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Les Animaux Malade De La Peste

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Peut-être il obtiendra la guérison commune.

L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents

On fait de pareils dévouements.

Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence

L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,

J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait? Nulle offense ;

Même il m'est arrivé quelquefois de manger

Le berger.

Je me dévouerai donc, s’il le faut : mais je pense

Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :

Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi ;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse.

Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce,

Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,

En les croquant, beaucoup d’honneur ;

Et quant au berger, l’on peut dire

Qu’il était digne de tous maux,

Étant de ces gens-là qui, sur les animaux,

Se font un chimérique empire.»

Ainsi dit le Renard et flatteurs d’applaudir.

On n’osa trop approfondir

Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances,

Les moins pardonnables offenses.

Tous gens querelleurs, jusqu’aux plus simples mâtins,

Au dire de chacun, étaient de petits saints.

L’Âne vint à son tour et dit : «J’ai souvenance

Qu’en un pré de moines passant

La faim, l’occasion, l’herbe tendre et, je pense,

Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

Je n’en avais nul droit puisqu’il faut parler net.»

À ces mots, on cria haro sur le Baudet.

Un Loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue

Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.

Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !

Rien que la mort n’était capable

D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Commentaire

Pour traiter les thèmes de la culpabilité et de la justice qui concernent l'être humain de tous les temps et qui sont incompatibles avec le monde animal, La Fontaine, s’il conserve encore cette apparence, a en fait, comme Molière et La Bruyère, observé la société de son temps qui était fortement organisée selon une hiérarchie.

La fable illustre le fonctionnement de cette société en faisant intervenir des animaux qui ont une signification symbolique très nette. Le lion, le roi des animaux, représente le roi. Il est orgueilleux de son autorité quasi divine, exerce majestueusement son «métier», aime étaler sa puissance dans de pompeuses cérémonies, méprise ses sujets qui redoutent sa colère terrible et sa cruauté impulsive, se conduit en despote, abuse de sa force au service de ses appétits.

Il est entouré d’une cour où les principaux courtisans sont le renard et le loup et que La Fontaine présente, avant La Bruyère, comme un pays de parasites «machinateurs d'impostures», où règnent la servilité et l'hypocrisie, où les rivalités entraînent des dénonciations, des calomnies, des vengeances implacables.

On assiste à un grand conseil politique dont dépend le sort du royaume dans une circonstance grave. C'est l'heure où les âmes se dévoilent. Le roi «fait un beau discours sur le bien public mais ne songe qu'au sien» (Taine). Cynisme ou naïveté? il adopte une noble attitude, mais il sait qu'il ne risque rien. Les courtisans trouvent mille arguments juridiques en sa faveur et s'entendent comme larrons pour accabler le pauvre hère sans défense qu’est l’âne. C'est la loi générale du monde : la raison du plus fort.

C'est bien des humains qu'il s'agit, et pourtant la fiction animale reste présente à nos esprits, tant le choix des personnages s'accorde avec le rôle et le langage que leur prête le poète dans cette petite pièce de théâtre en plusieurs actes où alternent récit et paroles :

- premier acte : les ravages de la peste (vers 1-14) ;

- deuxième acte : le raisonnement du lion et sa confession (vers 15-33) ;

- troisième acte : le plaidoyer du renard et la disculpation de tous les puissants (vers 34-48) ;

- quatrième acte : la confession de l’âne ( vers 49-55) ;

- cinquième acte : sa condamnation et son exécution (vers 56-62).

Il se déroule, comme toujours chez La Fontaine, à travers des vers de longueurs variées, coupés avec une grande liberté et marqués d’enjambements hardis, qui rendent la forme trrès expressive.

Un préambule qui, par son ton, son allure mystérieuse, son ambiance pesante, attire l’attention sur les ravages de la peste avant d’oser la désigner. Elle imposa sa terreur au Moyen Âge, mais sévissait encore au XVIIe siècle. L’esprit religieux en faisait un fléau que la divinité ferait subir aux humains pour les punir. « Terreur» rime de façon significative avec «fureur». Aussi, dans les premiers vers, est-elle désignée avec réticence, tant elle inspire un effroi dont l'auteur a créé l’impression par le ton, les mots mis en valeur. Le lecteur est intrigué par le mot «mal» qui est répété avant qu’il ne soit clairement identifié, et, quand il l’est, la parenthèse du vers 4 est empreinte de crainte superstitieuse (nommer le mal, c’est risquer de le faire apparaître : ainsi, on ne parlait qu’indirectement du diable). Le vers 5 marque le grand accroissement du nombre des morts par cet enrichissement de l'Achéron (à prononcer «Akéron»), qui était le fleuve qu’il fallait traverser pour atteindre les enfers, le séjour des morts. La structure de cette phrase, riche en propositions incises qui l’allongent, qui retardent la révélation essentielle, permet de mettre en valeur le mot «guerre» qui est rejeté à la fin et à la rime, qui fait de la peste une puissance ennemie, qui menace toute la «terre», qui est dotée d’une personnalité et qu’on peut combattre.

Puis, dans ce vers 7 qui est construit en chiasme et qui est devenu une sorte d’adage qu’on utilise en maintes occasions, la répétition de «tous» (renforcée ensuite par «ne [...] point», «nul», «ni [...] ni», «plus») rend bien l’idée du fléau auquel nul n’échappe. Le poète ménage une progression dans son tableau de ces ravages : la mort, mais pire qu’elle, le dégoût de la vie chez les survivants : l’abandon au mal, le dépérissement volontaire, l’absence d’activité, le renoncement à l’amour, cette carence étant pour le libertin auteur des “Contes”, la carence la plus grave. Ce que la situation a de dramatique est mis en relief par l’enjambement du vers 8 au vers 9, le passage d’un octosyllabe énergique à un alexandrin dont le rythme alangui rend, au contraire, la résignation qu’entraîne l’absence d’appétit qui est rendue habilement par la périphrase, «le soutien d’une mourante vie» qui éloigne le plus possible ce dernier mot qui est le plus important. Le sens de ce vers est développé dans le morceau des octosyllabes que sont les vers 10 à 15 : ils évoquent une vie normale qui est justement ici contredite. La perte par les «loups» et les «renards» de leur instinct de prédateurs est mise en valeur par l’enjambement expressif du vers 11 au vers 12. À la faim, le poète se plaît à joindre un autre instinct fondamental : l’amour. Si les tourterelles, oiseaux amoureux par excellence, y renoncent, tous les êtres le font, et cette absence a, pour lui, cette conséquence (c’est le sens de «partant», du latin «per tantum», «à cause de») : la perte de la «joie», ce trait valant plus qu'une longue description.

Le lion, c'est le roi qui, ici, tient conseil, la fiction animale s’estompant devant le tableau des moeurs contemporaines. Habitué à se prêter à ces comédies de justice où les faibles sont écrasés, il se sert d’une

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