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Les Langues Du Paradis

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compte bien débusquer dans la forme des langues, matière à révéler une image précise des sociétés préhistoriques.

Selon ces études, chaque état de langue correspond à un type de société. Le langage ne procède pas seulement de la communication, elle façonne la pensée, la culture, donc l’identité du groupe linguistique et dessine les contours des groupes ethnologiques. Selon le philosophe Etienne Bonnot de Condillac, la langue est le « génie de chaque peuple ». Pour le philologue Ernest Renan, toute langue détermine l’esprit du peuple qui la pratique tel un « moule ».

Philologues et mythologues imaginent alors, aux origines de la civilisation, une sorte d’axe bipolaire entre Aryens et Sémites. Chacun joue son rôle dans ce couple providentiel aux vertus inégales, l’un se définissant à la lumière de l’autre. Il s’agit dès lors de minimiser, autant que faire se peut, l’implication des Sémites dans la découverte essentielle du monothéisme et replacer sur l’échiquier des premiers temps, la prééminence du peuple aryen. Face à la dynamique polythéiste des Aryens, on pose la stagnation monothéiste des Sémites. Du moins jusqu’à l’avènement du Christ, figure centrale dans l’histoire qui permet de comprendre le contexte historique dans lequel naissent ces « jumeaux primordiaux ».

Ainsi se tisse une fable aussi savante qu’absurde à propos du rôle des Sémites et des Aryens au commencement du monde. L’homme civilisé peut désormais se reconnaître dans la vocation historique des Aryens, maîtres de la nature, du temps et de l’espace, des sciences et des arts et la filiation spirituelle avec les Sémites dont le seul trésor est le monothéisme.

Au fil de sa démonstration, Olender nous raconte une histoire dans l’histoire, celle de ce couple dont le mariage soi-disant providentiel n’est qu’un mariage arrangé par leurs descendants, dont la complémentarité aurait déterminé le cours de l’histoire du monde.

Or, c’est le cheminement de la pensée du XIXème qui s’écrit à travers cette conception originelle et permet d’éclairer la nécessité de cette période à ancrer leur destin dans une redistribution des rôles et pouvoir ainsi supporter l’idée d’avoir des ancêtres non seulement absents du texte biblique mais qui se sont fourvoyés dans le polythéisme.

La philologie du XIXème n’est pas en mesure de distinguer clairement l’étude propre à l’origine des langues et l’archéologie sur la langue du paradis. L’histoire et la mythologie sont entremêlées, interdisant ainsi toute conclusion pertinente. Pour eux, il va de soi que l’histoire de l’humanité a pris naissance dans le jardin d’Eden, il est donc bien normal de chercher au Paradis les racines historiques de l’homme. Cependant, la recherche propre à l’idiome du Paradis se singularise par le fait de « refuser d’identifier l’hébreu au jardin d’Eden ».

Pour illustrer son propos, Olender dépeint les approches de ces différents savants. Ainsi, Herder donne sa vision providentielle de l’histoire humaine en marche vers son ultime dessein, le christianisme. « Renan polythéise le christianisme en l’ayranisant, Pictet monothéise les Aryens pour en faire de meilleurs chrétiens, Max Müller voit surgir un monothéisme universel lorsque Dieu se révèle aux hommes lors de la Création biblique» et Grau sémitise le christianisme pour prévenir les dangers du paganisme. Quant à Goldziher, il est le seul dans cette galerie de portrait à proposer une véritable démarche scientifique. Rejetant les à-priori de ses pairs, il désaryanise la fonction mythologique en montrant qu’elle est inhérente à l’esprit humain.

Les nouvelles sciences religieuses avaient l’ambition de traiter toutes les religions sur un même plan de manière laïque. Force est de constater la place prépondérante du Christ dans les œuvres de Renan, Pictet, Müller et Grau. Ils ne déterrent les vénérables archives de la civilisation indo-européennes que pour les déchiffrer à la lumière de l’avènement christique. Les motivations sont faussées puisqu’influencées à la fois par leur indubitable interprétation chrétienne du cours de l’histoire et par le contexte politique de leur temps. Le caractère providentiel de leur démonstration, les prémisses arrangées à leur gré afin de parvenir à tout prix à une conclusion favorable aux Aryens, le besoin de hiérarchiser les peuples afin de justifier leur soif de conquête colonialiste conduisent à l’impossibilité d’aboutir à des résultats « scientifiques ». Ils ne font que de la « pseudoscience » en décryptant l’histoire du mythe originelle à travers une nouvelle interprétation non moins mythologique.

Au siècle dernier, science et religion ont maintes fois travaillé de concert. Si la science a œuvré afin de conforter le statut du christianisme en Europe, la compréhension de la pensée christique, à son tour, a favorisé l’émergence des sciences, en permettant la laïcité.

A croire Renan, il ne faudrait plus chercher la paternité de la physique ou de la philosophie chez les Grecs mais bien dans la démarche du Christ qui a su initier le monde à un « esprit nouveau ». Les savants voient dans la religion non dogmatique de Jésus -contrairement à celle de l’Eglise- l’ouverture à l’esprit scientifique. Comme si, d’une certaine façon, il en faisait partie intégrante. Renan introduit la voie d’un rationalisme chrétien, dégagé du miracle et des superstitions, et peut allier la vérité chrétienne à la vérité exacte des sciences du XIXème siècle.

De manière générale, la question du rapport entre groupe linguistique et groupe ethnologique est au cœur de ce livre. Herder résume « la nature humaine » à « un tissu de langage », quant à Renan, il affirme que «la pensée sémite est profondément monothéiste et leur langue est l’organe d’une race monothéiste ». Ces postulats sont une des raisons majeures qui rendent leurs différentes théories caduques. En voulant dresser le portrait de chaque peuple à partir d’un simple système linguistique, sans se préoccuper de toute la complexité inhérente à l’édification des peuples dans l’histoire, les philologues ne pouvaient que parvenir à des conclusions aberrantes. (Cela dit, cette approche a perduré après eux à travers la théorie du déterminisme linguistique de Sapir et Whorf, au siècle suivant. La différence ici se situe entre vision diachronique pour les philologues et synchronique pour les linguistes du XXème siècle. Le fait est qu’on ne peut résumer un peuple, encore moins dans sa grammaire, comme si l’on pouvait se targuer de connaître les Français en feuilletant un Bescherelle.)

Puisque les langues forgent l’esprit des peuples et que les langues sémites sont incapables de complexité -la grammaire y est insignifiante, le lexique transparent- les Sémites sont inaptes à la réflexion et ne peuvent s’orienter dans la pluralité du temps et de l’espace. Les Hébreux sont ainsi décrit comme un peuple fruste et immobile. C’est précisément cette avarie intellectuelle qui permet aux Sémites de recevoir la révélation monothéiste. Leur unique compétence est amour de Dieu et ce dernier les aurait, en quelque sorte, pris en pitié (Grau). Le monothéisme leur est alors révélé à leur insu, seule explication supportable pour justifier l’antériorité du Dieu unique dans l’histoire sémitique. La civilisation sémite devient la gardienne stérile de ce patrimoine religieux qu’elle n’a su ni partager, ni propager, ni utiliser pour lutter contre le polythéisme. Jusqu’au jour où, enfin, le Christ est sorti de ce peuple. Pétrifiés par leur « mission sublime », elle ne peut reconnaître le christianisme comme la « religion définitive ». Dès lors, on les taxe de croupir dans une enfance éternelle.

Quant aux Aryens, ou Indo-Européens, ou Aryas ou Indo-Germains selon les auteurs, ils sont, en tous points, supérieurs aux Sémites, si ce n’est en Dieu. Tout le monde n’a pas le privilège d’être abruti en raison de témoignage éternel. Si les Aryens se sont égarés dans le polythéisme, c’est qu’ils ont été victimes de la brillance de leur esprit et de la richesse de leur langue. A vouloir légitimement comprendre les phénomènes naturels, ils ont basculé dans la mythologie.

Le temps et l’espace sont les instruments des théories aryano-sémitiques. Conceptions exclusivement réservées à l’entendement des Aryens, les auteurs en présence n’auront de cesse de les refuser aux Sémites. Les Hébreux sont ainsi reclus dans un âge sans histoire, à l’abri du temps qui passe pendant que le christianisme poursuit sa progression inéluctable. Rien de tel qu’un point figé pour réaliser le chemin parcouru. Les Sémites, donnent la mesure du progrès chrétien par leur immobilité. Au-delà du fait que cette vision statique des Sémites est absurde et injuste, elle a pour conséquence de rejeter les Sémites du cours de l’histoire. Ce que Goldziher tâchera de rétablir en mettant en perspective les valeurs d’une culture qui s’élabore dans le temps.

Plus généralement, c’est tous les peuples hors Occident qui sont taxés d’immobilisme. Cela a pour but de justifier, voire de moraliser la politique coloniale de l’époque. Renan élabore un système hiérarchique des « races », censé permettre de dégager un sens possible de l’histoire passée et à venir de l’humanité. Le rôle historique des peuples découle du portrait de races qu’il en fait et Renan en constate les inégalités. En conséquent, « La société humaine est un édifice

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