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Le Corps Et Le Paysage, Dans La Chaleur Vacante d'André Du Bouchet

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i pourrait paraître presque hors sujet, mais qui selon moi a sa place ici. En effet, le mot corps exprime le corps humain tout autant que le corps animal. La présence de ces derniers n’est pas très claire, et c’est ce qui la rend intéressante. Nous n’avons mention que de deux animaux : L’araignée dans Le Moteur Blanc page 67 :

« Déjà, des araignées courent sur moi, sur la terre démembrée. Je me lève droit au-dessus des labours, sur les vagues courtes et sèches, d’un champ accompli et devenu bleu où je marche sans facilité. »

Pourquoi ce choix de l’araignée ? En effet, on a une œuvre où le règne végétal est réduit au terme générique de l’arbre et des brindilles, nous reviendrons sur ce point-là plus tard, le monde minéral, quant à lui est obsédant. Le règne se partage entre la terre et l’air. Il est donc significatif que le seul véritable représentant du règne animal soit l’araignée : animal chtonien mais aussi aérien lorsqu’il tisse sa toile dans l’air et y voyage.

On a aussi, la mention du papillon, page 34 :

« Le jour, papillon glacé »

Mais l’animal n’est pas là à pendre au premier degré, comme être vivant, mais plutôt comme une image, nous ne nous étendrons donc pas dessus.

B - Un corps démembré

L’homme se devine par ses traces (maison…) mais il n’est pas plus visible que dans les travaux d’Hercules Segher (16-17ème) (Paysage). Il y a uniquement un sujet qui parcourt du regard les choses, et qui est porteur de la parole fondatrice ou de la représentation fondatrice. Par la suite j’ai effectué un relevé des occurrences corporelles dans la poésie de Dans la Chaleur vacante et celles-ci sont nombreuses, et là, ça s’est complexifié. En première remarque : on note tout d’abord que le corps humain n’est jamais envisagé dans son ensemble mais en parties réduites, on pourrait les classer en trois domaines : on a les parties du corps qui marquent un mouvement en avant, qui s’inscrivent dans un mouvement extérieur :

la face dans le sens du visage

« Ce balbutiement blanc cette bulle la figure encore criblée de pierres […] » P. 15

et notamment son front,

« Ouverte, la maison ne nous retranche plus du front des routes, de ce lit défait » P. 21

les lèvres :

« Comme une voix qui sur ses lèvres même assècheraient l’éclat » P. 104

Les yeux

« Le feu qui souffle sera le fruit de ce jour-là, sur la route en fusion qui réussit à devenir blanche aux yeux heurtés des pierres. » P. 68

la bouche,

« Ici, il ouvre sa bouche blanche » P. 63

la main

« J’ai construit un été en quelques jours, au-dessus de mes mains, au-dessus de la terre » P. 17

le bras,

« Je prête mon bras au vent » P. 65

Les épaules :

« J’avance avec de l’ombre sur les épaules » P. 77

Le coude :

« Mon récit sera la branche noire qui fait un coude dans le ciel » P. 62

les doigts :

« L’ombre rouge de la terre sur les doigts quand elle est fragile, sous ses tentures, et que la chaleur ne nous a pas cachés. » P. 71

les ongles :

« Le ciel derrière comme un ongle blanc, et la gorgée de terre que nous avons bue d’un trait » P. 50

le front.

« Ce front au-dessus de ma tête, très haut » P. 51

Les yeux :

« L’air sur lequel s’ouvrent mes yeux est encore l’air du jour » P. 96

On a les parties du corps permettant la marche :

le genou,

« Le genou contre la porte de bois, et cette gorgée de terre » p. 54

le pied,

« Quand la route casse je change de pied » P. 33

les chevilles :

« Le jour écorche les chevilles » P. 13

Le talon :

« Vent, mais feu, vraiment, jusqu’au talon, au jour noir, au bord du front » P. 81

et enfin la poitrine

« Et le jour bêchera notre poitrine » P. 18

et la tête

« L’oreiller, le glacier, sans ta tête » P. 20

La première difficulté est facile à cerner et nous y reviendrons : c’est la distinction entre le corps de l’être humain, et le corps du paysage.

Une fois ce tri rapidement fait, pour les termes faciles, car certaines distinctions restent discutables. On s’aperçoit que le corps apparaît systématiquement déchiré :

« Je me suis déchiré, une nouvelle fois, de l’autre côté de ce mur, comme l’air que tu vois, à cette lueur froide. » P. 42

Le but n’est pas de vraiment de décrire un corps, il n’y a aucun des éléments nécessaires à la description, mais bien d’inscrire le corps dans un paysage. La déchirure marque le contact au paysage. On note donc la fascination pour l’éclatement de quelque type qu’elle soit. C’est au lecteur de chercher à renouer le fil entre les membres, entre les mots.

B - Le corps en mouvement

André du Bouchet nous propose une poésie de la promenade, nous avons évoqué la semaine dernière le fait qu’il écrivait au cours de ses promenades sur des carnets. Le corps du poète est au contact de la nature, au moment où les mots surgissent. Jacques Depreux dans André Du Bouchet ou la parole traversée : évoque le « moteur » d’une parole qui apparaîtrait comme l’équivalent de la marche. L’homme avance dans un paysage qui lui est rattaché, dans lequel il s’imprime à chaque pas. Moment d’instabilité et de repos. Le paysage appelle la marche. Julien Gracq, dans En lisant, en écrivant : « Tout grand paysage est une invitation à le posséder par la marche : le genre d’enthousiasme qu’il communique est une ivresse de parcours. Cette zone d’ombre, puis cette nappe de lumière, puis ce versant à descendre, cette rivière guéable, cette maison déjà esseulée sur la colline, ce bois noir auquel elle s’adosse, et, tout au fond, cette brume ensoleillée comme une gloire qui est indissolublement à la fois le point de fuite du paysage, l’étape proposée de notre journée, et comme la perspective obscurément prophétisée de notre vie ». Cependant, ici, la marche est un lieu d’effort, parsemée d’obstacles créés par l’homme, comme les murs ou naturels comme la montagne, on a d’ailleurs ici un rapprochement entre le poète et l’alpiniste, mais nous aurons l’occasion de revenir dessus. On peut se demander « Vers quoi avance-t-il ? Dans quel but ? ».Cette question est indivisible d’un des besoins du corps « la soif ». Qui s’étend à tout autre domaine. Ici, la « soif » correspond au désir d’atteindre une réalité cachée, semblable à une recomposition.

« Je me recompose au pied de la façade, comme l’air bleu au pied des labours » P.107

La marche est donc tendue, ici, vers un but assigné, différent du Piéton que l’on voit dans le texte du même nom de Reverdy (1929) qui est assimilable à une marche sans direction. La marche, pour André du Bouchet est un mouvement réparateur de la séparation. Mais comme chez Reverdy, il s’agit d’un mouvement incessant, de même que dans l’Homme qui marche de Giacometti. L’arrêt, le repos est négatif, écho de Pascal :

« Notre nature est dans le mouvement ; le repos tout entier est la mort. » Dans les Pensées

II Le corps du poète et ses autres

Avant d’entrer dans le sujet même du paysage mis en corps, je ferai une sorte de « partie de transition » sur la notion du « Je » et des Autres, le « Tu », le « Il », le « Nous ».

A - Je, Tu, Il, Nous

Depuis Rimbaud, on le sait, l’acte d’écrire engage à une découverte intime :

« Je est un autre »

Jean Rousset pointe particulièrement bien du doigt dans ses critiques cette idée de surprise de la création littéraire comme découverte de soi. Néanmoins, cette découverte de soi me semble relativement apprivoisée chez André du Bouchet.

Nous allons commencer par voir le « je ». C’est une affirmation de l’égo, c’est lui qui agit,

« J’anime le lien des routes » P. 11

C’est aussi ce « je » qui va vers, avance vers l’horizon. Dans ces termes, je pense qu’il faut, donc, voir le « tu », comme l’Autre en soi et non pas comme

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