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L'Ignorance, Milan Kundera

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unisme russe n’avait pu faire sa balade d’adieu. Et c’est un matin, 20 ans plus tard, qu’elle réalise qu’elle est en train de l’accomplir.

Ils sont passés de l’autre côté et c’est une autre nostalgie qui les habite.

Fondamentalement, c’est la mémoire est le rapport entre le temps de la vie vécue et le temps de la vie stockée dans la mémoire.

On ne finit pas de critiquer ceux qui la perde, mais la mémoire peut se perdre intentionnellement. Ces émigrés n’ont rien à « garder en mémoire » de leur vie passée. Malheureusement, la mémoire n’a pas de restitution possible.

Le vieux journal de Josef est sa mémoire conservant les notes du témoin authentique d’un passé ; les notes parlent des événements que leur auteur n’a pas de raisons de nier mais que sa mémoire ne peut confirmer non plus. De tout ce que le journal raconte, un seul détail a allumé un souvenir net et, certainement, précis : il s’est vu sur un chemin de forêt racontant à une lycéenne le mensonge de son déménagement à Prague ; cette petite scène, plus exactement cette ombre de scène (car il ne se rappelle que le sens général de son propos et le fait d’avoir menti), est la seule parcelle de vie qui, ensommeillée, est restée stockée dans sa mémoire.

Mais elle est isolée de ce qui l’a précédée et de ce qui l’a suivie : par quel propos, par quel acte la lycéenne l’a-t-elle incité à inventer ce bobard ? Et que s’est-il passé les jours suivants ? Combien de temps a-t-il persisté dans sa tromperie ? Et comment s’en est-il sorti ?

Voudrait-il raconter ce souvenir comme une petite anecdote qui ait un sens, il serait obligé de l’insérer dans une suite causale d’autres événements, d’autres actes et d’autres paroles ; et puisqu’il les a oubliés, il ne lui resterait qu’à les inventer ; non pas pour tricher, mais pour rendre le souvenir intelligible ; ce que d’ailleurs il a fait spontanément pour lui-même quand il était encore penché sur les lignes du journal :

Le morveux était désespéré de ne trouver dans l’amour de sa lycéenne aucune marque d’extase ; quand il lui touchait la croupe, elle lui enlevait la main : pour la punir, il lui dit qu’il allait déménager à Prague ; chagrinée, elle se laissa peloter et déclara qu’elle comprenait les poètes qui jusqu’à la mort restaient fidèles ; tout se passa donc pour son plus grand bonheur, sauf qu’après une semaine ou deux la fille déduisit du déménagement programmé de son ami qu’il lui fallait le remplacer à temps par un autre ; elle se mit à le chercher, le morveux le devina et ne put dompter sa jalousie ; sous le prétexte d’un séjour à la montagne où elle devait se rendre sans lui, il lui fit une scène d’hystérie ; il se ridiculisa ; elle le lâcha.

Quoiqu’il ait voulu être au plus proche de la vérité, Josef ne pouvait pas prétendre que son anecdote était identique à ce qu’il avait vraiment vécu ; il savait que ce n’était que du vraisemblable plaqué sur de l’oublié.

J’imagine l’émotion de deux êtres qui se revoient après des années. Jadis, ils se sont fréquentés et pensent donc être liés par la même expérience, par les mêmes souvenirs. Les mêmes souvenirs ?

C’est là que le malentendu commence : ils n’ont pas les mêmes souvenirs ; tous deux gardent de leurs rencontres deux ou trois petites situations, mais chacun a les siennes : les souvenirs ne se ressemblent pas ; ne se recoupent pas ; et même quantitativement, ils ne sont pas comparables : l’un se souvient de l’autre plus que celui-ci ne se souvient de lui , ici Irena se souvient parfaitement de cet amour qu’elle portait et finalement, porte encore pour Josef. Elle imagine l’émigration comme une parcelle avant de commencer leur idylle. Comme pour Ulysse et Pénélope.

Malheureusement, le plus pénible à admettre pour Irena, c’est le fait qu’ils n’ont pas, l’un pour l’autre, la même importance du fait que Josef ne se rappelle pas la moindre de qui elle est.

Quand Irena vit Josef à l’aéroport, elle se rappelait chaque détail de leur aventure passée. Josef ne se rappelait rien. Dès la première seconde, leur rencontre reposait sur une inégalité injuste et révoltante.

La nostalgie se marie parfaitement à L’ignorance.



Ce non-savoir se révèle double.

Irena et Josef sont nostalgiques, et ceux restés au pays ignorent aussi ce que sont devenus leurs frères et filles… Mais au Retour ils ne veulent pas l’entendre. Les exilés pensaient qu’on s’intéresserait à leur sort, cependant l’habitude de l’oubli a pris le dessus et l’ignorance indifférente est devenue maîtresse.

Ce passé hors des frontières mères est regardé comme illégitime, et ceux qui y sont restés le nient.

Pour eux rien ne compte plus que le pays.

Le reste a disparu de la carte, toute l’attention est tournée vers eux, ils n’en ont plus à donner. La vie ailleurs n’en était pas vraiment une…

Pour que les émigrés redeviennent tchèques à leurs yeux, ils leur demandent de s’amputer de vingt ans de leur vie. Leur pays d’accueil les renvoie chez eux et leur terre natale refuse leur nouvelle nature, trop étrangère… Tous doutent de leur véritable identité et attendent des preuves.

Lors de ce qui n’est finalement qu’une visite les Ulysse veulent savoir quel passé leur a échappé.

Ils ne le sauront pas, car ce qu’ils n’ont voulu connaître leur sera caché et seuls les souvenirs communs feront l’objet de conversations, comme pour vérifier l’authenticité du revenant. C’est un jeu pour essayer de les faire remonter à leurs racines et contrôler leur volonté de se refondre dans leur pays. Ou non…


Alors qu’Irena et Josef se refusent à sacrifier ce qui est devenu leur vie, les autres restent indifférents à la souffrance qu’ils causent.



L’ignorance se retrouve partout entre eux, dans les moindres nœuds des liens qui les rapprochent, tout cela pour façonner une image de l’autre, ne gardant que ce qui fait de lui une parfaite représentation d’Ulysse ou de l’exilé. Elle est volontaire et inconsciente.






Amoureux dans sa jeunesse, Josef a montré à Milada la cruauté comme seul moyen de défense face à l’inconnu. Et les deux, ignorants de la force de caractère de la jeunesse, n’ont pas su apprécier la mort et la réalité, l’impact qu’ils avaient sur elle… Josef l’a sous-estimé et a poussé la jeune fille au suicide, tandis que cette dernière l’a surestimé et n’est pas morte, gelée dans sa beauté éternelle, pour n’avoir pas su surmonter la nostalgie qu’il y a dans l’amour, ce « Tu es loin et je ne sais pas ce que tu deviens. »



Milada se verra couper un bout d’oreille, elle qui se trouvait tellement belle, devra admettre cette partie d’elle, l’ignorer.

Milana se regardera dans un miroir, le reflet de l’âme.

Entre Irena et Josef, c’est l’ignorance le déclencheur : il ne se souvient pas d’elle, elle l’idéalise, entouré de mystère… Elle n’a pour attirance que sa mémoire : le reste elle l’ignore, c’est le destin qui se dessine dans les retrouvailles, l’excitation de se croire maîtresse des ses décisions après deux compagnons presque imposés qui l’enchante. Une fois qu’elle apprend la vérité, tout s’effondre. Ne pas savoir a du bon, parfois…

En effet Josef ne vit que pour sa femme, décédée, elle est sa nouvelle terre et même si Irena aussi a vu son premier amour s’écrouler sous la maladie, tous les deux ne se comprennent pas. Ni l’exil ni le deuil ne les font se rapprocher, se soutenir. Ils ignorent leurs plaies respectives pour s’apitoyer sur les leurs.



Encore une fois chez Kundera l’amour n’est qu’un malentendu, fruit de l’ignorance de l’histoire et des pensées de l’autre.

Ainsi L’ignorance est-elle le récit d’une redécouverte. Celle de notre véritable appartenance.


Comparaison entre Milan Kundera et L’Ignorance dans un article

Un grand retour à Prague, après 1989, c’est ce qu’on s’attend de tous ceux qui ont pris le chemin de l’exil après 1968, suite à la main--mise soviétique sur la Tchécoslovaquie. C’est donc ce qu’on s’attend d’Irena qui, heureuse, vit depuis plus de vingt ans à Paris où elle a ses deux filles et toute vie, mais aussi de Josef qui a trouvé la femme de sa vie au Danemark. L’un et l’autre sont veufs, mais poussée par ses amis et le Suédois Gustaf, son compagnon du moment pour elle, et, pour lui, se sentant obligé de respecter le projet de voyageque sa femme avait fait en son nom, l’une et l’autre se décident à aller passer quelques jours à Prague. Irena et Josef se rencontrent par hasard à l’aéroport, mais réussiront-ils à renouer les fils d’une brève histoire commune? D’autres personnages entrent en scène, ceux qui faisaient partie de leur vie avant leur départ, qui sont restés et ont vécu l’expérience communiste.

L’auteur joue immédiatement sur les deux mots «nostalgie» et «ignorance», liés par une racine linguistique commune, pour nous conduire vers le manque de fiabilité de la mémoire. Le fil de mémoire qui se trouve dans chacun d’entre nous est ténu, nous vivons en nous enfonçant

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