Ressources et tensions en Méditerranée orientale

RESSOURCES ET TENSIONS EN MEDITERRANEE ORIENTALE 

• Pourquoi la Méditerranée orientale constitue-t-elle un espace stratégique traversé par d’importantes tensions géopolitiques ? 

Introduction 

En 1890, l'amiral et stratège américain Alfred Thayer Mahan publie The Influence of Sea Power Upon History 1660-1783. Cet ouvrage montre à quel point la conquête des mers et des Ocean a progressivement constitué le fondement de la puissance d'un État. Mais face aux enjeux de la maritimisation des échanges, la conquête des mers devient un enjeu crucial de protection des marchandises et d'exploitation des ressources marines. L'exemple de la Méditerranée orientale est révélateur de toutes ces problématiques souvent complexes. 

Les avancées technologiques qui ont permis de découvrir d'importantes ressources énergétiques, ont avant tout fait renaître un bras de fer entre Ankara et Athène qui dure depuis des décennies. 

Les germes de ce conflit portent en réalité sur le partage de ces eaux qui traduisent d'importants enjeux économiques. 

Nous verrons en quoi l'appropriation de cet espace riche en hydrocarbures a progressivement constitué une inquiétude majeure pour différentes organisations internationales. 

I- Une course à l'appropriation des zones maritimes … 

A- Un espace riche en hydrocarbures 

La Méditerranée orientale est soumise à une volonté croissante d’appropriation de la part de plusieurs pays riverains comme la Turquie et la Grèce. Tout d’abord, parce qu’elle s'est révélée être une région extrêmement riche en ressources gazières au cours de la dernière décennie. 

Cette région s‘étend des côtes turques et chypriotes jusqu'au au bassin égyptien. Englobent Israël, les territoires palestiniens et le Liban, cette région se révèle détenir des ressources gazières équivalentes à celles de la Norvège, l'un des principaux producteurs mondiaux de gaz. L'intérêt croissant pour ces ressources s’est amplifié par la transition énergétique mondiale, où le gaz joue un rôle essentiel, tant pour le chauffage que pour la production d'électricité. 

La fermeture de centrales à charbon en Europe et l'accélération de l'électrification dans de nombreux pays asiatiques ont un réel impact sur le marché mondial du gaz . Ainsi, la mer Méditerranée orientale émerge comme un espace stratégique et prospère, qui pourrait satisfaire  la demande croissante en gaz dans le contexte de la transition énergétique mondiale. 

D’ailleurs, la Turquie nécessite ces ressources en hydrocarbures pour pouvoir obtenir son indépendance énergétique et à l’ambition de devenir champion régional.  

B- De nouvelles techniques de forage 

Toute fois la capacité d’ accès aux ressources ont été rendues possibles grâce au développement de technologies permettant de détecter, d’extraire, d’exploiter ses ressources.  

Pour détecter les ressources, des pays riverains de la région de la Méditerranée orientale ont utilisé la sismique marine pour l'exploration pétrolière et gazière, notamment Chypre, la Turquie et la Grèce. Ce système implique des études sismiques marines réalisées pour cartographier les structures géologiques sous la mer et identifier les emplacements potentiels de puits, avant le forage en eau profonde (deep offshore en anglais). L'utilisation de ces équipements est courante dans l'industrie pétrolière et gazière offshore pour exploiter les réserves situées en mer. 

Toutes ces technologies sont devenues alors essentielles pour découvrir et évaluer les réserves de gaz dans cette région maritime, qui se sont avérées importantes et précieuses. 

  C-Une militarisation de la mer par la Turquie qui freine l'exploitation pour son voisin, la Grèce 

Grâce aux nouvelles techniques de forage, de nouvelles réserves en hydrocarbures ont été découvertes. Pour les protégées, la Turquie n'hésite pas à déployer ses forces de projection maritime pour affirmer sa souveraineté dans cet espace tant convoité. Par le biais de garde-côtes, Ankara n'hésite pas à faire subir du harcèlement aux pêcheurs grecs afin de ralentir leurs exploitations. Comme en 2018 lorsqu'Ankara a décidé de bloquer, à l'aide d'un navire militaire, un navire de forage grec. Un épisode similaire a été observé en août 2019 au large de l'île de Kastellórizo. Le navire turc de prospection sismique Oruc Reis a été déployé en compagnie de navires militaires. 

Toutes ces actions militaires et le développement de la flotte turque s'inscrivent dans un contexte politique menée par le gouvernement turc qui ambitionne de faire de la Turquie une grande puissance navale. Cette politique stratégique porte le nom de la « partie bleue ». 

Cependant, les exercices militaires en Méditerranée orientale inquiètent l'Union européenne et l'OTAN, qui craignent une escalade des tensions qui deviendrait incontrôlable 

II - … qui exacerbe les relations internationales 

A-Des revendications territoriales héritées de l'ère ottomane 

La Grèce était un territoire ottoman pendant près de cinq siècles et elle fut l'un des premiers territoires a gagné son indépendance vis-à-vis de l'empire ottoman. Alors que la suprématie grecque sur la mer Égée faisait déjà débat à cette époque-là, c'est encore plus vrai aujourd'hui puisque des nouveaux enjeux ont été découverts ces dernières décennies. En effet, nous pouvons utiliser l'exemple de l'île de Chypre puisque en effet, cette dernière possède des fonds marins riches en gisements d'hydrocarbures. L'île était peuplée de Grecs jusqu'à qu'une minorité turque ne s'y installe lors de l'occupation ottomane. Après la 1ère guerre mondiale, l'île devient une colonie britannique et des tensions apparaissent : les Chypriotes grecs veulent être rattachés à la Grèce alors que la minorité turque souhaite une répartition de l'île. Si déjà l'île était au cœur des tensions elle l'est encore plus aujourd'hui avec l'enjeu de la ZEE qui prévoit des droits d'exploitation des ressources. 

B- Un non-respect de la CNUDM : appropriation de certains espaces par la Turquie 

Les revendications turques en Méditerranée orientale sont contraires au droit maritime initié en 1982 par la convention de Montego Bay. Celle-ci distingue les eaux territoriales des zones économiques exclusives (ZEE). Les premières constituent une zone de 6 à 12 milles nautiques partant de la côte, dans laquelle l'État côtier est souverain sur tous les domaines. Les ZEE, d'une largeur maximale de 200 milles marins, qui octroient une souveraineté sur l'exploitation des ressources et forages au sein de cette zone. Mais pour le président turc, les ZEE définis par le droit international, portent atteinte à la souveraineté turque. En effet, la Grèce estime que ses frontières maritimes se situent sur les côtes de ses îles les plus à l'est, soit à quelques kilomètres des côtes turcs. Ce qui réduit considérablement la ZEE turc. C’est à dire que si l'on applique mécaniquement le droit international, la Mer Egée devient une mer grecque.