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Britannicus, La Naissance Du Monstre Néron

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ssance que décrit Racine ? Ou plutôt, jusqu’à quel point Racine nous donne- t-il les codes qui permettent de cerner la nature monstrueuse du jeune empereur, personnage flou et médiocre, peut être héritier d’un mauvais sang?

Il sera intéressant d’observer les étapes de fabrication du monstre en se penchant sur l’enfant qu’est Néron. Puis de constater que le héros reste médiocre et difficilement définissable, ni bon, ni mauvais. Enfin, afin de mieux expliciter la nature cruelle de l’empereur, il faudra revenir sur le cadre génétique et héréditaire qui l’entoure.

On pourrait se demander pourquoi Racine n’a pas représenté la mort d’Agrippine, c'est-à-dire l’assassinat d’une mère monstrueuse par un fils monstrueux. Cela n’aurait pas suscité la crainte et la pitié générées par la tragédie. En réalité il s’agissait pour Racine de mettre en scène la monstruosité naissante tout en gardant la terreur et la pitié. La pièce est la mise en scène de l’enfant qu’est Néron, les germes de sa nature criminelle. Le Néron de Racine prépare au Néron de Tacite.

C’est la passion qui pousse Néron à commettre son premier crime car c’est par l’enlèvement de Junie que tout commence. Néron amoureux est brutal, il ne prend pas garde aux sentiments de Junie et la torture même. Cet amour est à la fois cruel et immature. On le note dans la composante sadique qui se précise rapidement. Dans ses fantasmes de séduction, Néron s’imagine menaçant Junie, la faisant pleurer :

« J’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler » (II, 2, v.402)

« J’employais les soupirs, et même la menace » (404)

On note dans ces vers la marque de l’immaturité de Néron car son amour se dévoie en cruauté et s’exprime surtout, dans la pièce, dans le désir de nuire à son rival. Quand il se met à aimer Junie, cet amour prend la forme d’une obsession. Il ne peut pas se contrôler alors que Burrhus lui conseille de dominer sa passion :

« On n’aime point, Seigneur, si l’on ne veut aimer. ».

Cette maxime, qui ressemble à un vers de Corneille et qui repose sur un raisonnement logique dénué de sentiment, ne prend pas sur Néron :

« … le mal est sans remèdes […] Il faut que j’aime enfin » (III, 1, v 790 v 776).

« Que j’aime enfin » signifie « en dépit de tout ». Néron refuse de maîtriser ses sentiments. Le raisonnement de Burrhus est mis en échec par la passion du jeune empereur, mais derrière Burrhus c’est Corneille qui est visé. Or, Corneille est le principal ennemi de Racine, c’est la cible invisible de la préface de 1670 d’où est extraite la citation étudiée. Cet emportement soudain pour Junie ressemble beaucoup à un caprice. Néron est encore un enfant et il ne domine pas encore ses passions et ses émotions. Cette jalousie infantile manifeste une grande insensibilité : Néron enlève Junie alors qu’il semble ne pas connaitre les sentiments de Britannicus à son égard. L’enlèvement ne serait donc pas dirigé contre le jeune prince. C’est lorsqu’il découvre en Britannicus un rival heureux que Néron se fait hostile. On peut comprendre que la jalousie (cette passion) ait poussé Néron à commettre ce crime. Mais ce qui est atroce et incompréhensible car anormal c’est qu’il ne ressente aucun sentiment de culpabilité. Il manque à Néron la sensibilité propre à tout homme. Il a des réactions infantiles qui prédisent les futurs actes monstrueux dont il sera capable. Mais c’est dans la révolte que la nature cruelle de Néron nait véritablement.

Néron est un adolescent incapable de s’affranchir de l’autorité de sa mère. Il tremble encore devant elle. Cela révèle deux traits de caractère propres à sa nature : Néron est hypocrite et cette hypocrisie lui vient de sa lâcheté. Profondément dissimulé, il ne révèle pas ses intentions. Révolté contre sa mère, il n’a pas le courage de sa révolte. L’action tourne autour du lien existant entre Agrippine et Néron dont celui-ci cherche à se défaire :

« Mon génie étonné tremble devant le sien » avoue t’il à Narcisse (II, 2, v. 506).

Il faut noter que « étonné » a le sens fort de « paralysé par la foudre ». L’intensité du sentiment est bien plus forte qu’en français moderne. Ecrasé par la personnalité de sa mère, femme impérieuse et sans scrupules, Néron se livre à une lutte obscure mais, jamais directement contre sa mère. Pour Néron éviter sa mère passe par les yeux puisqu’il ne cesse d’évoquer son regard dominateur :

« d’un œil enflammé » (II, 2, v.485),

« Eloigné de ses yeux… »(v.496)

et « De ces yeux où j’ai lu si longtemps mon devoir » (v.502).

Le mot « devoir » est important car il indique que Néron cherche à se libérer des contraintes. Il est contraint par une série de liens qu’il refuse. Dès son arrivée sur scène il parle en évoquant sa mère, d’une « dépendance » dont il doit « s’affranchir » (II, 2, v. 507). Il se dit enchainé par :

« Tout. Octavie, Agrippine, Burrhus/ Sénèque, Rome entière, et trois ans de vertus. ».

Cette hyperbole est l’énumération des obstacles, qui empêche le jeune empereur d’exercer son pouvoir comme il l’entend. La litanie de noms égrène le poids d’un passé rythmé par les liens familiaux, le respect moral, les règles de la cité. Néron rêve de liberté, elle se manifeste dans son refus de tout cela.

C’est ce besoin de liberté qui va provoquer le meurtre de Britannicus. Mais il faut tenir compte des variations permanentes de Néron qui hésite réellement a tué son frère. On le remarque particulièrement dans l’acte 4 de la pièce. Les scènes 2, 3 et 4 y reposent sur des effets de rebondissements qui mènent à la décision finale du jeune empereur. Elles sont une succession de trois plaidoyers. La scène 2 est la fausse réussite d’Agrippine, elle parvient presque à convaincre son fils de renoncer à son terrible dessein :

« Eh bien donc, prononcez, que voulez-vous qu’on fasse ? » (v 1287)

Mais immédiatement elle reprend son rôle de donneuse d’ordres :

« De mes accusateurs qu’on punisse l’audace,

Que de Britannicus on calme le courroux,

Que Junie à son choix puisse prendre époux,

… » (v1288-1290)

Elle perd alors à nouveau Néron qui affirmera à Burrhus à la scène suivante :

« J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer. » (v 1314)

La réussite de Burrhus pour convaincre Néron sera une vraie réussite mais, elle ne sera que temporaire. La tirade qui commence vers 1337 est un succès rhétorique. Face à Néron qui cherche à être libre, Burrhus avance une étrange conception de la liberté, anti-intuitive : Tuer Britannicus signifierait ne plus être libre :

« C’est à vous de choisir, vous êtes encore maître. » (v 1339)

Burrhus explique à Néron que c’est en ayant le choix de tuer ou non son frère et en choisissant d’y renoncer qu’il restera libre. La scène 3 de l’acte 4 est le dernier moment où Néron restera libre. Cette stratégie sera payante puisque Néron accepte la réconciliation, ce qu’il annonce à Narcisse dans la scène suivante :

« … Oui, Narcisse, on nous réconcilie. » (v 1401)

« On répond de son cœur, et je vaincrai le mien. » (v 1409)

Mais, c’est dans cette scène que bascule définitivement Néron dans l’univers du crime, il sera convaincu par les arguments du traitre Narcisse :

« Faites périr le frère, abandonnez la sœur » (v 1450)

« Vous seriez libre alors, Seigneur, et devant vous

Ces maîtres orgueilleux fléchiraient comme nous. » (v 1465-66)

Narcisse oppose sa théorie à celle de Burrhus : C’est en tuant Britannicus que Néron sera libre, il emploie un discours de la liberté par indifférence c'est-à-dire que l’on est libre lorsque l’on agit à son gré. La liberté est quelque chose que l’on construit, des actes rendent libres et des actes détruisent la liberté. Ce faux discours convaincra Néron mais ne le rendra pas plus libre au contraire, son crime l’obligera à en fomenter bien d’autres. Le rôle de Narcisse dans la fabrication du monstre est central. On peut le comparer au serpent qui parvint à convaincre Adam et Eve dans la Genèse de manger le fruit de la connaissance. Le fruit devrait leur apporter savoir et donc liberté mais, ils seront plongés dans une vie de servitude. Ce faux mensonge sur la liberté et la maîtrise ressort ici dans les paroles de Narcisse. Par ailleurs, les allitérations en « s » dans son nom trahissent la bête qui est en lui. Quoi qu’il en soit les rebondissements qui se succèdent dans ces trois scènes de l’acte 4 montrent bien les hésitations de Néron, il n’est pas encore le monstre cruel qu’il s’apprête à devenir. De plus, en croyant se défaire des ordres et décisions de sa mère, il se place lui-même sous les « ordres

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