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Le Ruban Volé

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n père, était artisan horloger et citoyen genevois. Sa mère, Suzanne Bernard, la nièce d'un pasteur, était intelligente et cultivée, plus riche que son mari. Son enfance fut marquée par le souvenir de cette mère qu'il n'avait pas connue mais qu'il découvrit indirectement, par les romans qu'elle avait laissés et que, la nuit, il lut passionnément avec son père. Ces premières lectures (la bibliothèque maternelle, puis celle de son grand-père maternel) révélèrent une prédilection dangereuse pour l'imaginaire. Il s'imprégna des rêveries sentimentales propres aux romans précieux du XVIIe siècle ainsi que des grands faits héroïques racontés par Plutarque.

Il avait un frère aîné, François, que son père détestait, qu’il frappait, mettait au cachot et qu’il fit même conduire en maison de correction au motif qu’il s’était livré au libertinage. Il allait s’enfuir de la maison paternelle à l’âge de dix-sept ans, ne donna jamais de ses nouvelles, personne ne sachant ce qu’il était devenu.

Devenu alors fils unique, Jean-Jacques fut élevé jusqu'à dix ans par son père, esprit fantasque qui était trop tendre pour être autoritaire, et par sa tante Suzon qui «savait une quantité prodigieuse d’airs et de chansons qu’elle chantait avec un filet de voix fort douce» et à laquelle il dut «le goût ou plutôt la passion pour la musique qui ne s’est bien développée en moi que longtemps après».

À la suite d'une mésentente avec les autorités genevoises et d’une violente querelle, Isaac Rousseau préféra à l'emprisonnement l'exil volontaire à Nyon. Ce départ mit fin au bonheur de son fils qui fut alors confié à son oncle maternel, Gabriel Bernard, qui le mit en pension avec son propre fils, Abraham, chez « le ministre » protestant Jean-Jacques Lambercier, à Bossey, à la campagne.

De dix à douze ans, il y vécut une période de très grand bonheur fait d'innocence enfantine, de communication confiante avec ses proches, de liberté au sein de la nature. Il découvrit les charmes simples de la vie champêtre et s'ouvrit aux joies de l'amitié avec son cousin : ils devinrent vite inséparables. Deux événements vinrent à la fin ternir cet âge d'or : il reçut « la punition des enfants », une fessée infligée par Mlle Gabrielle Lambercier, et ressentit un trouble plaisir («goût bizarre, toujours persistant et porté jusqu'à la dépravation, jusqu'à la folie») qui orienta de façon durable sa vie chamelle, déterminant la sexualité à tendance masochiste de l'adulte. D'autre part, une accusation injuste portée contre lui, à propos d'un peigne cassé, lui fit brutalement prendre conscience de l'injustice, du décalage entre la vérité et les apparences, de la difficulté à communiquer avec ses semblables et du mensonge propres à la vie sociale. Il data de cette mésaventure la fin du bonheur pur. Toutefois, deux autres événements, l'épisode comique de la culbute de Mlle Lambercier et l'aventure du noyer dont fut détournée l’eau d’arrosage, compensèrent sans la remettre fondamentalement en question la dégradation irrémédiable du paradis de l'enfance.

Reconduit à Genève par l'oncle Bemard, il connut d'abord une courte période de répit, pendant laquelle il poursuivit deux innocentes amourettes. Malheureusement, on ne le laissa pas jouir davantage de cette agréable oisiveté et on lui imposa des apprentissages qu’il subit avec indolence et sans plaisir.

À l'âge de quinze ans, il fut d'abord placé chez un greffier atrabilaire, M. Masseron qui le renvoya pour son ineptie. Il entra ensuite au service d’un graveur, M. Ducommun, homme tyrannique et brutal qui le dégoûta du métier et finit par lui faire contracter les vices de tous les tyrannisés qui effacèrent les bénéfices de la première éducation : il y fit un étonnant vol d’asperges pour satisfaire sa gourmandise. Devenu menteur et paresseux, il glissait sur la pente de la délinquance et avait même oublié son latin. Ayant perdu sa gaîté en même temps que sa liberté, il se replia sur lui-même et trouva dans la lecture clandestine et fébrile de romans remplis d'aventures et de galanteries, loués à une femme nommée La Tribu, la compensation imaginaire nécessaire à son existence malheureuse.

Dans sa seizième année, le soir du 14 mars 1728, rentré trop tard d'une promenade hors de Genève, il trouva closes les portes de la ville : pour échapper à la punition qui l'attendait, son maître lui ayant promis un accueil dont il se souviendrait si pareille mésaventure lui arrivait, il décida de s'enfuir et de partir à l’aventure sur les grands chemins. Avant de poursuivre son récit, il se prend à rêver du bonheur qu'il aurait pu connaître comme artisan, si un sort plus clément lui eût réservé un meilleur maître.

“Livre deuxième”

(1728)

Ivre de liberté, le jeune homme s'imaginait que le vaste monde allait lui offrir un terrain de conquêtes. Il se rêvait chevalier, favori du seigneur et de la dame, amant de la demoiselle, ami du frère et protecteur des voisins. En attendant que se réalise ce brillant avenir, sortant de la ville, il passa la frontière du royaume de Piémont-Savoie, pays catholique jouxtant le territoire de Genève. Parcourant deux lieues, il fut, à Confignon, accueilli par le bienveillant curé, M. de Pontverre, qui le nourrit et le logea. Désireux d'arracher cette âme à l'hérésie, de la gagner au catholicisme, il l'envoya à Annecy chez Mme de Warens, une nouvelle convertie qu'il lui dépeignit comme une bonne dame bien charitable, que « les bienfaits du roi mettaient en état de retirer d'autres âmes de l'erreur dont elle était sortie elle-même ». Le 21 mars 1728, dimanche des Rameaux, ce fut le choc : il vit, au lieu de «la vieille dévote bien rechignée» qu’il se figurait, «un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le contour d'une gorge enchanteresse». «La belle convertisseuse», qui avait vingt-quatre ans, fut émue par le sort du jeune vagabond que l’adulte décrit ainsi : « J’étais au milieu de ma seizième année. Sans être ce qu’on appelle un beau graçon, j’étais bien pris dans ma petite taille ; j’avais un joli pied, la jambe fine, l’air dégagé, la physionomie animée, la bouche mignonne, les sourcils et les cheveux noirs, les yeux petits et même enfoncés, mais qui lançaient avec force le feu dont mon sang était embrasé. » Il éprouva aussitôt de l’amour pour celle qui, à ses yeux, unissait les prestiges de la femme séduisante et de la mère protectrice : il l’appela «Maman» et elle allait lui laisser une impression ineffaçable. Sous le charme, il commença alors à accepter l'idée de la conversion et, trois jours plus tard, elle l’envoya à Turin, capitale du Piémont-Savoie, à l'hospice des catéchumènes.

Il fit un voyage à pied des plus agréables en compagnie des époux Sabran, lui n'étant pas si bourru qu'il en avait l'air, elle étant sémillante, et il fut enchanté de passer de hautes montagnes et de voir tant de pays. Mais ils le dépouillèrent. Et, à Turin, il découvrit un endroit sinistre comme une prison où il passa quelques jours misérables, avec ses compagnons d'infortune qui ne lui inspiraient pas confiance. Quant au prêtres chargés de l'instruction, ignorants, incompétents, ils se heurtaient aux objections incessantes de l'adolescent sans être capables d'y répondre de façon satisfaisante. En outre, un de ses compagnons, un Maure, s'éprit de lui et s'efforça de gagner ses faveurs, n'hésitant pas à se masturber en sa présence. Horrifié par cette mésaventure, il s'en plaignit à tout son entourage, mais ne rencontra qu'hypocrisie et indifférence. Après une rapide instruction religieuse, il abjura le protestantisme et devint catholique, rendant grâce à Dieu de le lui avoir permis, mais étant surtout pressé de fuir un lieu qui le dégoûtait, et de combler son ambition. La façon dont on se débarrassa de lui après le baptême («On me souhaita bonne fortune, on ferma sur moi la porte, et tout disparut») acheva de le conforter dans sa désillusion.

Sans le sou, il erra dans Turin, avant d'effectuer quelques travaux dans la boutique d’une jolie et douce marchande italienne, Mme Basile. Ce fut une chaste idylle, bientôt interrompue par la jalousie du mari qui mit fin à ces moments de grâce en le chassant. Il trouva alors une place de laquais chez Mme de Vercellis. Peu satisfait de son état, il essaya en vain de se faire remarquer de la comtesse qui resta insensible à ses talents, accaparée qu’elle était par ses intendants et sa première femme de chambre qui songeaient à ne rien laisser échapper de leur portion d'héritage. Il vola un ruban, mais mentit effrontément en en accusant Marion, une jeune et innocente cuisinière qui en pleura beaucoup. Il fut congédié avec elle. Dans une réflexion rétrospective sur sa propre culpabilité, Rousseau trouve la raison de ce forfait dont le remords l'a toujours poursuivi : c'étaient « l'assemblée des hommes, le jugement des maîtres et leur peu de clairvoyance » qui l'avaient poussé à éviter la honte et à mentir. La comtesse mourut de maladie trois mois plus tard. Elle ne lui légua rien, alors qu'il avait espéré en entrant chez elle qu'elle ferait sa fortune.

“Livre

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