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La Domination Masculine

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rera ; des pages situées presque à la fin de l’Introduction de La symbolique du mal 1. Si ce texte mérite une telle attention, c’est qu’on découvre, dans la manière dont la question de la tradition s’y —————

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Ricœur, 1960.

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trouve traitée, la plupart des traits repris ou développés par la suite, tous caractéristiques de l’intention de donner à ce qui pourrait n’être qu’une notion vague le statut d’un concept véritable. Nous ne pouvons malheureusement pas prétendre apporter ici une preuve en bonne et due forme de la justesse de cette affirmation, qui conduit à traiter ce texte comme une « partie totale » de l’œuvre toute entière. Il nous faudrait, pour cela, nous engager dans un examen et une comparaison systématiques de tous les textes, nombreux, où il est fait mention de la tradition, ce qui excéderait les limites d’un article. Ce à quoi nous devons donc nous résoudre, ici, c’est, considérant notre passage comme une « cellule mélodique », de signaler seulement les principaux enjeux herméneutiques d’une réflexion sur la tradition, c’est-à-dire, comme on le redira, sur les conditions mêmes de toute pensée. La tradition, selon Ricœur, c’est le nom d’une première donne, d’une première réceptivité qui nourrit l’exercice responsable de la pensée. Il convient au préalable de préciser que, curieusement, à s’en tenir à un indice de fréquence lexicale, la tradition pourrait ne pas compter parmi les objets d’études privilégiés de Ricœur : le mot n’apparaît dans aucun des titres d’ouvrages, et ne figure que dans très peu de titres d’articles ou de chapitres. Mais il est plus significatif, au regard du préjugé selon lequel il serait inévitable que tout plaidoyer en faveur de la tradition succombât à la tentation du traditionalisme, de noter que lorsque le terme est présent sous la forme de l’adjectif « traditionnel », il n’a jamais pour fonction de conférer un supplément d’autorité à l’énoncé qu’il qualifie. On ne saurait s’en étonner car, à la suite de Hannah Arendt tout particulièrement, Ricœur a tenu à souligner que, à la différence du pouvoir, l’autorité vraie – y compris celle d’un témoin – implique reconnaissance par d’autres, donc examen peu ou prou critique des raisons militant en faveur de cette reconnaissance. Si, malgré tout, l’on soutient que la tradition est bien, dans l’œuvre de Ricœur, un objet d’étude d’importance, force est de préciser aussitôt qu’il s’agit d’un objet singulier, qui relève d’une pragmatique, ainsi que notre titre le suggère. Son étude se confond donc très largement avec celle des conditions de possibilité de toute pensée vive, en particulier de celles relatives à l’heuristique, aux ressources imaginatives grâce auxquelles nous explorons discursivement le monde. Dire que la tradition n’est pas un objet d’étude parmi d’autres, ce n’est donc nullement une façon de lui réserver un statut sur-éminent, comme les traditionalistes le voudraient, et l’on commettrait une véritable faute catégorielle si l’on croyait avoir affaire, avec elle, à un type de représentations en droit de revendiquer de notre part le respect le plus total. Parler de tradition, c’est en effet parler, en réalité, sur mode réflexif, des conditions de possibilité d’une pensée

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mise au large, libérée de la répétition et enrichie de nouvelles compétences symboliques, manifestes dans l’acte d’interpréter et parfois, corrélativement, dans l’effort pour faire en sorte que diverses traditions, rendues à leur plasticité normale, puissent se rencontrer à nouveau, sinon pour la première fois. En quelques paragraphes, Ricœur nous offre, dans l’Introduction de La Symbolique du mal, un brillant commentaire de la formule kantienne célèbre – rendue célèbre en particulier par l’accueil qu’il a su lui réserver – : « le symbole donne à penser ». Il s’attache à préciser la manière qu’il juge légitime de s’approprier philosophiquement le langage religieux qui accompagne ou guide même l’aveu de la faute. Dès à présent, une première remarque s’impose donc : à défaut de prouver que le reproche parfois adressé à son herméneutique, de confondre les genres – philosophie et religion en particulier –, procède d’un très grave malentendu, on doit souligner que notre texte abonde en précautions et distinctions qui témoignent d’un souci très vif de ne rien concéder au syncrétisme 2 ni à l’éclectisme. Le philosophe, en s’intéressant à la symbolique religieuse, montre le prix qu’il accorde à l’exercice d’une pensée libre ; libre, en particulier, à l’égard des préjugés scientistes qui poussent à croire que, hors de la science, il n’y aurait que non-sens ou irrationalité. Décider que philosophie et langage religieux n’auraient rien de commun, que serait-ce, en effet, sinon entériner une conception étriquée de la modernité en refusant l’invitation kantienne à faire preuve d’audace au point de s’engager dans une relecture philosophique des énoncés religieux, situés et compris « dans les limites de la raison pratique » ? En déclinant semblable invitation, on ne ferait qu’entériner une définition étroite, trop étroite, des tâches incombant à la philosophie, et à la phénoménologie en tout premier lieu. Ricœur n’hésite pas, lui, le traducteur et le commentateur scrupuleux de Husserl, à dire que, en ignorant le langage religieux, la pensée philosophique se prive des ressources qui lui permettraient d’être une « réflexion pleinement assumée », attentive à faire droit à l’expérience humaine prise dans toute son amplitude et sa complexité, considérée jusque dans ce que les phénomènes oniriques et poétiques nous en révèlent. Au regard d’une tâche aussi considérable de recollection quasi hégélienne du sens, l’herméneute estime devoir s’éloigner de la phénoménologie husserlienne, trop attachée à « décrire » les « motivations et les intentions » du sujet empirique, en particulier du sujet croyant, et se —————

2 Dans l’étude : « Civilisation universelle et cultures nationales » (in Ricœur, 1986, p. 300), texte postérieur de peu à celui que nous commentons à titre principal, nous trouvons nombre de propos parallèles, convergents ou complémentaires de ceux que nous sommes en train de commenter. Contre le syncrétisme, retenons cette ferme déclaration : « Aux syncrétismes il faut opposer la communication, c’est-à-dire une relation dramatique dans laquelle tour à tour je m’affirme dans mon origine et je me livre à l’imagination d’autrui selon son autre civilisation ».

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rapprocher d’autant de la version hégélienne de la phénoménologie – sans toutefois reprendre le dessin téléologique de ce discours totalisant –, qui considère les œuvres de culture comme des matrices symboliques dont le rôle est décisif dans l’invention continuée du sens du monde et de notre humanité. Ce projet de compréhension herméneutique, avec ses nouvelles inflexions, paraît toutefois se heurter à une objection de principe : s’il n’est pas de pensée sans un symbolisme déjà là, autrement dit, sans un « langage plein », « profond », sans doute, mais par là même « opaque » 3, en contrepartie, l’universel visé par la pensée ne se trouve-t-il pas d’emblée limité par le symbolisme même des œuvres grâce auxquelles nous le visons ? Ce qui nous donne ouverture sur le monde est ipso facto principe d’étroitesse, sinon d’enfermement. Il en va donc d’une situation profondément ambivalente. Cependant, en toute logique, l’ambivalence se prête à une lecture différente de la précédente, qui mériterait de se voir accorder une importance éthique considérable ; car s’il faut assurément « renoncer à la chimère d’une philosophie sans présuppositions » 4, il faut en même temps se rappeler que ce renoncement a un endroit, que « partir d’un symbolisme déjà là, c’est se donner de quoi penser ». Force est d’ajouter que « c’est du même coup introduire une contingence radicale dans le discours ». Mais quelle valeur accorder à cet aveu de contingence ? La question paraît pressante, car le risque existe, on le perçoit bientôt, que, donnant raison au relativisme, on ne voie dans l’universel qu’une chimère, et dans l’idée d’une communication des cultures qu’une façon de se voiler la face devant des rapports de force qui ne concernent pas moins les « rencontres » inter-culturelles que toute autre manifestation de la vie sociale. Avant de préciser comment Ricœur répond à cette question préjudicielle, nous devons justifier, mieux que nous ne l’avons fait jusqu’à présent, notre décision d’éclairer la question de la tradition à partir de quelques pages de l’Introduction

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