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Nature De l Homme

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ce qui nous sépare des bêtes : « âme abjecte, c’est ta triste philosophie qui te rend semblable à elles : ou +tôt tu veux en vain t’avilir, ton génie dépose contre tes principes, ton cœur bienfaisant dément ta doctrine et l’abus même de tes facultés prouve leur excellence en dépit de toi ».

L’éloge de la raison reste purement théorique, en ce qu’il se démarque aussitôt des usages, des « abus » que l’homme fait de ces « facultés. La 1ère origine du mal réside donc dans le mauvais usage de la raison par les philosophes, sceptiques ou dogmatiques : le pessimisme philosophique est le symptôme d’un Mal étrange et inintelligible, qui consiste en l’humiliation de soi, contre l’élan du cœur, en un refus de reconnaître et d’aimer ce que nous sommes, la place qui nous est faite, p.70 : »pour moi qui n’ai point de système à soutenir, moi, homme simple et vrai…, content de la place où Dieu m’a mis, je ne vois rien, après lui, de meilleur que mon espèce ; et si j’avais à choisir ma place dans l’ordre des êtres, que pourrais-je choisir de + que d’être homme ? ». Cela annonce la nécessité de passer de la raison pure à son répondant affectif et intime : le « cœur bienfaisant », qui se déploiera ensuite sous le nom de conscience : « content de la place où Dieu l’a mis », le vicaire développe l’amour de soi en amour de Dieu, à travers la raison humaine, et atteint la limite qui en fonde les conséquences morales. Quand on n’a « aucun système à soutenir », quand le cœur n’est pas corrompu par l’amour-propre, il ne reste qu’à reconnaître et à aimer ce que nous sommes (amour de soi), la place honorable qui est la nôtre : « j’adore la puissance suprême et je m’attendris sur ses bienfaits. Je n’ai pas besoin qu’on m’enseigne ce culte, il m’est dicté par la nature elle-même. N’est-ce pas une conséquence naturelle de l’amour de soi, d’honorer ce qui nous protège et d’aimer ce qui nous veut du bien ? » (70). Dans un mouvement délibérément antiaugustinien et antijanséniste, Rousseau refuse d’opposer ici amour de soi et amour de Dieu : la vertu morale et l’amour de Dieu, non seulement sont compatibles avec l’amour de soi, mais ils en découlent, conformément à une morale de l’intérêt qu’éclaire une lettre citée par Bernardi dans sa note 50.

La réflexion anthropologique, assignant à l’espèce humaine la 1ère place dans l’univers, s’inscrit donc dans la continuité de la méditation cosmologique du vicaire : il est conforme à l’idée d’un ordre providentiel que le seul être pensant en figure le point culminant. L’anthropocentrisme de Rousseau enveloppe donc un théocentrisme : »qu’y a-t-il de si ridicule à penser que tout est fait pour moi si je suis le seul qui sache tout rapporter à Dieu ? ». Nous sommes au centre des créatures, mais c’est pour révéler dans sa pleine lumière l’existence du centre créateur, p.69-70.

B- « Mais quand, pour connaître ensuite ma place individuelle dans mon espèce, j’en considère les divers rangs et les hommes qui les remplissent, que deviens-je ? Quel spectacle ! » : « Je vois le mal sur la terre »

Pourtant un regard + poussé sur la situation effective de l’homme révèle un tableau désolant : si nous suspendons notre contemplation du monde pour nous pencher sur ce que nous sommes en tant que « rois de la terre », le contraste est violent. Passant de la place de l’homme dans l’univers à la place de l’individu dans la société, le vicaire se heurte une 1ère fois au spectacle du mal sur la terre, apparu avec la même espèce humaine qui représentait l’apogée de son ordre rationnel : « quel spectacle ! Où est l’ordre que j’avais observé ? » ; « les animaux sont heureux, leur roi seul est misérable ! ». La rhétorique de la désolation, brisant la sereine systématicité déductive de l’argumentation du Vicaire, met en relief le scandale que constitue le contraste entre l’harmonie du monde, la perfection de la création, les privilèges accordés aux hommes et l’usage mauvais qu’ils font des attributs essentiels que la 1ère partie de la méditation métaphysique leur a accordés ; la volonté et l’intelligence. L’effervescence de l’amour-propre, la fureur de se distinguer, le souci exclusif du profit égoïste, la cupidité : toutes les passions qui prospèrent dans la société mal gouvernée portent les hommes à se nuire les uns les autres sans répit. C’est donc bien le spectacle de l’ordre social et des passions développées en amour-propre qui montre l’empire du mal. La place naturelle de chacun est remplacée par les rangs sociaux, leur arbitraire et leur injustice : dans la vie sociale, l’amour de soi est dégradé en amour-propre, et les passions sont perverties en vices par l’imagination. La corruption sociale assure bien le triomphe du mal, puisqu’elle renverse l’ordre voulu par le créateur : l’être qui devrait jouir au + haut point de son existence est pris dans les rets du malheur.

Or un tel spectacle s’accorde difficilement avec l’idée d’une sagesse providentielle gouvernant le monde : « Ô Providence est-ce ainsi que tu régis le monde[28] ? Être bienfaisant, qu’est devenu ton pouvoir ? [29]». Si le monde constitue bien une totalité rationnelle, un ordre métaphysique et moral, comment comprendre la souffrance de l’homme, pourtant porté par une aspiration naturelle au bonheur auquel son statut privilégié lui ouvre le droit? Comment rendre raison du mal moral par quoi l’homme multiplie les fautes et les abus, les injustices et les crimes, transgressant ainsi l’ordre des valeurs institué par l’auteur des choses ?

Si Dieu a créé toutes choses, et si nous pouvons observer l’omniprésence du mal et de l’affliction dans la vie humaine, il semble devoir être tenu pour responsable de cette discordance entre l’être et le devoir-être. Pour réfuter le vieil argument qui impute à Dieu l’origine et la responsabilité du mal, Rousseau va devoir reprendre le problème classique de la théodicée, disculper Dieu et, dégageant une autre généalogie du mal, rendre la liberté de l’homme seule responsable de la présence du mal dans le monde : ce n’est pas en Dieu, ni dans la nature, mais en l’homme qu’il faut chercher l’origine du mal.

C-Dualité

L’origine du Mal résidera ainsi dans la dualité de la nature humaine, qui nous est révélée par l’expérience des conflits psychologiques attachés à la vie morale. Rousseau pointe, après Platon (Phèdre, République, IV, 435 d, Phédon, 83 c), la double postulation de l’homme, tendant vers deux directions opposées : d’un côté il s’élève vers la beauté de l’intelligible (le Souverain Bien) et de l’autre il est entraîné vers le bas. Tout se passe comme si le Vicaire, déjà muni d’un dualisme externe, entre la matière et la volonté, pouvait maintenant séparer en l’homme deux principes pour démontrer que « non, l’homme n’est point un », comme si le dualisme métaphysique devait rendre compte de la contradiction morale en maintenant, contre le matérialisme des contemporains, la distinction de l’âme et du corps. Le dualisme moral des deux voix de la conscience et des passions, le dualisme logique de la pensée et de la sensation, sont repris dans le dualisme métaphysique de la liberté de l’âme, opposée à la « loi du corps », comme machine soumise à « l’impulsion des objets externes ».

« Je veux et je ne veux pas ; je me sens à la fois esclave et libre ; je vous le bien, je l’aime et je fais le mal » : cette réminiscence de la plainte de Médée dans les Métamorphoses d’Ovide ou de l’Epître aux Romains de Saint Paul montre que lorsque nous éprouvons une tentation, c.à.d. lorsque nous sommes portés à convoiter quelque chose de moralement répréhensible, nous sentons que les forces meuvent nos âmes dans des directions opposées Dans le désir, un élan venu du corps nous pousse à satisfaire notre penchant, mais il est possible qu’autre chose, l’âme, nous en retienne et nous suggère qu’il serait meilleur de renoncer à l’objet désiré. Notre nature physique nous pousse à rechercher la satisfaction attachée aux biens matériels et les plaisirs relevant de l’agrément sensoriel ; mais notre nature spirituelle aspire à un bien absolu et nous permet de maîtriser nos appétits et d’y préférer l’accomplissement de nos devoirs. Les passions constituent ainsi des affections sensibles produites en nous par des objets extérieurs qui troublent nos jugements. Elles ne naissent pas de l’âme, mais dérivent de son union avec le corps. Aussi la pensée peut-elle refuser ces inclinations en nous montrant qu’elles sont inadéquates à réaliser notre bien véritable. La faute ou la tentation nous font donc éprouver un tiraillement

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