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Pascal

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nous est donné de vivre authentiquement, réellement, renvoie à l'idée d'une incapacité de l'homme à assumer la réalité. De même qu'on se tient à une décision qu'on aurait prise ou à un principe moral qu'on s'efforce d'appliquer, il faudrait trouver en nous la vigueur nécessaire pour nous ancrer dans le présent. Cela ne va pas sans effort. Cela demande du courage. Nous retrouvons là, d'une certaine manière, le principe de la morale épicurienne et l'idée du carpe diem (« cueille le jour », « profite de l'instant présent »). En effet, contrairement à ce qu'on imagine trop fréquemment, rien n'est plus étranger à Epicure que la facilité. Celui‑ci, en effet, avait déjà bien conscience que le fait de vivre le présent n'est pas facile pour l'homme et qu'il doit s'efforcer de suivre une discipline intellectuelle et morale rigoureuse pour y parvenir.

Reste à savoir pourquoi il en est ainsi. Pascal explique la propension qu'ont les hommes à s'évader du présent, par une tendance qui les éloigne du présent dans deux directions opposées: celle de l'avenir et celle du passé. D'un côté, dit-il, « nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir ». Pascal se réfère ici à l'impatience humaine si répandue. On la rencontre par exemple chez les enfants, toujours si pressés de devenir adultes, mais aussi chez un amoureux séparé de sa bien aimée qu'il doit bientôt retrouver, ou encore chez ceux qui projettent un événement heureux tel qu'une rencontre ou une réussite. D'un autre côté, poursuit Pascal, dans notre rapport au passé, nous tendons à « l'arrêter comme trop prompt ». Il vaudrait même mieux dire que c'est le présent en train de passer dont nous essayons d'interrompre la fuite. Nous retrouverons d'ailleurs cette idée plus rigoureusement formulée dans la suite du texte.

Les verbes employés par Pascal semblent renvoyer à une attitude consciente et volontaire de l'homme : « nous anticipons », « nous rappelons ». Cependant, il ne faudrait pas céder aux apparences, comme la suite l'indique. En effet, l'homme semble plutôt emporté par une puissance obscure que motivé par des intentions claires et déterminées : « imprudents », « nous errons », « si vains », « sans réflexion » sont autant d'expressions qui renvoient au manque de maturité, de prise en compte raisonnable de la réalité. Qu'est‑ce qui devrait agir en nous si ce n'est la raison ? Or pour beaucoup, c'est l'imagination, « maîtresse d'erreur et de fausseté » comme Pascal le dit ailleurs. Soit qu'elle continue à nous représenter mentalement des moments passés, soit qu'elle nous transporte dans des projets fantaisistes, l'imagination nous procure l'illusion de la réalité, et en cela nous trompe. Deux siècles après Pascal, la psychanalyse nous enseignera que le Ça, étranger au principe de réalité, ne connaît ni la logique ni le temps. Dans le cas du dépressif, par exemple, ce sont d'anciennes douleurs du passé qui continuent à le hanter au présent sans qu'il puisse faire la différence entre eux, et donc se débarrasser de son mal. Ainsi, avec l'idée que la cure, en psychanalyse, permet un travail sur soi en vue de se soulager du poids inconscient du passé, nous retrouvons l'idée d'effort pour nous séparer de l'emprise imaginaire. Il en va d'ailleurs de même pour l'avenir, vis‑à-vis duquel le Ça peut nourrir des fantasmes totalement irréalistes qui nous empêchent de vivre le présent et surtout d'agir pour atteindre des objectifs à la fois réalistes et satisfaisants.

Cependant, la force de l'imagination ou celle des pulsions ne sont pas pour Pascal les seules explications de cette fuite vers les autres dimensions, imaginaires, du temps, hors du présent. Quelque chose d'inhérent au présent nous pousse à le fuir : « le présent, d'ordinaire, nous blesse », fait-il observer. Comment faut‑il comprendre cette « blessure » ? Pascal nous fournit deux indications, l'une assez directe et l'autre plus implicite.

D'abord, il affirme que le présent « nous afflige ». Les exemples sont multiples. Nous sommes parfois atteints personnellement par une douleur physique ou morale une jambe cassée, une séparation ou une dispute, la pauvreté, la perte d'un être cher. Pensons également au spectacle que nous présentent les médias au quotidien : violences, guerres, tromperies, entre les individus et entre les nations. L'affliction est certes plus indirecte, et certains peuvent y être indifférents. Néanmoins, est‑il possible d'être pleinement heureux alors que d'autres hommes souffrent ? Ne sommes-nous pas enclins à la compassion et au désir que les autres puissent aussi être heureux ?

Ensuite, Pascal relève une deuxième caractéristique du présent : il s'écoule, il fuit vers le passé. En conséquence, « Nous regrettons de le voir échapper. » Plus précis qu'au début du texte, Pascal nous renvoie ici à l'écoulement inexorable du temps, thème extrêmement précoce de la littérature et de la philosophie. Héraclite, philosophe présocratique assez pessimiste, comme Pascal, fait partie des premiers penseurs à avoir souligné cet aspect dramatique du devenir. Par ses analyses, il nous montre combien il est difficile de concevoir par la pensée (par la raison) l'écoulement du temps, où ce qui a été n'est plus, passant donc de l'être au non‑être. Le présent dont la nature est d'être en devenir et de disparaître semble hors de prise. Au poète (Lamartine) qui supplie « O temps suspends ton vol », le philosophe (Alain) répliquera ironiquement : « Combien de temps le temps va-t-il suspendre son vol ? »

Après avoir constaté que l'homme se tourne vers le passé et l'avenir pour se consoler de la rudesse du présent, Pascal accorde soudain plus d'importance à l'avenir qu'au passé. En effet Pascal semble soudain abandonner la nostalgie et le refuge dans le passé pour se concentrer sur l'avenir. Il dit du présent que « nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver ». Une explication possible consisterait à dire que l'avenir renvoie beaucoup plus à notre liberté (du moins en apparence). En effet, autant le passé ne peut être transformé, autant l'avenir nous paraît être le lieu de toutes les possibilités, de toutes les réalisations. Nous rêvons ainsi de vacances paradisiaques, de succès professionnels ou familiaux, de victoires sportives ou de réussite d'un projet, d'une oeuvre, etc. Cependant, comme le remarque à juste titre l'auteur à propos de ce temps du possible : il n'est « pas en notre puissance ». De multiples circonstances indépendantes de notre volonté peuvent survenir et briser nos plans. Nous sommes par conséquent exposés à des désillusions peut‑être tout aussi douloureuses, voire pires, que si nous nous étions concentrés sur le présent. Est‑ce à dire cependant qu'il ne faille pas faire de projets? Une certaine tonalité du texte le laisse entendre. Nous pouvons cependant lui opposer qu'un présent riche et dynamique se construit aussi par notre volonté de réaliser des projets. Il faudrait donc bien distinguer les projections imaginaires dans le futur (totalement illusoires) et les projets appuyés sur des analyses réfléchies. Tout serait donc affaire de dosage et de capacité d'estimation de nos chances concrètes de réussite. De plus, ne faut‑il pas parfois être idéaliste et même « tenter sa chance », au‑delà de ce qui paraît platement réaliste, si nous voulons nous dépasser? L'essentiel serait alors d'être lucide sur les risques d'échec et de les assumer.

Or ‑ là est peut‑être l'un des enjeux implicites du texte les plus importants ‑, l'homme est‑il capable d'assumer jusqu'au bout la pensée de son propre avenir? N'y a‑t‑il pas aussi une sorte d'aveuglement volontaire à propos de ce temps où « nous n'avons aucune assurance d'arriver»? L'avenir ultime d'un être fini, comme l'homme, c'est la mort. Or, l'homme a conscience de sa propre mortalité et l'écoulement du temps risque de la lui faire ressentir à chaque instant. C'est pourquoi la fuite dans des temps imaginaires, passé et avenir, présente‑t‑elle un certain confort. Pourtant, l'idée que notre existence est mortelle pourrait tout aussi bien nous inciter à vivre intensément le présent. Dans ce cas, nous devons à la fois assumer notre finitude et ne pas en tirer des motifs de pessimisme. Pascal ne semble pas orienter ici le lecteur dans cette voie, peut‑être en raison de sa foi religieuse qui l'oriente vers l'idée d'un dépassement de la finitude dans une existence après la mort. C'est en revanche la perspective de nombreuses philosophies contemporaines, héritières de la pensée d'Heidegger. Pour celui‑ci en effet, l'homme se découvre vraiment lorsqu'il réalise qu'il est un « être‑pour‑la‑mort », autrement dit, qu'un jour il décédera, lui, individuellement, sans que personne d'autre ne prenne sa place, unique. Dès lors, il ne s'agit pas de le déplorer mais d'en tirer les conséquences positives. Ce qui est alors important, c'est « l'être‑avec-autrui », c'est‑à‑dire

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