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La Mort Chez Simone De Beauvoir

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atale, une tumeur cancéreuse. Au fur et à mesure du texte, un changement de l’attitude de la narratrice envers la mort et la vieillesse se produit. Une approche froidement raisonnable à la maladie de sa mère présentée aux premières pages, qui s’exprime dans une phrase « somme toute, elle avait l’âge de mourir (17)», est délaissée pour céder la place au refus de l’indifférence et à la constatation du caractère unique, violent et imprévu de chaque mort.

Déjà une citation de Dylan Thomas placée à la tête du récit évoque un motif de ce parti pris contre l’indifférence, de la révolte contre la mort : « N’entre pas sagement dans cette bonne nuit. La vieillesse devrait brûler de furie, à la chute du jour ; rage, rage contre la mort de la lumière ». Ces phrases prédisent le refus de Simone de Beauvoir de céder délibérément à la mort qui, tout en étant le sort nécessaire, n’est jamais choisie, n’est pas une action créatrice. L’écrivaine s’oppose à un consentement accordé au néant. L’espace de la résistance, elle la trouve dans le corps de la moribonde dont les descriptions minutieuses témoignent d’un côté d’un effort de tout voir sans tricher, de rester fidèle face à la souffrance réelle, de l’autre côté, d’une tentative d’apprivoiser la peur suscitée par les images de sa mère mourante. Son agonie devient pour la narratrice une expérience presque mystique, dans laquelle « on puisse enfermer l’absolu (95) ». Ainsi, le réalisme de son écriture ne montre pas la banalité de la mort, mais bien au contraire, il la sublime en accordant de la grandeur à la moribonde dont l’image possède des traits du sacré :

La kinésithérapeute s'approcha du lit, rabattit le drap, empoigna la jambe gauche de maman : sa chemise de nuit ouverte, celle-ci exhibait avec indifférence son ventre froissé, plissé de rides minuscules, et son pubis chauve. […] Voir le sexe de ma mère : ça m'avait fait un choc. Aucun corps n'existait moins pour moi - n'existait davantage. Enfant je l'avais chéri ; adolescente, il m'avait inspiré de la répulsion inquiète ; c'est classique ; et je trouvai normal qu'il eût conservé ce double caractère répugnant et sacré : un tabou. […] Pour moi ma mère avait toujours existé et je n'avais jamais sérieusement pensé que je la verrais disparaître un jour, bientôt. Sa fin se situait, comme sa naissance dans un temps mythique. Quand je me disais : " elle à l'âge de mourir ", c'étaient des mots vides, comme tant de mots (28-29).

Bien sûr, l’approche de l’auteure et celle d’une athéiste et le terme « sacré » ne renvoie pas à un univers religieux, mais plutôt à une définition anthropologique qui désigne ce qui est inaccessible, mis hors du monde normal, objet de dévotion et de peur. Le corps féminin, maternel tel qu’il est présenté dans Une mort très douce semble évoquer l’imaginaire du « continent noir » qui est celui du féminin. Simone de Beauvoir joue avec le mythe de la Maternité associée toujours avec la Mort. En se recourant à la description du sexe de sa mère (ce qui est une décision lucide et ne se traduit surement pas seulement par la volonté de décrire fidèlement la réalité), l’auteure rappelle les fantasmes de la fertilité toujours entremêlés avec ceux de la mort, des profondeurs du sexe féminin, secret comme un tombeau. Le mythe évoqué associe la femme, et surtout la mère avec la nature, le chaos primaire, l’animalité.

Or, les descriptions de la réalité corporelle ne servent pas de plonger dans le domaine du mythe pour y rester et se contenter d’une telle fuite devant la réalité. Bien au contraire, la narratrice décrit sa mère comme une personne concrète, elle ne l’universalise pas. Le mythe constitue un point de départ mais il cède la place aux problèmes de l’instant, à savoir l’agonie de Françoise de Beauvoir.

L’auteure observe chez sa mère un effort ultime contre la mort. Cette force vitale, le désir de vivre, de Beauvoir l’appelle à plusieurs reprises « l’animalité » en indiquant une valeur primaire, instinctive, enracinée dans le corps. La dégradation physique décrite avec du réalisme implacable n’est donc pas un procès purement destructif, négatif, parce qu’elle met en évidence une réalité corporelle en état de lutte, active et non pas chosifiée :

Ses mains ont griffé les draps et elle a articulé : « Vivre ! Vivre ! »(97) […] Elle aspirait à travers la pipette les vitamines bienfaisantes : une bouche de goule humait avidement la vie (119).

Or, le même corps de la moribonde, ressemblant à une dépouille, devient l’image de la Mort écrite avec la majuscule à savoir personnifiée : la mère devient la mort(e). Le fantasme susmentionné revient (mais d’une manière subversive, ce que je démontrerai ci-dessous) dans cette image du corps qui révèle le néant s’imposant avec violence inexorable :

C’est à son chevet que j’ai vu la Mort des danses macabres, grimaçante et narquoise, la Mort des contes de veillée qui frappe à la porte, une faux à la main, la Mort qui vient d’ailleurs, étrangère, inhumaine : elle avait le visage même de maman découvrant sa mâchoire dans un grand sourire d’ignorance (151).

L’animalité, au sens positif du mot, est donc tout à fait humaine et s’oppose à l’inhumanité de l’inertie mortelle. Cette opposition correspond à un contraste qu’observe la narratrice entre la situation de sa mère et le comportement des médecins. Ceux-ci semblent paradoxalement les porte-parole de la mort : froidement professionnels, indifférents face à une personne souffrante, ils la traitent d’une manière purement technique, comme une chose qui est tombée en panne. Les docteurs, « tirés à quatre épingles, lotionnés, bouchonnés (…) des messieurs (31) » sont condamnés pour prendre de supériorité sur la malade et pour ne pas la laisser mourir tranquillement. La narratrice présente une démarche médicale comme série de pratiques violentes, provoquant la souffrance qui n’a pas de sens. Elle n’a pas de confiance en spécialistes ni ne partage pas des espoirs de sa sœur concernant l’opération, qu’elle considère comme un triomphe de la technique, un succès professionnel des médecins mais non pas celui de sa mère. Pour de Beauvoir la lutte contre la mort ne se traduit pas par des méthodes techniques mettant l’homme à l’état de végétation et maintenant son fonctionnement à tout prix. L’auteure les place à côté de la mort, cette « quelque chose (164) » qui vient d’ailleurs est n’est jamais « naturelle (164) ». Le lecteur trouve dans Une mort très douce une certaine ambigüité à l’égard de l’agonie : l’agonie vue comme révolte du corps contre la mort et l’agonie comme souffrance vaine. La première appartient au domaine de la nature, des instincts, la deuxième est associée avec la technicisation inhumaine, radicalement étrange:

[Le docteur] triomphait : à demi morte ce matin, elle avait très bien supporté une longue et grave intervention. Grâce à des méthodes d’anesthésie ultramodernes, le cœur, les poumons, tout l’organisme avait continué de fonctionner normalement. Sans aucun doute, il avait réussi un superbe exploit technique ; les conséquences, sans aucun doute il s’en lavait les mains (46).

Au contraire des pratiques médicales qui lui semble de la cruauté gratuite, Simone de Beauvoir découvre dans la condition de sa mère un lieu de la résistance qu’elle admire :

Quand par la bouche de ma mère c’était cette élite qui parlait, je me hérissais ; mais je me sentais solidaire de l’infirme clouée sur ce lit et qui luttait pour faire reculer la paralysie, la mort (31).

Ainsi, de Beauvoir dépasse le mythe associant la mort avec le féminin : sa mère qui « avait pour la vie une passion animale (161)» n’est pas un « continent noir » de la mort. C’est la Mort qui l’attaque et finalement la vainc. Chez de Beauvoir, la mort n’appartient pas au domaine de la nature représentée par sa mère, la maternité ne symbolise pas le cercle de vie. Le consentement à la mort ne signifierait point l’acceptation de « l’ordre de choses » mais l’indifférence face à la violence et l’absurdité. Et à de Beauvoir de présenter sa mère plutôt comme une révoltée qu’une incarnation de l’éternel féminin. Dans Une mort très douce la Mort appartient au monde masculin, à la réalité hospitalière gouvernée par « des messieurs », des médecins :

Parfums, fourrures, lingeries, bijoux : luxueuse arrogance d’un monde où la mort n’a pas sa place ; mais elle était tapie derrière cette façade, dans le secret grisâtre des cliniques, des hôpitaux, des chambres closes. Et je ne connaissais plus d’autre vérité (121).

Le parti pris de la souffrante et le rejet commun des méthodes d’hospitalisation permettent l’approchement de la narratrice à sa mère mourante. Tandis que la mort de son père qu’elle mentionne rétrospectivement n’a pas suscité chez elle des émotions fortes, celle de sa mère la secoue. L’expérience de la mort semble cette fois-ci profondément partagée, la souffrance de la mère est celle de la fille, la compassion provoque le mouvement de l’identification :

Je parlais à Sartre de la bouche de ma mère (…) Et ma propre bouche, m’a-t-il dit, ne m’obéissait plus : j’avais posé celle de maman sur mon visage et j’en imitais malgré mois les mimiques (47) […] et moi aussi un cancer me dévorait : le remords (80).

Effectivement, la narration témoigne d’une identification

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