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Commentaire La Peste D'Albert Camus

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t « plus pâle à chaque fois » et ses convulsions se font « de plus en plus rares ». Les différentes étapes de son agonie sont encore accentuées par les nombreux indices temporels, comme « à midi », « seulement », « bientôt », « désormais », « maintenant » et « à la fin », qui rythment la première moitié du récit. La mort elle-même du personnage, qui constitue le point culminant du passage, est mise en valeur par l'ellipse qui la suit et qui se situe à la charnière des deux paragraphes, le récit ne reprenant qu'au moment de la veillée du corps. Le blanc typographique de l'alinéa peut d'ailleurs suggérer symboliquement le silence sous lequel est enfoui ce moment douloureux qui succède à l'agonie. Cette ellipse révèle en tout cas toute la difficulté du narrateur à rendre compte de cet instant, la mort étant à la limite de l'indicible.

2. La déshumanisation de Tarrou

La mort est en fait surtout évoquée par les effets qu'elle a sur le corps de Tarrou. L'homme lui-même semble à peine vivant dès le début de l'extrait et apparaît comme soumis face aux progrès de la maladie. La peste s'est emparée de son corps et agit sur lui. Ce sont souvent les symptômes de la maladie qui sont sujets des verbes et non le personnage : « la fièvre était à son sommet », « les ganglions avaient cessé d'enfler » et « une sorte de toux viscérale [le] secouait », le verbe étant répété dans l'expression « l'orage qui secouait ce corps ». Tarrou n'est d'ailleurs généralement pas vu dans sa globalité d'être humain, mais est présenté trois fois comme un « corps », dont on ne voit que différentes parties : « les ganglions », les « yeux », la « face », le « sourire ». De même, le narrateur évoque le moment où le personnage rend son dernier soupir par le biais d'une comparaison : il expire « comme si […] une corde essentielle s'était rompue ». La mort paraît en fait entraîner un terrible processus de déshumanisation tout au long du passage. La comparaison des ganglions à « des écrous, vissés dans le creux des articulations » souligne d'emblée cette altération de l'être humain assimilé à une sorte de machine. Celui-ci se réduit bientôt métaphoriquement à « un masque […] inerte » avant de n'être plus qu'« une forme humaine ». Ainsi, en s'enfonçant irrémédiablement dans la mort, Tarrou révèle son impuissance à mesure qu'il perd son humanité sous l'emprise de la maladie. Rieux, en proie à une souffrance touchante, ne peut que constater la distance définitive qui l'éloigne de lui.

II. Une scène pathétique : la souffrance des personnages

1. La solitude des personnages

Les personnages évoqués dans ce passage, emmurés dans leurs souffrances physiques et/ ou morales, semblent loin l'un de l'autre. Alors que Tarrou paraît se noyer dans « les eaux de la peste », Rieux reste, lui, sur le « rivage ». La métaphore de l'océan et de la rive symbolise spatialement et avec force la distance irrémédiable entre les deux hommes, celle qui sépare les vivants des morts. Rieux, à l'instar du lecteur, ne sait rien des pensées et des sentiments de Tarrou. Cependant, cette distance s'applique même aux vivants, car, si Tarrou regarde « ses amis », il n'est jamais question dans cet extrait d'autres personnages qui uniraient leur souffrance à celle de Rieux. Aucune parole n'est échangée dans tout le texte, ni au discours direct, ni au discours indirect. De façon générale, la seule communication possible entre les deux personnages évoqués passe par le regard. Le champ lexical de la vue jalonne le passage : au début Tarrou « regardait encore ses amis », « ses yeux » s'ouvrent encore, il se noie sous les « yeux » de Rieux, qui finalement ne pourra pas le « voir » mourir. Ce mince lien entre les deux amis n'est donc même plus possible à l'ultime moment, puisque, si Rieux ne voit rien, Tarrou, lui, se tourne « brusquement contre le mur ». À l'heure de la mort, les personnages apparaissent donc comme enfermés dans leur solitude, le lecteur ne pouvant pénétrer que celle de Rieux, au centre du récit.

2. La souffrance de Rieux

Ce passage écrit selon le point de vue de Rieux suggère avec retenue la souffrance du personnage. Le médecin perd ici son meilleur ami. Le passage insiste d'ailleurs sur l'amitié qui unit les deux hommes. Si, au départ, Rieux porte un regard de médecin sur les ganglions de Tarrou, jugeant « impossible de les ouvrir », il ne s'agit bientôt plus que d'un homme qui perd un être cher. Le terme « ami » est répété trois fois dans le texte alors que meurt celui « qui lui avait été si proche ». La douleur de Rieux est évoquée avec une certaine sobriété par l'image du « cœur tordu », l'adjectif faisant écho au corps lui aussi tordu de Tarrou, et par ses « larmes d'impuissance ». Certes, Rieux, au cours de sa carrière et de l'épidémie de peste en particulier, a vu mourir bien des hommes, cependant, cette mort semble marquer une étape cruciale pour lui. En effet, il s'agit d'une « souffrance sans guérison », la métaphore de la maladie soulignant la puissance de cette douleur. Au moment où Rieux fait le bilan du combat qu'il vient de mener, il envisage aussi son avenir et, même si sa pensée reste nuancée par l'usage du verbe modalisateur « croire », il utilise le futur dans le passé pour se dire « qu'il n'y aurait plus jamais de paix possible pour lui-même ». Sa réflexion est justifiée par la formulation d'une sorte de règle au présent de vérité générale : « il n'y a [pas] d'armistice […] pour l'homme qui ensevelit son ami ». Le texte s'achève donc sur un certain pessimisme, la mort de Tarrou débouchant sur une « défaite définitive ».

III. Un monde tragique

1. La lutte vaine contre des forces supérieures

Tarrou paraît être la victime de forces supérieures qui s'acharnent sur lui et contre lesquelles toute résistance semble vaine. En effet, la métaphore de la tempête et du naufrage est filée tout au long du récit de son agonie. Tarrou est agité par un « orage », il dérive « lentement au fond de cette tempête » avant de faire « naufrage » dans les « eaux de la peste » sous les yeux de Rieux qui reste « sur le rivage ». Sa mort prend alors une dimension cosmique, soulignant la faiblesse de l'homme pris dans un combat qui le dépasse. Tarrou n'est plus qu'une victime, dont la « forme humaine » subit une véritable torture comme le soulignent les « soubresauts convulsifs » qui le secouent et surtout l'accumulation des trois participes passés : « percée », « brûlée », « tordue ». La lutte est inégale pour l'homme car ces blessures sont infligées par « un mal surhumain » et « tous les vents haineux du ciel ». Le narrateur semble alors évoquer une sorte de divinité malfaisante, obstinée à nuire au malade. Dans cet affrontement épique, l'homme s'avère évidemment impuissant, qu'il soit victime comme Tarrou, ou spectateur bouleversé comme Rieux. Le médecin souffre lui aussi la torture, car il doit se résigner à ne pouvoir sauver son ami, « les mains vides et le cœur tordu, sans armes et sans recours, une fois de plus, contre ce désastre ».

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