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Ruy Blas

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ment encor tous ici, - le jour va naître. Il se tourne brusquement vers Gudiel. Ah ! c'est un coup de foudre !... - oui, mon règne est passé, Gudiel ! - renvoyé, disgracié, chassé ! Ah ! tout perdre en un jour ! - L'aventure est secrète Encor, n'en parle pas. - Oui, pour une amourette, - Chose, à mon âge, sotte et folle, j'en convien ! Avec une suivante, une fille de rien ! Séduite, beau malheur ! parce que la donzelle , Est à la reine, et vient de Neubourg avec elle, Que cette créature a pleuré contre moi, Et traîné son enfant dans les chambres du roi ; Ordre de l'épouser. Je refuse. On m'exile. On m'exile ! Et vingt ans d'un labeur difficile, Vingt ans d'ambition, de travaux nuit et jour ; Le président haï des alcades de cour. Dont nul ne prononçait le nom sans épouvante ; Le chef de la maison de Bazan, qui s'en vante ; Mon crédit, mon pouvoir ; tout ce que je rêvais, Tout ce que je faisais et tout ce que j'avais, Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s'écroule Au milieu des éclats de rire de la foule ! GUDIEL Nul ne le sait encor, monseigneur. DON SALLUSTE Mais demain ! Demain, on le saura ! - Nous serons en chemin. Je ne veux pas tomber, non, je veux disparaître ! Il déboutonne violemment son pourpoint. Tu m'agrafes toujours comme on agrafe un prêtre, Tu serres mon pourpoint, et j'étouffe, mon cher ! Il s'assied. Oh ! mais je vais construire, et sans en avoir l'air, Une sape profonde, obscure et souterraine ! - Chassé ! Il se lève.

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GUDIEL D'où vient le coup, monseigneur ? DON SALLUSTE De la reine. Oh ! je me vengerai, Gudiel ! tu m'entends. Toi dont je suis l'élève, et qui depuis vingt ans M'as aidé, m'as servi dans les choses passées, Tu sais bien jusqu'où vont dans l'ombre mes pensées, Comme un bon architecte, au coup d'oeil exercé, Connaît la profondeur du puits qu'il a creusé. Je pars. Je vais aller à Finlas, en Castille, Dans mes états, - et là, songer ! - Pour une fille ! Toi, règle le départ, car nous sommes pressés. Moi, je vais dire un mot au drôle que tu sais. À tout hasard. Peut-il me servir ? Je l'ignore. Ici jusqu'à ce soir je suis le maître encore. Je me vengerai, va ! Comment ? je ne sais pas ; Mais je veux que ce soit effrayant ! - De ce pas Va faire nos apprêts, et hâte-toi. - Silence ! Tu pars avec moi. Va. Gudiel salue et sort. - Don Salluste appelant. - Ruy Blas ! RUY BLAS, se présentant à la porte du fond. Votre excellence ? DON SALLUSTE Comme je ne dois plus coucher dans le palais, Il faut laisser les clefs et clore les volets. RUY BLAS, s'inclinant. Monseigneur, il suffit. DON SALLUSTE Écoutez, je vous prie. La reine va passer, là, dans la galerie, En allant de la messe à sa chambre d'honneur, Dans deux heures. Ruy Blas, soyez là. RUY BLAS Monseigneur, J'y serai. DON SALLUSTE, à la fenêtre. Voyez-vous cet homme dans la place Qui montre aux gens de garde un papier, et qui passe ? Faites-lui, sans parler, signe qu'il peut monter. Par l'escalier étroit. Ruy Blas obéit. Don Salluste continue en lui montrant la petite porte à droite. - Avant de nous quitter, Dans cette chambre où sont les hommes de police, Voyez donc si les trois alguazils de service Sont éveillés.

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RUY BLAS Il va à la porte, l'entrouvre et revient. Seigneur, ils dorment. DON SALLUSTE Parlez bas. J'aurai besoin de vous, ne vous éloigne pas. Faites le guet afin que les fâcheux nous laissent. Entre don César de Bazan. Chapeau défoncé. Grande cape déguenillée qui ne laisse voir de sa toilette que des bas mal tirés et des souliers crevés. Épée de spadassin. Au moment où il entre, lui et Ruy Blas se regardent et font en même temps, chacun de son côté, un geste de surprise. DON SALLUSTE, les observant, à part. Ils se sont regardés ! Est-ce qu'ils se connaissent ? Ruy Blas sort. Scène II DON SALLUSTE, DON CÉSAR DON SALLUSTE Ah ! vous voilà, bandit ! DON CÉSAR Oui, cousin, me voilà. DON SALLUSTE C'est grand plaisir de voir un gueux comme cela ! DON CÉSAR, saluant. Je suis charmé... DON SALLUSTE Monsieur, on sait de vos histoires. DON CÉSAR, gracieusement. Qui sont de votre goût ? DON SALLUSTE Oui, des plus méritoires. Don Charles de Mira l'autre nuit fut volé. On lui prit son épée à fourreau ciselé Et son buffle. C'était la surveille de Pâques. Seulement, comme il est chevalier de Saint-Jacques, La bande lui laissa son manteau. DON CÉSAR Pourquoi ? Doux Jésus ! DON SALLUSTE Parce que l'ordre était brodé dessus.

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Eh bien, que dites-vous de l'algarade ? DON CÉSAR Ah ! diable ! Je dis que nous vivons dans un siècle effroyable ! Qu'allons-nous devenir, bon Dieu ! si les voleurs Vont courtiser saint Jacques et le mettre des leurs ? DON SALLUSTE Vous en étiez ! DON CÉSAR Eh bien, - oui ! s'il faut que je parle, J'étais là. Je n'ai pas touché votre don Charle, J'ai donné seulement des conseils. DON SALLUSTE Mieux encor. La lune étant couchée, hier, Plaza-Mayor, Toutes sortes de gens, sans coiffe et sans semelle, Qui hors d'un bouge affreux se ruaient pêle-mêle, Ont attaqué le guet. - Vous en étiez ! DON CÉSAR Cousin, J'ai toujours dédaigné de battre un argousin. J'étais là. Rien de plus. Pendant les estocades, Je marchais en faisant des vers sous les arcades. On s'est fort assommé. DON SALLUSTE Ce n'est pas tout. DON CÉSAR Voyons. DON SALLUSTE En France, on vous accuse, entre autres actions, Avec vos compagnons à toute loi rebelles, D'avoir ouvert sans clef la caisse des gabelles. DON CÉSAR Je ne dis pas. - La France est pays ennemi. DON SALLUSTE En Flandre, rencontrant dom Paul Barthélemy, Lequel portait à Mons le produit d'un vignoble Qu'il venait de toucher pour le chapitre noble, Vous avez mis la main sur l'argent du clergé. DON CÉSAR En Flandre ? - il se peut bien. J'ai beaucoup voyagé. - Est-ce tout ?

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DON SALLUSTE Don César, la sueur de la honte, Lorsque je pense à vous, à la face me monte. DON CÉSAR Bon. Laissez-la monter. DON SALLUSTE Notre famille... DON CÉSAR Non. Car vous seul à Madrid connaissez mon vrai nom. Ainsi ne parlons pas famille ! DON SALLUSTE Une marquise Me disait l'autre jour en sortant de l'église - Quel est donc ce brigand qui, là-bas, nez au vent, Se carre, l'oeil au guet et la hanche en avant, Plus délabré que Job et plus fier que Bragance Drapant sa gueuserie avec son arrogance, Et qui, froissant du poing sous sa manche en haillons L'épée à lourd pommeau qui lui bat les talons, Promène, d'une mine altière et magistrale, Sa cape en dents de scie et ses bas en spirale ? DON CÉSAR, jetant un coup d'oeil sur sa toilette. Vous avez répondu : C'est ce cher Zafari ! DON SALLUSTE Non ; j'ai rougi, monsieur. DON CÉSAR Eh bien ! la dame a ri. Voilà. J'aime beaucoup faire rire les femmes. DON SALLUSTE Vous n'allez fréquentant que spadassins infâmes ! DON CÉSAR Des clercs ! des écoliers doux comme des moutons ! DON SALLUSTE Partout on vous rencontre avec des Jeannetons ! DON CÉSAR Ô Lucindes d'amour ! ô douces Isabelles ! Eh bien ! sur votre compte on en entend de belles ! Quoi ! l'on vous traite ainsi, beautés à l'oeil mutin, À qui je dis le soir mes sonnets du matin ! DON SALLUSTE

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Enfin, Matalobos, ce voleur de Galice Qui désole Madrid malgré notre police. Il est de vos amis ! DON CÉSAR Raisonnons, s'il vous plaît. Sans lui j'irais tout nu, ce qui serait fort laid. Me voyant sans habit, dans la rue, en décembre, La chose le toucha. - Ce fat parfumé d'ambre, Le comte d'Albe, à qui l'autre mois fut volé Son beau pourpoint de soie... DON SALLUSTE Eh bien ? DON CÉSAR C'est moi qui l'ai. Matalobos me l'a donné. DON SALLUSTE L'habit du comte ! Vous n'êtes pas honteux ?... DON CÉSAR Je n'aurai jamais honte De mettre un bon pourpoint, brodé, passementé , Qui me tient chaud l'hiver et me fait beau l'été. - Voyez, il est tout neuf. Il entrouvre son manteau, qui laisse voir un superbe pourpoint de satin rose brodé d'or. Les poches en sont pleines De billets doux au comte adressés par centaines. Souvent, pauvre, amoureux, n'ayant rien sous la dent, J'avise une cuisine au soupirail ardent D'où la vapeur des mets aux narines me monte. Je m'assieds là. J'y lis les billets doux du comte, Et, trompant l'estomac et le coeur tout à tour, J'ai l'odeur du festin et l'ombre de l'amour ! DON SALLUSTE Don César... DON CÉSAR Mon cousin, tenez, trêve aux reproches. Je suis un grand seigneur, c'est vrai, l'un de vos proches ; Je m'appelle César, comte de Garofa ; Mais le sort de folie en naissant me coiffa. J'étais riche, j'avais des palais, des domaines, Je pouvais largement renter les Célimènes. Bah ! mes vingt ans n'étaient pas encor révolus Que j'avais mangé tout ! il ne me restait plus De mes prospérités, ou réelles ou fausses, Qu'un tas de créanciers hurlant après mes chausses, Ma foi, j'ai pris la fuite et j'ai changé de nom.

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À présent, je ne suis qu'un joyeux compagnon, Zafari, que hors vous nul ne peut reconnaître. Vous ne me donnez pas du tout d'argent, mon maître ; Je m'en passe. Le soir, le front sur un pavé, Devant

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