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Le discernement des signes des temps

Mémoire : Le discernement des signes des temps. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  5 Décembre 2017  •  Mémoire  •  41 846 Mots (168 Pages)  •  948 Vues

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

A l’époque du Concile Vatican II, à la suite du père Marie-Dominique Chenu, l’expression “ signes des temps ” a permis d’exprimer une visée pastorale nouvelle. Il s’agissait de comprendre l’Église dans sa dimension historique, et l’histoire comme un temps habité par Dieu. Ces ‘‘ signes ’’ étaient également perçus comme des ‘‘ pierres d’attente ’’ pour l’annonce de l’Évangile. Peu après la clôture du Concile, certains théologiens, occidentaux le plus souvent, ont critiqué l’emploi de l’expression “ signes des temps ”. D’une part, parce qu’elle sous-entend que Dieu agit dans le cours de l’histoire, ce qui semble difficile à affirmer sans un examen plus approfondi, ne serait-ce qu’au regard des tragédies du XXè siècle. D’autre part, parce que la désignation d’exemples de ‘‘ signes ’’ ne manquait pas de suspecter une mainmise de l’Église sur l’action de Dieu et une prétention à détenir le sens des événements.

Pourtant, la profession de foi chrétienne commence par l’évocation de la toute-puissance de Dieu. Les fidèles catholiques prient le ‘‘Maître de l’histoire’’ au cours de la liturgie et entendent l’appel à “ lire les signes des temps ” au cours de la prière eucharistique pour les circonstances particulières ; l’expression est couramment utilisée dans les discours pastoraux et dans les documents du magistère. Depuis le dernier Concile, il semble bien qu’il y ait eu un glissement de sens qui, de plus en plus, sous-entend par l’évocation des “ signes des temps ” l’œuvre sous-jacente de Dieu dans l’histoire humaine. Cette perception largement répandue insiste sur les ‘‘signes de Dieu’’ dans les événements du monde, signes de sa présence et de son action.

Prenant acte d’une certaine confusion liée aux différentes compréhensions possibles des “ signes des temps ”, nous avons souhaité comprendre les enjeux de l’emploi récurrent de l’expression et de l’évolution de sa signification. Par-delà une tension entre les discours théologiques et pastoraux, nous chercherons quels sont les fondements et les présupposés théologiques qui permettent ou non de parler du discernement des “ signes des temps ” entendus comme signes de Dieu, c’est à dire les signes de sa présence repérables dans l’histoire. Nous espérons que cela nous permettra de proposer des critères théologiques pour un discernement pastoral.

Pour mener à bien notre recherche, nous commencerons par situer l’expression dans la Bible, dans l’histoire de l’Église et dans celle de la pensée occidentale. Puis, à l’aide des études de Claude Geffré et de Paul Valadier, nous proposerons une évaluation théologique de l’expression. Sa teneur apocalyptique conduira notre recherche à indiquer quelques présupposés liés à l’emploi récurrent de cette terminologie et à mieux comprendre pourquoi l’expression ‘‘signes des temps’’ contient implicitement la recherche et le discernement des signes de Dieu. Cette présentation approfondie nous incitera à nous demander ce que l’on peut dire de l’action et de la Parole de Dieu.

Ce sera l’objet de la seconde partie de notre travail. Il s’agira d’exposer la façon dont la théologie catholique exprime et comprend la manière dont Dieu se dit et se donne à connaître. Après avoir déterminé comment Dieu se révèle d’après les chrétiens, nous présenterons ce que nous apprenons de lui. Ce parcours nous permettra de proposer une manière de concevoir l’action de Dieu au cours de l’histoire et plus particulièrement dans la vie quotidienne. Il nous faudra alors proposer une définition du ‘signe’ en théologie. Dire que Dieu agit et fait signe ‘aujourd’hui’ suppose la possibilité de reconnaître son action. L’appel à lire et scruter les “ signes des temps ” entendus comme signes de Dieu implique désormais la capacité à désigner ce qui est de l’ordre du Royaume et de l’œuvre de Dieu. C’est pourquoi nous tâcherons d’élaborer les fondements d’une théologie du discernement.

Pour cela, il nous faudra d’abord mesurer l’interférence (littéralement ‘porter entre’), ce qui porte le message entre le destinateur et le destinataire. Le repérage des médiations et de leur rôle s’avérera certainement déterminant puisqu’en même temps qu’il transmet le message, le medium ne manque pas de le déformer en partie. Nous chercherons ensuite à élaborer les critères et les modalités d’un discernement catholique des signes des Dieu compris comme une implication de Dieu dans l’histoire des hommes. Grâce à Ignace de Loyola, nous disposons d’une méthodologie du discernement spirituel. Nous nous attacherons, pour notre part, à déterminer les fondements pour un discernement théologique. Ces deux types d’approches coïncident, normalement, dans la vie chrétienne et pastorale des individus et des communautés ecclésiales. Enfin, nous présenterons brièvement quelques perspectives éthiques de cette étude avant d’établir un lien entre le processus du discernement et la liturgie eucharistique.

“ LES SIGNES DES TEMPS ”

“ Mû par la foi, se sachant conduit par l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, le peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. ” (GS 11, 1)

I - Exegese d'une expression

A - Situation et commentaires

L’expression “ signes des temps ” apparaît deux ou trois fois dans la Bible selon ses traductions. La formule recouvre cependant des termes différents : dans le Livre du Siracide, nous lisons : “ Le Très-Haut possède toute science, il a regardé les signes des temps (σημειον αιωνοσ). Il annonce le passé et l’avenir et dévoile les choses cachées. Aucune pensée ne lui échappe, aucune parole ne lui est cachée ” (Si 42, 18-20). La note de la Bible de Jérusalem indique à propos des signes des temps que les astres sont des “ signes des temps ”, non seulement parce qu’ils divisent régulièrement le temps depuis la Création, mais aussi parce que, selon la conception la plus répandue, l’avenir était déjà inscrit dans le ciel. Le Livre du Siracide nous permet de comprendre l’expression “ signe des temps ” comme ce qui désigne les événements à venir et leurs sens, signes que Dieu seul peut connaître. L’histoire des hommes, la foi en Dieu et les événements cosmiques sont considérés comme interdépendants. Dans Si 42, 18, le singulier αιωνοσ pourrait être traduit par “ perpétuel ”, ce qui ne manque pas d’évoquer le sabbat, la circoncision (Gn 17, 7), l’arc-en-ciel (Gn 9, 9 et Si 44, 18) ou la libération de Babylone.

Dans l’Évangile, Matthieu écrit : “ Jésus leur répondit : ‘‘ Au crépuscule, vous dites : Il va faire beau temps, car le ciel est rouge feu ; et à l’aurore : Mauvais temps aujourd’hui, car le ciel est d’un rouge sombre. Ainsi, le visage du ciel vous savez l’interpréter (διακρινειν), et pour les signes des temps (σημεια των χαιρον) vous n’en êtes pas capables ! Génération mauvaise et adultère ! Elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que celui de Jonas.’’ ” (Mt 16, 2-4) Cette formulation est un hapax dans la Bible. Nous nous contentons de préciser, à partir du Nouveau Testament, ce qui a pu susciter un tel investissement théologique ou pastoral dans cette expression des “ signes des temps ”. Dans la péricope précédant Mt 16, 2-4, Jésus vient de permettre à quatre mille hommes de manger à partir de “ sept pains [et de] quelques petits poissons ” lorsque des Pharisiens et des Saducéens lui demandent de leur faire voir un signe venant du ciel. Ce à quoi Jésus répond qu’à cette génération, il ne “ sera donné que le signe de Jonas. ” Quelques versets plus loin, Pierre confessera sa foi en Jésus “ Christ, le Fils du Dieu vivant ” et Jésus annoncera une première fois sa passion. Il y a donc d’abord le signe de la multiplication des pains, marque de la bienveillance de Jésus et de sa puissance messianique (par le miracle de la multiplication et par la nourriture donnée à ceux qui en manquaient) sans qu’il soit fait mention d’un acte de foi ou de reconnaissance par la foule ou les disciples. Jésus parle ensuite du signe de Jonas, le seul qui sera donné. On trouve une première mention de cette affirmation en Mt 12, 38-42, et dans l’un de ses passages parallèles : Lc, 11, 29-32.b. Luc insiste sur la priorité de la prédication sur le signe. C’est à la parole de Jonas que Ninive s’est repentie. Paul Beauchamp abonde dans ce sens. Cependant, le passage de Matthieu 12 développe le lien entre Jésus et Jonas : “ De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits. ” (Mt 12, 40). Il ne semble donc pas profitable d’opposer le signe et la prédication. D’une part, la prédication du “ prophète Jonas ” (Mt 12, 39) est ce qui permit aux Ninivites de se convertir ; d’autre part, Jonas “ devint un signe ” (Lc 11, 30) par sa vie et son épreuve racontées dans la Bible. Le signe de

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