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Oedipe Roi

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rminations institutionnelles propres à la polis athénienne : l’ostracisme et la fête des Thargélies. L’ostracisme consiste dans l’exclusion d’un citoyen : par vote, par l’accord tacite des citoyens sur le fait que l’un d’entre eux est trop grand pour la cité, et donc dangereux. Quant à la fête des Thargélies, elle comporte aussi une exclusion, rituelle, d’un bouc émissaire, le farmakov, chargé de toute la bestialité de l’ensemble des hommes de la cité. Or, Œdipe est à la fois celui qui est trop grand – trop puissant, trop comblé, comme nous l’avons vu –, et celui qui est trop vil : égal aux dieux au début de la tragédie (il est le recours naturel, il détermine la marche à suivre pour faire la lumière et sauver la cité de la peste), il devient égal aux bêtes à la fin. Son destin est d’être hors mesure, en proie à la démesure (ubris) :

– Il est celui qui brouille les règles de parenté, dans le trop positif (en couchant avec sa mère 422, 457) comme dans le trop négatif (en tuant son père ; c’est le fond de l’échange entre Œdipe et Tirésias : 353 Le sacrilège vivant qui souille cette terre, c’est toi.).

– Il est celui qui est à la fois père et frère de ses enfants (457), époux et fils de sa femme.

– Il est à la fois dieu (dans l’extrême lucidité, et dans le désir de vérité) et bête (qui cède à ses instincts les plus profonds, dans le meurtre et le désir, qui est aveugle sur lui-même, et qui s’aveugle sur lui-même).

Il conjoint en lui les deux extrêmes entre lesquels se constitue la cité des hommes : comme un pion isolé sur un jeu de dames, dit Aristote, à l’inverse même de la prudence qui constitue l’essence de l’homme comme animal raisonnable.

3) Agôn (échange violent où deux personnages défendent leur thèse. Ici, déplacement du terme, car habituellement utilisé à propos des comédies)

D’un point de vue dramatique et scénique, l’ubris se manifeste dans la violence et dans un échange particulièrement violent avec le vieillard Tirésias, explicitement relevé par ce dernier (426), et aussi par le Coryphée (404).

Situation tendue, à la limite de la rupture, entre Œdipe et Tirésias. Tension par excellence, au théâtre, qui consiste à faire sortir de la scène, à évacuer l’interlocuteur et le faire disparaître, l’annuler, le faire sortir : à l’inverse des échanges qui ouvrent l’épisode, dans lesquels Œdipe retenait Tirésias qui voulait se dérober et quitter la scène, c’est maintenant Œdipe qui s’efforce de chasser Tirésias.

– Sur le mode de la menace véhémente (fin de la première tirade).

– De façon explicite, mais démesurée et coléreuse, exprimée par l’hyperbole : t’engloutir (430) ; vider ma demeure (431).

– De façon explicite et injonctive, mais qui témoigne encore des affects incontrôlés d’Œdipe : Qu’il t’emmène, oui ; Débarrasse-moi de ta présence ; Disparais (445).

Tension d’autant plus forte que Tirésias souligne la contradiction d’Œdipe : c’est lui qui est venu le chercher pour faire la lumière, c’est lui qui l’a contraint à parler contre sa volonté, et c’est lui maintenant qui l’invite à se taire et à quitter la scène.

Freud a noté que, au delà du complexe qui porte son nom, Œdipe fut pour lui aussi le modèle de l’analysant : c’est lui qui a décidé d’ouvrir l’enquête (qui lui ouvrira les yeux, et qui décidera d’ailleurs de sa perte), et il est normal aussi, presque attendu, qu’il récuse le "psychanalyste" attitré Tirésias, et la vérité dérangeante que celui-ci lui propose.

On peut parler ainsi d’une ambivalence d’Œdipe, qui souhaite autant éloigner Tirésias et le disqualifier, que le retenir et apprendre de lui la vérité : Quels parents ? Attends (436). À l’issue de l’épisode, Tirésias obtempère et quitte la scène, mais il laisse ses paroles (448), qui fonctionnent désormais comme une écriture, fondée sur l’absence de celui qui écrit, et la permanence du sens qu’il a mis à jour.

II) Lumière et aveuglement : le retournement indéfini

La dynamique de ce passage est fondée sur le retournement, le schéma de l’inversion, qu’il s’agisse du statut de Tirésias, dont la cécité est normalement une métaphore et une garantie de sa clairvoyance, ou de la condition d’Œdipe, le sage et l’ultime recours qui est aveugle à son destin. Ce que Sophocle met ici en scène, c’est l’essentielle obscurité du sens et du destin. Sont confrontés dans cet agôn, Œdipe qui jouit de la vue et qui se trompe en tout point (les yeux ouverts, qui ne voient pas 413), et Tirésias l’aveugle clairvoyant.

1) L’obscure lucidité d’Œdipe : le retournement et le jeu des faux semblants

– Œdipe se trompe dans l’interprétation des propos de Tirésias en relevant ce qu’il croit être les faux semblants de l’apparence : il rabat les paroles de T. sur une dimension psychologique (l’envie, la jalousie) ou sociale (l’ambition de Créon). Ainsi celui qui était un ami (Créon) se retourne en ennemi, et le sage Tirésias en charlatan : Créon se livre à des menées souterraines, il intrigue, il soudoie (384) et Tirésias, espèce de sorcier, charlatan retors, aveugle dans son art (387) est pour Œdipe un véritable aveugle, un aveugle complet, au physique comme au moral. Mais

– Œdipe est le véritable aveugle : tes yeux sont ouverts et tu ne vois pas… (413)

– Œdipe se trompe sur lui-même, quand il croit sa ruse (qui lui a permis de triompher de la sphynge) supérieure à la tèchnè de Tirésias, qui est à la fois divination et science du langage : cette dernière dimension de l’art divinatoire lui est totalement obscure : les énormités de cet individu (429) ; propos délirants (433) ; mots couverts, énigmatiques (439).

– Œdipe se trompe sur la portée de ses actes : croyant sauver la cité de la sphynge (443) il a attiré la peste sur elle.

– Il a vu une chance là où se trouvait sa malédiction (ibid.). Du statut de juge, il passe à celui d’accusé.

2) La cécité clairvoyante de Tirésias (le clerc obscur !)

Tirésias est l’aveugle qui voit clair, celui qui n’a plus la jouissance de ses yeux au physique, mais qui voit clair dans le destin. Peut-être est-ce sa cécité même qui lui confère cette lucidité. En tant que tel, il ne peut parler clair, et souligne lui-même qu’il n’a nul compte à rendre aux puissants de ce monde, ni à Créon, ni à Œdipe, mais à Loxias (410), c’est à dire Apollon, l’oblique et l’ambigu. À proprement parler, ce qu’il dit est incompréhensible, inintelligible aussi bien au Chœur qu'à Œdipe : tu es celui que tu cherches. Il faut cependant souligner, parce que le théâtre est le lieu d’une double énonciation, que ces paroles sont claires pour le spectateur, qui connaît le mythe : le spectateur sait que sur scène le véritable aveugle est Œdipe. Et le développement de cette parole scandaleuse ne fait que confirmer, voire aggraver son obscurité. Le développement de cette parole énigmatique s’accomplit sur deux plans, et en deux temps :

— D’abord, dans un discours personnellement adressé et référé, au futur, comminatoire et obscur : tu ne vois pas dans quelle horreur tu baignes (414); tu ne te doutes pas que tu es abominable aux tiens (416) ; la malédiction (418) ; lorsque tu auras reconnu en quelles épousailles… (422).

— Ensuite, dans un discours à proprement parler sibyllin, qui cumule les caractéristiques du ton oraculaire (En vérité je te le dis… 449) et de l’obscurité : le discours est encore adressé, mais il n’est plus précisément référé : cet homme est ici (452) ; son origine se révélera (453); il sera aveugle 454) ; On découvrira qu’il a près de lui des enfants… (458).

Au terme de l’intervention de Tirésias, Œdipe ne peut y voir clair, mais il est maintenant en présence de la vérité, confronté à la puissance de la vérité : il est arrivé à évacuer le corps de Tirésias, mais reste l’efficace et la puissance de sa parole.

III) De l’hermétique à l’herméneutique

La double énonciation est une caractéristique fondamentale du jeu théâtral, et elle intervient dans cette scène de façon particulièrement pressante, au sens où les mêmes mots sont pris par Œdipe, destinataire premier, comme une provocation hermétique, et par les spectateurs comme un jeu herméneutique.

Cette scène est placée d’emblée sous le signe de l’oblique et de l’ambigu, puisqu’elle fait se confronter, à égalité (407) le serviteur de l’oblique Apollon (Tirésias), et celui qui a les pieds enflés, et dont la démarche est oblique, celui qui ne marche pas droit.

Figures de l’obliquité :

1) Le problème de la double parenté

Les effets produits par les propos de Tirésias sont fondés sur l’ignorance d’Œdipe quant à sa véritable identité, et plus précisément quant à sa véritable

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