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L'Autorité Durkeim

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eunes à retrouver le goût de contester l’autorité. Pour cela, il nous faut comprendre pourquoi ils

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plébiscitent des formes d’autorité particulièrement aliénantes. Il nous faut aussi leur proposer des formes d’autorité susceptibles de les aider à grandir… Je tenterai de montrer que ces formes d’autorité - celles qui « rendent auteur » - se caractérisent par le fait qu’elles s’assument comme « transmission » et portent en elles la possibilité de leur propre contestation : elles permettent de s’incorporer un héritage et de le dépasser. Comme toute thèse, celle-ci est, évidemment, objet de discussion. Elle ne prétend pas analyser la totalité des phénomènes, mais voudrait permettre d’engager un débat fécond. Elle utilise, de plus, une catégorie sociologique approximative : « les jeunes ». J’ai bien conscience que cet usage est éminemment discutable, mais acceptons le provisoirement pour désigner l’ensemble des enfants et des adolescents qui se reconnaissent à travers les symboles et les comportements que promeuvent les « radios jeunes », les « magazines pour jeunes », les objets, gadgets et vêtements dont l’usage permet précisément d’être immédiatement reconnu comme « jeune ».

Conflit des générations : la crise de la crise

C’est devenu, aujourd’hui, un lieu commun : les enfants, de plus en plus jeunes, ainsi que les adolescents, récusent, aujourd’hui, assez largement les formes traditionnelles d’autorité que nous considérons comme légitimes et auxquelles nous considérons qu’ils doivent obéir « dans leur propre intérêt », que ce soit l’autorité des parents, des professeurs ou des représentants de l’État de droit (police, justice, administration, etc.). Plus encore, les jeunes générations ont tendance à considérer les formes d’expression de ces autorités comme des « caprices de la tribu d’en face ». Ils en récusent toute légitimité, en relativisent systématiquement les interdits et se revendiquent détenteurs eux-mêmes de règles de comportement tout aussi acceptables que celles que voudraient leur imposer les adultes. Ce qui est radicalement nouveau dans ce phénomène, c’est que la remise en cause ne porte pas seulement – comme jadis, pour leurs aînés – sur les méthodes utilisées par ceux qui détiennent l’autorité (un comportement trop rigide, des sanctions trop lourdes, des personnes trop tatillonnes, etc.), mais sur le principe même qui est censé fonder la légitimité de l’exercice de l’autorité. L’antériorité et l’expérience des parents ne sont plus reconnues comme des valeurs mais, au contraire, dans un monde où tout va très vite et où il faut faire acte d’allégeance au présent, considérées comme des handicaps. Le savoir chez les professeurs est contesté au nom d’autres sources d’ « informations » comme Internet, la télévision, la parole d’une star ou celle d’un texte religieux. Le bien commun n’apparaît plus comme l’apanage des représentants de l’État de droit ; tout au contraire, ces derniers sont vécus comme porteurs de leurs propres intérêts qu’ils voudraient opposer arbitrairement aux intérêts de ceux qu’ils tiennent sous leur

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coupe. À cet égard, il est particulièrement grave que les jeunes électeurs, entre vingt et trente ans, désertent les bureaux de vote : en ne participant pas à la « fabrication de la loi », ils s’exonèrent de l’obéissance à la loi… confirmant, mutadis mutandis, la formule de Rousseau : « L’obéissance à la règle qu’on s’est soi-même prescrite est liberté ». Mais - et nous en arrivons à la thèse que je vous propose d’examiner contrairement à ce qui caractérisait le conflit des générations jusqu’à ces dernières années, les enfants et adolescents ne « contestent » pas l’autorité des adultes en s’affrontant délibérément à elle. Ils ne discutent pas avec les adultes pour tenter de les convaincre que leur autorité est une vieillerie d’un autre âge… ils ne sont plus dans la provocation qui a marqué la « génération 68 »… ils sont ailleurs. Délibérément, sans complexes ni scrupules. Ils ne débattent pas, ils ignorent. L’adolescent en rupture ne tente plus de convaincre ses parents du bien-fondé de sa révolte. Les élèves n’engagent plus avec leurs professeurs des discussions sur le caractère archaïque de l’école et de ses méthodes. Les délinquants, eux, cherchent tout simplement à échapper au regard de la police et refusent, ensuite, de répondre aux interrogations du juge. Ce qui est en jeu, c’est donc l’existence même du conflit de générations. Il est remplacé par un conflit de communautés. Les jeunes, aujourd’hui, agissent comme si, au fond, cela ne valait même pas la peine d’entrer en conflit avec les adultes. Ils n’affrontent pas l’autorité de leurs parents, de leurs professeurs ou de leurs juges, ils l’ignorent. Et c’est cela qui, à mes yeux, est le plus inquiétant… Il faut bien comprendre, en effet, ce phénomène caractéristique de la « culture jeune »… et cesser de rabâcher que « c’est la faute à Mai 1968 ». En tant que forme historiquement datée de contestation de l’autorité, Mai 1968 marque, pour moi, la fin d’un processus nécessaire et sain, celui de la révolte contre le père et du conflit des générations. Comme cela en fût aussi l’assomption pour les gens de ma génération, beaucoup d’entre eux imaginent que ce fut un commencement. Je crois qu’ils se trompent. Le temps est fini où l’on s’abîmait dans Les nourritures terrestres pour nourrir sa révolte contre sa famille et son milieu Et c’est cela qui, précisément, pose problème ! Parce que, face à cela, nous sommes complètement démunis… La systématisation de l’autorité-emprise Et nous sommes d’autant plus démunis que, tout en ignorant notre autorité, les enfants et adolescents s’assujettissent très tôt à des formes d’autorité bien plus puissantes que celles que nous voudrions leur imposer. Ces formes d’autorité ne sont fondées sur aucune des légitimités que nous reconnaissons (l’expérience, le savoir, le bien commun), elles relèvent de l’aspiration fusionnelle et sont auto-référencées. Elles ne s’exercent pas « au nom de » quelque chose d’extérieur (la tradition, la vérité scientifique, des valeurs), mais

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simplement au nom de la jouissance collective qu’elles sont capables de procurer à ceux qui l’exercent comme à ceux qui s’y soumettent : c’est l’autorité des chefs de bandes, des « caïds », mais aussi et surtout l’autorité des vedettes, des animateurs de télévision, des « clercs » de toutes sortes qui tiennent les individus sous emprise. Je fais, d’ailleurs, l’hypothèse que les « groupes religieux » qui existent aujourd’hui et fascinent certains jeunes (le fondamentalisme islamique, l’intégrisme protestant aux États-Unis, les sectes de toutes sortes) ne sont pas vraiment des « communautés religieuses » : ils ne sont pas structurés autour d’une transcendance qui place le sens dans un au-delà du présent ; ils ne proposent pas une eschatologie explicite qui définit les fins dernières de l’homme et du monde… En réalité, il s’agit plutôt de « groupes d’appartenance » qui résolvent les questions de l’ici et maintenant par des réponses de l’ici et maintenant. Réponses tout entières contenues dans l’emprise des « clercs » sur les « fidèles ». Même s’il prétend l’être, le nouveau clerc n’est pas un intermédiaire entre l’ici-bas et l’au-delà, c’est un chef charismatique… quelqu’un qui dit, plus ou moins explicitement : « Je suis ta solution. » Alors que le clerc religieux ne cesse de protester de son impuissance à résoudre les problèmes des hommes et que, dans la religion chrétienne, Dieu lui-même, avoue cette même impuissance… Ainsi, les caractéristiques des « autorités-emprises » sont radicalement différentes de celles des « autorités traditionnelles » , y compris religieuses. Elles se caractérisent par l’absence de distinction entre la personne qui exerce l’autorité et le contenu qu’elle impose. Elles fonctionnent sur le mode de l’identification fusionnelle : l’autorité du chef est aussi celle du groupe et viceversa. L’obéissance, enfin, est toujours contrainte d’imitation du chef, alors que, dans l’autorité traditionnelle, précisément, les parents, les professeurs et les représentants de l’État imposent aux « mineurs » des comportements différents des leurs. Il règne dans le groupe une terrible pression à la norme, qui est aussi obligation de conformité : quiconque se permet d’oser sa différence - dans ses goûts, ses comportements, ses rites - sera exclu ou devra payer cher le prix de sa réintégration dans le groupe. Les nouvelles formes d’autorité-emprise nous placent ainsi devant une forme de communautés « irreligieuses » qui dénient toute légitimité à la question de la fin et installent le groupe dans le « présent absolu ». Leurs règles d’or sont le mimétisme et l’immédiateté. Tout le contraire de ce qui permet à l’homme de « faire société » et de se projeter dans le futur. La question que nous pose ce phénomène est donc la suivante : que procurent donc aux jeunes qui s’y soumettent ces nouvelles formes d’autorité auxquelles ils s’assujettissent si volontiers ? D’une part, et en tout premier lieu sans doute, la sortie de la solitude : dans le « village planétaire » où les liens sociaux se distendent de plus en plus, où

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