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Moliere

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e vivre. Non−seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez−vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droit et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au−devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est mise en campagne après nous, et son coeur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis−tu, sans le venir chercher ici. Veux−tu qu'entre nous je te dise ma pensée ? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là. Gusman Et la raison encore ? Dis−moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure ? Ton maître t'a−t−il ouvert son coeur là−dessus, et t'a−t−il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir ? Sganarelle Non pas ; mais, à vue de pays, je connois à peu près le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerois presque que l'affaire va là. Je

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pourrois peut−être me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l'expérience m'a pu donner quelques lumières. Gusman Quoi ? ce départ si peu prévu seroit une infidélité de Dom Juan ? Il pourroit faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire ? Sganarelle Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage... Gusman Un homme de sa qualité feroit une action si lâche ? Sganarelle Eh oui, sa qualité ! La raison en est belle, et c'est par là qu'il s'empêcheroit des choses. Gusman Mais les saints noeuds du mariage le tiennent engagé. Sganarelle Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois−moi, quel homme est Dom Juan. Gusman Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie ; et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de voeux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements qu'il a fait paroître, jusqu'à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends pas, dis−je, comme, après tout cela, il auroit le coeur de pouvoir manquer à sa parole. Sganarelle Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connoissois le

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pèlerin, tu trouverois la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu ; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup−garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances [chrétiennes] qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse : crois qu'il auroit plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il auroit encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point d'autres pièges pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disois le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, ce seroit un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudroit bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour ; qu'il me vaudroit bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterois qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie : la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons−nous. Ecoute au moins : je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s'il falloit qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirois hautement que tu aurois menti. Scène II Dom Juan, Sganarelle Dom Juan Quel homme te parloit là ? Il a bien de l'air, ce me semble, du bon Gusman

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de Done Elvire. Sganarelle C'est quelque chose aussi à peu près de cela. Dom Juan Quoi ? c'est lui ? Sganarelle Lui−même. Dom Juan Et depuis quand est−il en cette ville ? Sganarelle D'hier au soir. Dom Juan Et quel sujet l'amène ? Sganarelle Je crois que vous jugez assez ce qui le peut inquiéter. Dom Juan Notre départ sans doute ? Sganarelle Le bonhomme en est tout mortifié, et m'en demandoit le sujet. Dom Juan Et quelle réponse as−tu faite ? Sganarelle Que vous ne m'en aviez rien dit. Dom Juan

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Mais encore, quelle est ta pensée là−dessus ? Que t'imagines−tu de cette affaire ? Sganarelle Moi, je crois, sans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour en tête. Dom Juan Tu le crois ? Sganarelle Oui. Dom Juan Ma foi ! tu ne te trompes pas, et je dois t'avouer qu'un autre objet a chassé Elvire de ma pensée. Sganarelle Eh ! mon Dieu ! je sais mon Dom Juan sur le bout du doigt, et connois votre coeur pour le plus grand coureur du monde : il se plaît à se promener de liens en liens, et n'aime guère demeurer en place. Dom Juan Et ne trouves−tu pas, dis−moi, que j'ai raison d'en user de la sorte ? Sganarelle Eh ! Monsieur. Dom Juan Quoi ? Parle. Sganarelle Assurément que vous avez raison, si vous le voulez ; on ne peut pas aller là contre. Mais si vous ne le vouliez pas, ce seroit peut−être une autre affaire. Dom Juan

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Eh bien ! je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentiments. Sganarelle En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites. Dom Juan Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon coeur à tout ce que je vois d'aimable ; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avois dix mille, je les donnerois tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le coeur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion

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