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Le Jeu De La Feuillée - Adam De La Halle

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, celle qui, dans l'imaginaire de ce temps-là, abritait les fées venues du paganisme, ou encore logeait la reine de Mai, célébrante de l'amour. La feuillée, c'est aussi la folie (que l'on pouvait écrire fuellie), folie des hommes et des esprits, des pères et des femmes, des puissants et des clercs, et folie des fous eux-mêmes, c'est-à-dire des poètes, dans une vision pré - shakespearienne absolument réjouissante. Enfin, la feuillée, ce sont aussi les "feuillets" du livre - poème - pièce autobiographique qu'Adam de la Halle écrit pour ainsi dire sous nos yeux, dans l'espace de la représentation.

Comment Adam de la Halle fait-il ressortir sa marginalité dans sa pièce ? Quelle est la problématique de la stéréotypie et du débat dans le Jeu de la Feuillée ? Il est important de comprendre la construction de la pièce et son contexte pour expliquer l'importance de la folie dans cette pièce.

PARTIE 1

Plus concrètement, Le Jeu de la feuillée met en scène Adam lui-même, Adam qui part pour Paris, Adam qui ne part pas, et sa famille, ses voisins, trois fées. Et Arras, bien sûr, ville marchande, ville de bourgeoisie naissante, Arras dont Adam se sent prisonnier et dont il ne parvient pas à s'échapper. La pièce, très riche, subtile, ambiguë, mêle la satire et le merveilleux, le burlesque et le quotidien...

Au XIIIe siècle, Arras était une ville très importante tant sur le plan économique que culturel, en particulier dans la seconde moitié du siècle. Elle tire sa prospérité du commerce du drap et de l'argent, malgré les condamnations de l'Église. Arras produisait des étoffes et des tapisseries célèbres dans toute l'Europe. Le pouvoir est entre les mains d'une riche oligarchie marchande qui se réduit à quelques familles. Certains noms de ces familles figurent dans le Jeu de la Feuillée : Les Pouchins, les Wagon, les Lion sont de grands négociants qui règnent sur la ville. Beaucoup d'entre eux étaient «clercs», c'est-à-dire qu'ils appartenaient à l'Église, même à des ordres mineurs. Adam veut être clerc, mais au sens étroit de ce terme : clerc d'école, instruit, étudiant. Il y a dans la pièce un jeu sur mot : les bourgeois d'Arras étaient clercs, mais sans la moindre préoccupation intellectuelle ! Être clercs leur procurait des privilèges, mais cela pouvaient être gênant pour certaines activités considérées comme incompatibles avec la clergie. Ainsi par exemple, on ne pouvait pas être clercs et tavernier ; un clerc veuf n'avait pas le droit de se remarier ; un clerc célibataire ne pouvait pas épouser une veuve. Un veuf se remariant était considéré comme bigame. Cette question agitait beaucoup Arras au XIIIème siècle. Les Papes fulminaient contre les clercs bigames.

Le débat sur les clercs bigames se situe vv. 426 à 519. Normalement les clercs bénéficiaient d’exemptions fiscales et d’avantages juridiques. Par conséquent beaucoup de patriciens cupides se faisaient passer pour clercs jouissant d’immunité. Les autorités réagissent contre ces abus par un décret sur les «clercs bigames», stipulant que les clercs bigames ne pourront plus garder leurs privilèges! Mais le mot bigame n'a pas seulement le sens moderne: il désigne aussi les clercs qui ont eu successivement plusieurs femmes légitimes, qui ont une femme et une maîtresse, qui ont épousé une veuve, qui épousent une femme qu’un autre a connue, qui vivent avec une femme qui les trompe... La question était à l’ordre du jour: beaucoup de clercs se sentaient menacés !

La grande nouveauté de cet genre de pièce réside dans le rôle de l’individualité du poète. Le «je» est autobiographique (contrairement au «je» lyrique de la poésie courtoise du XIIe siècle, où le «je» formel est fictif, symbolique, dépersonnalisé, stéréotypé).

Le Jeu de la Feuillée est un psychodrame où tous les personnages de la pièce ont réellement existé (ils sont mentionnés dans le Nécrologe d’Arras; même Croquesot, courrier d'Hellequin, même Dame Douce sont attestés, même Colart Fousadame, notaire et clerc bigame) ! Ils ont donc dû assister à la représentation du jeu qui les mettait en cause ! C’est donc du théâtre total, sans distinction entre l’acteur et le spectateur. Selon une hypothèse extrême, les citoyens en question auraient même joué leur propre rôle !

Cela reste une œuvre étonnante, déroutante par son manque d’unité et de continuité. Les différents épisodes se succèdent sans logique apparente : la pièce s’ouvre sur la décision d’Adam de partir à Paris reprendre ses études, puis interviennent le moine et le dervé, qui laissent ensuite la place à la merveille de féerie et à la roue de Fortune, et enfin les personnages se retrouvent à la taverne et jouent un mauvais tour au moine. L’intrigue paraît décousue, et provoque un flou insaisissable et perturbant, peut-être encore plus pour le lecteur d’aujourd’hui que pour le spectateur de l’époque. Par certains côtés, cette œuvre pousse l’originalité jusqu’à la bizarrerie, et nous pouvons déjà sentir un vent de folie, une absence de logique ou de raison dans la trame théâtrale. En effet la folie semble être très présente dans l’œuvre, et nous ne la retrouvons pas seulement dans les différentes apparitions du dervé. Elle apparaît en filigrane tout au long de la pièce : ainsi dès le vers 160 Adam évoque lui-même la « derverie » causée par l’amour, de plus elle est la raison de la venue du moine, désireux de sauver les « sos » possédés par « l’anemi de l’ome » (périphrase désignant le diable), et qui restera pour cela sur scène des vers 322 à 573 (avant de réapparaître pour l’épisode de la taverne), et nous pouvons enfin noter que le personnage du dervé revient à la toute fin de la pièce (il clôt presque l’œuvre, lançant l’avant-dernière réplique).

PARTIE 2

Le thème de la folie : «feuillée» : la pièce est à rapprocher de la fête des fous, qui est très importante au Moyen Âge. Dans le Jeu de la Feuillée il y a beaucoup de fous : on montre leur comportement et les objets qui leur sont associés, comme le fromage par exemple : «à fou fromage», ou encore «jamais homme sage ne mangea fromage» dit-on à l’époque médiévale. Le Dervé et Wallet incarnent cette folie. Chez le Dervé, elle se traduit par une violence à l’égard du père, qui fait écho au différent qui oppose Adam et son propre père au début de la pièce. Mais parce qu’il est fou, il peut se permettre ce qui est interdit à Adam. La folie est aussi, dans une certaine mesure, dans le langage et dans cette façon de «passer du coq à l’âne», par des calembours et autres jeux de mots.

Le premier personnage de « sos » apparaissant dans la pièce est Walet (vers 342). Le moine vient en effet de faire irruption sur scène avec ses reliques, voulant sauver les fous de leur perversion (vers 322 à 337) et étant capable de sauver « de l’esvertin » les « sos et sotes » ainsi que les « plus ediotes ». Le poète se plaît ici à mettre à la rime trois mots différents pour désigner la folie, aux vers 330, 331 et 332. Walet semble réunir les principales caractéristiques du fou. De plus, quand Maître Henri lui demande ce qu’il serait prêt à donner pour être aussi bon musicien que son père, sa réponse laisse transparaître la même folie : « Et on m’eüst ore pendu / Ou on m’eüst caupé le teste ! » (v.356-357). C’est donc folie de vouloir ressemble à son père à ce prix, puisqu’il se dit prêt à mourir afin de jouer de la vielle comme lui. Le fou accuse les autres de folie, on ne sait plus au final qui est réellement sain d’esprit. Après d’autres « sos » sont présentés, par Dame Douce comme Colard de Bailleul et Heuvin, deux innocents rêveurs qui vont « tendre as pavillons » (v.639), soit chasser des papillons. Ensuite c’est Walet lui-même qui donne une pièce pour que le moine prie pour Gautier A La Main, qui souffre « Du mal qui li tient ou chervel » (v.375). Enfin, Adam à son tour donne « un mencaut de blé » (v.380) pour Jean le Keu, le sergent qui doit rester alité tant il souffre de sa folie.

Mais le principal personnage faisant état de folie est le dervé. Celui-ci apparaît juste après la mention à Jean le Keu, lorsque son père lui ordonne de venir vénérer le saint (vers 390 et 391). Dès sa première intervention, dans le quatrain (vers 392 à 395), son discours est délirant, entrecoupé, c’est une série d’interrogations et d’exclamations qui n’a aucune cohérence. Ses propos sont violents, comme en témoignent les insultes au vers 393. Son délire est d’autant plu frappant quand il affirme «Laissié[s] m’aller, car je sui rois !» au vers 395. Il ne semble pas conscient de ce qu’il dit ou fait, comme le confirmera le père par la suite (v. 525 à 527). Son comportement est effectivement intriguant, outre ses propos ses actes prouvent sa maladie. Ainsi, il se compare tour à tour au roi, comme nous l’avons évoqué, puis à un crapaud (v.398-399). Le crapaud est un symbole intéressant. C’est en effet un animal maléfique et diabolique, que les sorciers utilisent pour la préparation de leurs mixtures, et qui dans l’imaginaire médiéval sortait de la bouche des démons pour symboliser leurs propos immondes, ou encore pouvait figurer l’esprit impur que les exorcisés recrachent. Le dervé se compare alors à une créature mauvaise et pernicieuse,

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