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A Quoi Sert La Philosophie ?

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cace pour l’emporter dans un dialogue. Elle peut servir celui qui souhaite emporter l’adhésion ou déstabiliser un interlocuteur.

En effet la norme de sa progression est la logique, elle apprend donc, non seulement à construire un discours cohérent qui pourra résister aux attaques éventuelles, mais elle apprend également à repérer les contradictions dans le discours de quelqu’un d’autre. De même elle recherche ce que sont les choses, elle habitue donc à la précision, à ne considérer la mesure exacte où l’on accepte un terme, à ne pas confondre une réalité et une autre, il est alors plus aisé, pour celui qui l’inclut dans son éducation, de repérer les confusions ou les imprécisions.

L’ironie de Socrate se révèle à ce titre efficace. Lorsque Lachès, par exemple, dans le dialogue éponyme, réduit la vertu au simple fait de « ne jamais reculer », Socrate a peu de difficultés pour lui montrer combien la définition est insuffisante, combien la mention du particulier est impuissante à satisfaire une interrogation sur l’essence, et presque tous les interlocuteurs de Socrate, transposés « au milieu des airs », c’est à dire sommés d’énoncer ce que sont les choses, se retrouvent, comme Platon l’illustre dans Le Théétète « affolés et bredouillants » prêtant à rire à « tous ceux qui ont reçu une éducation contraire à celle des esclaves ».

Une ambition soucieuse de convaincre, de toujours l’emporter dans une confrontation langagière, peut donc se servir de la philosophie à cette fin, la considérer comme un outil efficace.

Cependant, en tant que discipline, la philosophie se soucie peu d’emporter l’adhésion, elle ne cherche pas l’assentiment des foules, ni la polémique, elle cherche la vérité dans le dialogue « de l’âme avec elle-même » comme le dit Socrate, ou dans la discussion. Mais alors, un interlocuteur philosophique n’est pas considéré comme un adversaire à abattre, mais comme quelqu’un qu’il faut élever à un niveau d’abstraction ou comme un humain susceptible de devenir, avec celui qui cherche, co-découvreur d’une vérité que chacun aurait difficilement pu trouver seul. C’est ainsi que, lorsqu’un sophiste en appelle à de nombreux témoignages, Socrate ne demande que la participation ou l’accord de l’intelligence qu’il a en face de lui.

D’ailleurs si l’objectif recherché est l’assentiment des foules, il existe un instrument plus adapté que la philosophie : la rhétorique, qui apprend à convaincre, mais qui enseigne aussi à séduire. C’est un instrument qui étudie également la précision des arguments, mais qui subordonne leur ordre à leur réception par l’auditoire. Contrairement à l’argumentation philosophique qui procède de façon logique, progresse du plus simple au plus complexe, la rhétorique apprend à écouter les mouvements d’une foule, à s’y adapter, à lui dire ce qu’elle veut entendre au moment où elle veut l’entendre, et dans l’ordre le plus susceptible de lui plaire, il s’agit d’un art plus que d’une discipline. Tel est l’instrument langagier du pouvoir que décrit Platon, celui de l’avocat par exemple, aussi rigoureux dans son argumentation que capable de jouer sur les sentiments sans oublier les « effets de manche » : « avec l’art de persuader, dit Calliclès, tu feras ton esclave du médecin, et, quand au fameux financier on s’apercevra que ce n’est pas pour lui qu’il amasse de l’argent, mais pour toi qui sais parler et persuader les foules. »

La philosophie peut donc être un outil de manipulation, mais ce n’est pas le meilleur.

Il est une pratique en revanche pour laquelle la philosophie peut constituer l’instrument privilégié.

Lorsqu’il s’agit, non plus d’enflammer ponctuellement une foule, mais d’imposer une autorité et de construire un pouvoir durable, alors la philosophie pourrait s’avérer d’un usage précieux.

En effet le politique peut vouloir s’appuyer sur une structure théorique cohérente, sur une réflexion établie, il peut vouloir articuler son discours autrement que sur le seul désir ou la seule haine qui sont les ressorts classiques de l’orateur, pour cela une philosophie peut être utilisée.

Ainsi le pouvoir Nazi, s’est servi, en les détournant, en isolant certains passages de leurs contextes, des propos de Nietzsche. « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » était inscrit à l’entrée des camps d’entraînement SS.

Il s’agissait cependant d’une trahison d’un penseur, non d’une véritable adhésion à une philosophie.

Le problème politique n’est, par ailleurs, pas seulement de conquérir le pouvoir, mais de le garder ; et dans cette optique, une philosophie peut permettre d’offrir un cadre théorique dans lequel seront articulés et maîtrisés l’ensemble des aspects d’une société : l’économie, le droit, la religion, l’art… Ainsi peut se constituer un système intellectuel, une idéologie, où toutes les pièces sont asservies entre elles, qui enserre l’individu et assure un pouvoir, c’est ce qu’Hannah Arendt appelle un pouvoir totalitaire, et pour cela, une philosophie est nécessaire.

C’est ce qu’ont montré les dictatures communistes qui se référaient explicitement à Marx, et produisaient en même temps qu’un immobilisme, un discours stéréotypé emprunté aux travaux d’un grand philosophe.

La philosophie peut donc servir de cette manière : être l’instrument de la plus grande coercition.

On devrait néanmoins émettre une réserve : il s’agit dans ce cas là d’une philosophie, et non pas de la philosophie.

En effet la philosophie ne consiste pas en l’apprentissage d’un contenu établi qu’il s’agirait de comprendre et d’appliquer, elle est l’activité de la réflexion, et donc le maintien d’un questionnement qui, lui, n’a pour fin que la connaissance, et ne peut donc s’instrumentaliser. Comme le dit Jaspers : « la philosophie se trahit elle-même lorsqu’elle dégénère en un pouvoir mis en formue, définitif complet. Faire de la philosophie c’est « être en route » les questions en philosophie sont plus importantes que les réponses, et chaque réponse devient, une nouvelle question ».

On pourrait alors dire que la philosophie, en elle-même, ne sert à rien dans le sens où son utilisation comme instrument dénaturerait ce qu’elle est. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas de valeur ; il est aisé de comprendre que ce qui a une valeur d’usage ne vaut que par l’usage qu’on en fait ; l’argent en offre un bon exemple, une monnaie qu’on ne peut plus échanger perd toute valeur. Ce qui a le plus de valeur, au contraire, est ce qui vaut par soi, et non par autre chose, ce sont des valeurs au sens propres, comme l’humain, la beauté ou la connaissance. .

Son impossible instrumentalisation n’implique peut-être pas pour autant que la philosophie puisse être considérée comme inutile. La pratique de la réflexion peut peut-être apporter quelque chose qui la ferait estimer utile même si on ne peut l’utiliser.

Pour l’individu, une des recherches les plus nécessaires, sinon les plus répandues, est celle de son propre bonheur. Il s’agit, comme le dit Aristote, du « souverain bien » puisque c’est l’un des seul, voire le seul, que l’on poursuive pour lui-même et jamais pour autre chose. La philosophie pourrait s’avérer grandement utile si elle permettait d’y contribuer.

La réflexion pourrait en effet permettre à l’individu de déterminer ce qu’il est bon de poursuivre, et ce qu’il serait préférable de fuir. « C’est la raison vigilantes, dit Epicure, qui détermine les motifs de ce qu’il faut poursuivre et de ce qu’il faut éviter ». Et il est certain que l’irréfléchi peut aussi bien se fourvoyer dans ses choix personnels que de céder à des séductions, politiques, culturelles ou commerciales destinées à l’asservir.

La pratique de la philosophie ne promet pourtant pas que la raison sera toujours pertinente pour combattre une passion néfaste ; et une réflexion, même d’une grande pauvreté théorique suffit pour s’écarter des plus dangereuses : heureusement qu’une pensée approfondie n’est pas nécessaire pour éviter les drogues par exemple, le bon sens suffit, et, dans ce domaine, c’est « la chose du monde la mieux partagée », il ne semble pas que la philosophie serve particulièrement.

Par ailleurs le bonheur, ou au moins le confort, est tout à fait possible dans la servitude, les prisonniers de la Caverne n’étaient pas dans le malheur, et souffraient de tout ce qui pouvait les détourner des ombres qu’ils contemplaient.

Le bonheur n’est pas même la valeur de la philosophie, sa valeur est la vérité, et entre les deux le conflit est possible. La vertu philosophique consiste alors dans une lucidité, c'est-à-dire le choix de la vérité, même lorsque elle n’est pas des plus agréables. Ce n’est pas forcément ce qui rend heureux, mais c’est, selon l’expression de Kant, ce qui rend digne de l’être.

Pour celui qui recherche cette lucidité, la philosophie sert alors à quelque chose, elle est la discipline privilégiée pour examiner la rigueur d’un raisonnement, la cohérence d’une pensée, l’authenticité d’une

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