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Machiavel

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on,

dans l' « invocation » adressée à un prince, « réellement existant ». Dans son livre, Machiavel expose comment doit être

le prince qui veut conduire un peuple à la fondation du nouvel État, et l'exposé est mené avec une rigueur logique, avec

un détachement scientifique ; dans la conclusion, Machiavel lui-même se fait peuple, se confond avec le peuple, mais

non avec un peuple au sens « générique », mais avec le peuple que Machiavel a convaincu par l'exposé qui précède, un

peuple dont il devient, dont il se sent la conscience et l'expression, dont il sent l'identité avec lui-même : il semble que

tout le travail « logique » ne soit qu'une réflexion du peuple sur lui-même, un raisonnement intérieur, qui se fait dans la

conscience populaire et qui trouve sa conclusion dans un cri passionné, immédiat. La passion, de raisonnement sur ellemême,

redevient « mouvement affectif », fièvre, fanatisme d'action. Voilà pourquoi l'épilogue du Prince n'est pas

quelque chose d'extrinsèque, de « plaqué » de l'extérieur, de rhétorique, mais doit être expliqué comme un élément

nécessaire de l'oeuvre, mieux, comme l'élément qui éclaire sous son vrai jour l'oeuvre tout entière, et en fait une sorte de

« manifeste politique ».

On peut ici essayer de comprendre comment Sorel, partant de l'idéologie-mythe2, n'est pas arrivé à la

compréhension du parti politique et s'est arrêté à la conception du syndicat professionnel. Il est vrai que pour Sorel, le

« mythe » ne trouvait pas son expression la meilleure dans le syndicat en tant qu'organisation d'une volonté collective,

mais dans l'action du syndicat et d'une volonté collective déjà opérante, action pratique dont la réalisation maximale

aurait dû être la grève générale, c'est-à-dire une « attitude passive », pour ainsi dire, de caractère négatif et préliminaire

(le caractère positif n'est donné que par l'accord réalisé dans les volontés associées), activité qui ne prévoit pas une

phase véritablement « active et constructive ». Chez Sorel, donc, se combattaient deux nécessités : celle du mythe et

celle de la critique du mythe, dans la mesure où « tout plan préétabli est utopique et réactionnaire ». La solution était

abandonnée à l'impulsion de l'irrationnel, de l'« arbitraire » (au sens bergsonien d' « élan vital »), ou de la

« spontanéité ».

Mais un mythe peut-il être « non constructif », et peut-on imaginer, dans l'ordre des intuitions de Sorel, qu'un

instrument qui laisse - au nom d'une distinction, d'une « scission » - la volonté collective dans sa phase primitive et

1 Machiavel examine dans Le Prince les différentes voies qui conduisent un prince au pouvoir (monarchie héréditaire, faveur du sort,

soutien armé, conquête personnelle) et s'intéresse surtout au type de principauté de formation toute récente, dans laquelle le

prince doit son pouvoir à la « fortuna » (ex. : César Borgia, fils d'un pape et soutenu par les armes de Louis XII). C'est dans le

gouvernement de cet État nouveau que le prince doit manifester toute sa « virtù », son intelligence politique, son énergie, son

habileté pour conserver et consolider son pouvoir et élargir sa domination pour jeter les bases d'un État unitaire. Avec cet État

unitaire cessera la division d'une Italie livrée à l'anarchie et aux armes étrangères. Aussi, animé de cet idéal de rédemption de

l'Italie, le Prince doit-il être capable de se donner les moyens politiques de réaliser son noble but : sa « virtù » sera claire

conscience de la « réalité effective des choses », volonté d'adhérer à cette réalité et d'agir en fonction de ce que les choses sont et

non de ce qu'elles devraient être [« andar drielo alla verità effettuale della cosa » et non « alla immaginazione di essa » (Ch. XV)].

2 Le « mythe » est un aspect essentiel de la pensée de Sorel, qui met en évidence, parfois même d'une manière scolaire, tout ce qu'il

doit à Bergson; de même que la pensée chrétienne a tiré parti du mythe apocalyptique du retour du Christ et de la ruine du monde

païen qui devait l'accompagner, ou que la « folle chimère » de Mazzini a fait davantage pour l'unité italienne que Cavour, de même

des « constructions d'un avenir déterminé dans le temps peuvent posséder une grande efficacité et n'avoir que bien peu

d'inconvénients, lorsqu'elles sont d'une certaine nature; cela a lieu quand il s'agit des mythes dans lesquels se retrouvent les

tendances les plus fortes d'un peuple, d'un parti ou d'une classe, tendances qui viennent se présenter à l'esprit avec l'insistance

d'instincts dans toutes les circonstances de la vie, et qui donnent un aspect de pleine réalité à des espoirs d'action prochaine sur

lesquels se fonde la réforme de la volonté... Peu importe que le mythe ne prenne pas réalité dans l'histoire, il faut juger les mythes

comme les moyens d'agir sur le présent » (G. SOREL : Réflexions sur la violence, 8e éd. avec « Plaidoyer pour Lénine », Paris,

Rivière, 1936, pp. 179-180). - Le mythe du socialisme, c'est la « grève générale ».

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Antonio Gramsci : Notes sur Machiavel, sur la politique et sur le Prince moderne (1931-1933)

élémentaire, celle où elle est simplement en formation, puisse produire quelque effet, fût-ce par la violence, c'est-à-dire

en détruisant les rapports moraux et juridiques existants ?

Mais cette volonté collective, élémentaire, ne cessera-t-elle pas aussitôt d'exister, en s'éparpillant dans une infinité

de volontés particulières qui, pour la phase positive, suivent des directions différentes et opposées? Outre le fait qu'il ne

peut y avoir destruction, négation sans une construction implicite, une affirmation, et non au sens « métaphysique »,

mais pratiquement, c'est-à-dire politiquement, en tant que programme de parti. Dans ce cas, on voit qu'on suppose

derrière la spontanéité un pur mécanisme, derrière la liberté (libre arbitre-élan vital) un maximum de déterminisme,

derrière l'idéalisme, un matérialisme absolu.

Le prince moderne, le mythe-prince, ne peut être une personne réelle, un individu concret ; il ne peut être qu'un

organisme, un élément complexe d'une société, dans lequel a pu déjà commencer à se concrétiser une volonté collective

reconnue dans l'action où elle est affirmée partialement. Cet organisme est déjà fourni par le développement historique,

et c'est le parti politique : la première cellule où se résument des germes de volonté collective qui tendent vers

l'universalité et la totalité. Dans le monde moderne, seule une action historique-politique immédiate et imminente, caractérisée

par la nécessité d'une marche rapide, fulgurante, peut s'incarner mythiquement dans un individu concret ; la

rapidité ne peut être rendue nécessaire que par l'imminence d'un grand danger, qui précisément embrase, telle la foudre,

les passions et le fanatisme, en réduisant à néant le sens critique et le corrosif de l'ironie qui peuvent détruire le

caractère « providentiel » du condottiere (ce qui s'est produit dans l'aventure de Boulanger). Mais une action immédiate

d'un tel genre, de par sa nature, ne peut avoir ni le souffle large ni un caractère organique : ce sera presque toujours

une

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