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Thèmes : Sport ; Violence ; Autocontrôle ; Incorporation ; Émotions

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ivilisation

La thèse de Norbert Elias sur la fonction sociale du sport apparaît directement dans le titre du premier article de l'ouvrage : "Quest for Excitement in Unexciting Societies" (traduit en français par "La quête du plaisir dans les loisirs" !). Le sport a précisément pour principe de susciter des tensions et des émotions dans des sociétés marquées par une contrainte sociale croissante visant à pacifier les relations interpersonnelles. On rejoint là la thèse développée dans La Civilisation des Mœurs et la Dynamique de l'Occident (cf. fiche d'Emilie). "[Dans les sociétés] où les fonction sociales sont très différenciées, l'interdépendance proportionnellement élevée de toutes les activités publiques bien que privées, professionnelles aussi bien que non professionnelles, nécessite et engendre tout un ensemble de contraintes [...] Leur structure laisse peu de place aux éclats spontanés et irréfléchis, même chez les individus les plus puissants qui ne peuvent jamais relâcher, sans mettre en danger leur position dans la société, la circonspection et la prévoyance nécessaire au contrôle des émotions". L'intensité des contraintes sociales qui caractérise les sociétés "civilisées" conduit donc à éviter les situations dans lesquelles les tensions s'expriment pleinement. Les émotions et leurs manifestations physiques sont constamment cachées, masquées ou affaiblies. Les éclats excessifs, les états d'excitation sont donc réfrénés par l'intériorisation des contrôles sociaux (cf. définition de l'autocontrôle, caractéristique de l'homo clausus).

Or, le sport fait précisément exister, à travers le jeu réglé des corps des sportifs, une forme de tension génératrice d'états d'excitation – qui constituent en outre le critère d'évaluation de toute manifestation sportive (Elias et Dunning prennent l'exemple d'un match de football à rebondissements). Pourtant, l'existence de pratiques sportives ne constitue en rien une exception ou une limite à la théorie d'Elias sur le processus de civilisation des mœurs. Si de tels états d'excitation peuvent être tolérés et même valorisés dans les sociétés "civilisées", c'est qu'ils illustrent parfaitement la théorie de l'autocontrôle : les états de tension engendrés par le sport sont toujours définis dans des limites strictes qui les maintiennent à un niveau strictement mimétique (l'affrontement des joueurs n'est réel que dans le cadre de règles précises : les joueurs ne s'affrontent donc pas véritablement). Mais ces règles, qui encadrent la tension physique inhérente au jeu sportif (de sorte que les corps ne soient pas mis en danger), doivent également permettre de maximiser le degré d'émotion que l'équilibre des tensions suscite. Ainsi, par exemple dans un match de football, la taille du terrain et le nombre de joueurs doivent provoquer une émotion maximale (qui permet aux joueurs et aux spectateurs d'être "pris au jeu") : on imagine difficilement des équipes de 4 joueurs s'affronter sur un grand terrain ou des équipes de 30 joueurs sur un terrain de tennis. Elias et Dunning font ici encore référence à Aristote et insistent sur la dimension cathartique du sport : dans les sociétés civilisées où les états d'excitation et de tension sont constamment refrénés, le sport permet de susciter des émotions dans un cadre prédéfini (sur ce point, Elias et Dunning tombent sans doute dans un sorte de fonctionnalisme psychologisant : "Ces sentiments n'ont pas seulement pour fonction de libérer des tensions, comme on le croit souvent, mais bien de restaurer cette dose de tension qui est un élément fondamental de la santé mentale").

Définir le sport par cette double dimension mimétique et cathartique conduit alors à tracer une ligne de démarcation très nette entre jeux traditionnels et sports modernes.

II- La violence maîtrisée : jeux traditionnels et sports

On entre ici dans les analyses historiques d'Elias et Dunning, qui consacrent plusieurs articles sur cette question de l'histoire des sports. Dans l'article "Genèse du sport en tant que problème sociologique", Elias souligne l'ambiguïté d'une définition historique du sport. En effet, alors que les dictionnaires français et allemands du XIXe siècle soulignent systématiquement les origines anglaises du terme "sport" (en se réfèrent implicitement au sport né dans les public schools d'Eton ou de Rugby – "sport" ne deviendra vraiment un mot français / allemand qu'au début du XXe siècle), il semble qu'elles aient été très rapidement oubliées... On fait souvent référence aux origines grecques du sport et plus particulièrement aux jeux olympiques comme première grande manifestation sportive. Il s'agit vraisemblablement d'un discours destiné à légitimer les pratiques sportives en insistant (a posteriori) sur leur caractère universel ou transhistorique. Elias s'étonne en effet qu'on souligne si souvent les continuités entre les jeux traditionnels et les sports moderne et qu'on mentionne rarement les différences pourtant nombreuses et évidentes entre les deux phénomènes.

En prenant l'exemple de la lutte ou de la boxe, Elias montre que les règles des rencontres athlétiques toléraient un degré de violence physique bien supérieur à celui qui est aujourd'hui admis par les règles infiniment plus détaillées et différenciées des sports qui leur "correspondent". Ainsi Leontiskos de Messène, qui a remporté par deux fois la couronne olympique du pancrace (sorte de lutte au sol) durant la première moitié du Ve siècle (av. J.-C.), a vaincu un de ses adversaires, non pas en le mettant au sol, mais en lui brisant les doigts. Arrachion de Phigalie, deux fois vainqueur olympique au pancrace, est mort étranglé en 561 alors qu'il tentait pour la troisième fois d'obtenir la couronne olympique (mais comme il avait réussi, juste avant de mourir, à briser les orteils de son adversaire, que la douleur avait contraint à l'abandon, les juges ont décidé de couronner son cadavre). Aujourd'hui, la lutte est rigoureusement encadrée et réglementée. D'après le règlement olympique de 1967, sont considérés comme prises déloyales l'étranglement, le demi-étranglement, les coups de poings, les coups de pieds, les coups des tête ; les rencontres ne durent jamais plus de neuf minutes, divisées en périodes de trois minutes chacune avec deux pauses d'une minute et sont contrôlées par un arbitre, trois juges et un chronométreur. On peut trouver des exemples similaires sur la "boxe" telle qu'elle était pratiquée dans l'Antiquité : pas de distinction entre les catégories de poids des boxeurs, coups de pieds dans les tibias très courants, les protections des mains (aujourd'hui gants des boxe, destinés à protéger les mains du boxeur mais aussi à amortir l'impact des coups sur le corps de l'adversaire) en cuir dur et épais, munies de bords tranchants... Bref, les jeux grecs, si souvent présentés comme les dignes ancêtres du sport moderne différaient quant au niveau de violence de mise en jeu des corps autorisé. Or, nous dit Elias, il ne s'agit pas là d'une simple différence de degré mais bien d'une différence de nature.

En effet, un élément essentiel distingue fondamentalement les jeux de l'Antiquité du sport moderne : l'éthique sportive de la loyauté. Les jeux grecs étaient fondés sur une éthique dont l'origine est militaire : valorisation de l'efficacité (seule la victoire compte) et absence de distance au rôle (ils s'affrontent en tant que sportifs mais aussi en tant qu'individus – et on a vu que leur existence physique pouvait être menacée). Le pancrace était conçu comme un entraînement à la guerre (et Philostrate rapporte que la technique du pancrace a été particulièrement utile aux spartiates qui ont combattu les Thermopyles à mains nues une fois les épées et les javelots brisés...). Ces pratiques sportives correspondent également à une conception du corps (qu'on retrouve chez Aristote) : l'apparence physique d'un individu témoigne de la qualité de son âme (et doit donc déterminer sa position sociale et son pouvoir politique). Un individu au corps faible ou difforme doit nécessairement être écarté du jeu politique. Il n'est pas étonnant que les plus grands champions olympiques aient occupé des positions sociales et politiques élevées. La force physique, telle qu'elle était valorisée dans les jeux traditionnels, a aujourd'hui perdu son importance sociale : les transformations des pratiques corporelles (observables dans le passage des jeux traditionnels aux sports) doivent être rapportées aux évolutions de la conception du corps.

III - L'incorporation d'un habitus sportif et sa dimension politique

Pour saisir les liens de détermination réciproque entre habitus sportif et évolutions sociales et politiques, on peut partir d'une proclamation du lord-maire de Londres au nom d'Edouard II en 1314 : "Alors que notre seigneur le roi s'en va vers le pays d'Ecosse dans la guerre contre ses ennemis et nous a recommandé de maintenir

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