ancien régime à la force brutale, à la justice expéditive et à la cruauté gratuite. C’est un Gauvain, issu de l’aristocratie mais régénéré par les idéaux révolutionnaires qui vaincra Lantenac grâce à sa valeur militaire et qui le convertira encore plus sûrement par sa grandeur d’âme.

Le camp républicain est incarné par trois hommes : Radoub, Cimourdain et Gauvain. Comme l’Imânus incarnait le peuple royaliste, Radoub est censé représenter le peuple qui a pris parti pour la Révolution. Personnage gouailleur au langage savoureux, c’est un guerrier aussi courageux et aussi fidèle à son chef que son adversaire mais il est sans doute plus intelligent. Ce qui le distingue de son ennemi (qu’il tuera d’ailleurs), c’est son amour pour les enfants. L’armée républicaine est foncièrement bonne : elle adopte la veuve et les orphelins. Cimourdain symbolise Quatre-vingt-treize. Prêtre qui a perdu la foi, homme pur et dur, penseur opiniâtre, il est honnête et fatal, il représente la révolution inaccessible, glaciale, inhumaine à force de vertu. Comme Lantenac, il a recours à la terreur

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