Gargantua, un personnage exceptionnel
Dissertation : Gargantua, un personnage exceptionnel. Rechercher de 54 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar odb82 • 28 Mai 2025 • Dissertation • 2 270 Mots (10 Pages) • 86 Vues
Dans quelle mesure Gargantua peut-il être qualifié de personnage exceptionnel ?
Quand Rabelais publie en 1534 son deuxième volume de la saga des géants, il révèle une fois de plus à ses lecteurs un caractère humaniste prononcé. Après Pantagruel en 1532, Gargantua retrace la vie d’un héros comique et original. De nombreux épisodes affichent clairement la dimension scatologique de l’auteur, d’autres une ironie critique vis-à-vis de l’Eglise qui lui vaudront le mépris et la censure de la Sorbonne. Le caractère épique de l’œuvre se perçoit à la lecture des aventures guerrières du héros mais ce qui transparaît le plus est la sagesse finale comme accomplissement absolu du bon prince humaniste. Dès lors, on peut saisir la variété de tons et d’éléments constitutifs de Gargantua qui le place comme un être d’exception, un être extraordinaire. Le titre avec son qualificatif « horrifique » laissait déjà à penser l’unicité du héros rabelaisien. Nous nous proposons d’étudier dans un développement construit en quoi Gargantua est un être d’exception. Dans un premier temps, abordons l’évidence de sa condition physique hors norme : c’est un géant et ses appétits et besoins sont démesurés. Puis nous examinerons sa dimension héroïque. Enfin, nous modérerons le propos en évoquant l’aspect ordinaire du personnage.
En premier lieu, n’oublions pas que le caractère exceptionnel de Gargantua tient du fait que c’est un géant. Sa taille suscite l’étonnement. Pour l’allaiter par exemple, au moins 17 913 vaches sont nécessaires. Le chiffre dépasse l’entendement, le lecteur ne peut pas se représenter concrètement l’ampleur du besoin. Qui plus est, ce besoin est celui d’un nourrisson ce qui implique qu’une fois adulte, lesdits besoins augmenteront sensiblement. Gustave Doré représente le géant dans une gravure intitulée Le repas de Gargantua. Les disproportions frappent le spectateur : les couverts du géant sont de la taille des humains qui le nourrissent. Ces serviteurs sont placés sur des balcons pour certains et on peut en décompter au moins une dizaine. Le personnage au centre de l’image est imposant et écrase visuellement ceux qui le servent qui paraissent minuscules et très affairés à le satisfaire. D’autres exemples du gigantisme foisonnent dans le roman tels que la taille extraordinaire de la jument qui d’un coup de queue déboise toute la forêt de la Beauce, le tissu pour la braguette ou le bonnet qui appelle des quantités astronomiques d’étoffe, l’encrier qui lors de ses études possède la taille d’un tonneau… Gargantua est donc exceptionnel tout d’abord d’un point de vue physique.
Cependant le gigantisme de Gargantua ne réside pas uniquement dans la démesure de sa taille, sa naissance le définit dès le début du roman comme un être exceptionnel et comique. La gestation dure onze mois (quoi de plus normal pour un géant que de prolonger la conception ?!) et Rabelais s’amuse à décrire une délivrance digne d’un dieu antique. Les références intertextuelles mythologiques (Adonis, Castor et Pollux, Minerve…) viennent en grand nombre corroborer la véracité d’une naissance extraordinaire. Sa naissance héroïque par l’oreille ne suffit pas. L’organe choisi préfigure le caractère intelligent et attentif du héros certes mais ce qui dépasse cela est sa capacité à parler dès les premiers instants et surtout pour s’inscrire dans une lignée de grands buveurs. Son premier cri : « A boire ! à boire ! à boire ! » suscite d’ailleurs l’émerveillement et l’étonnement de Grandgousier qui bien que géant lui-même admire l’extraordinaire appétit de sa progéniture. Ainsi, l’onomastique de Gargantua, l’origine de son prénom recèle un caractère unique et extraordinaire : « que grand tu as » sous-entendu l’appétit. Pour pousser le raisonnement plus avant, personne d’autre au monde ne porta jamais ce prénom. Le héros démesuré est bien un héros unique par sa taille et ses capacités naturelles extraordinaires.
On peut en outre souligner qu’au-delà de capacités naturelles physiques extraordinaires, le gigantisme de Gargantua peut s’appliquer à ses aptitudes intellectuelles. Que ce soit par exemple, avec l’éducation sophiste ou l’éducation humaniste, Gargantua plonge à l’extrême soit dans la bêtise profonde d’une vision abêtissante et oisive voulue par les moines. Le sport se résume en effet à se retourner cinq, six fois dans son lit et l’hygiène est méprisée au point de se coiffer avec le « peigne d’Almain ». Gargantua devient si abruti qu’il pleure quand il est complimenté. En revanche, quand la vision de Ponocrates l’élève, on peut relever que son emploi du temps est à la mesure du héros. Si l’on fait le compte des heures, en réalité les heures humaines ne suffisent pas à contenir toutes les activités de cette éducation. Rabelais mentionne « qu’il ne perdait nulle heure de sa journée ». Cette stimulation intellectuelle et physique permettra à Gargantua de devenir un être d’exception en tant que héros éponyme.
Gargantua est l’être de toutes les démesures : sa naissance, sa taille, ses besoins, ses capacités repoussent toutes les limites de l’entendement. Ce qui le place au-dessus des autres dans ce roman sera sûrement la vision humaniste d’un personnage destiné à devenir un héros.
Dans un second temps, nous traiterons de la vision héroïque que Rabelais construit progressivement pour son héros éponyme. C’est de toute évidence, la première des traces à relever. Le héros est explicitement spécifié car il donne son nom à l’œuvre. Toutefois, nous pouvons creuser le raisonnement et démontrer que ce héros est surtout un être d’exception car il est l’accomplissement parfait de l’humaniste. L’éducation de Ponocrates et les personnages experts qu’il fait intervenir révèlent que Gargantua après quelques temps de travail, excelle dans tous les domaines. Pour citer par exemple ses capacités exceptionnelles à la voltige, Rabelais écrit que « Le grand écuyer de Ferrare n’était qu’un singe en comparaison. » ou encore ses exploits d’athlète le désignent « comme un nouveau Milon ». Il est même associé à Jules César. L’auteur multiplie les comparatifs de supériorité, les tournures exceptives ou encore les arguments d’autorité pour placer Gargantua au-dessus de tous tout en conservant la modestie d’un personnage qui se construit et évolue. Car en effet, ces éléments figurent uniquement dans l’éducation humaniste de Gargantua et c’est à partir de cette base intellectuelle et physique hors du commun que Rabelais érigera son héros à un rang épique et exemplaire.
Gargantua ne se cantonne pas à la vision du héros humaniste parfait, il progresse et lors des guerres picrocholines, il démontrera qu’au-delà de l’éducation et des capacités, il possède des vertus inattendues. La générosité, la mansuétude et le pardon de Gargantua surprennent pour un héros qui vit une guerre. En effet, on peut relever ses exploits guerriers stupéfiants, sa capacité à détruire une tour comme si ce n’était qu’un château de carte ou encore à déraciner un arbre pour s’en faire un petit gourdin dans une approche défensive du conflit… toutefois, l’héroïsme de Gargantua s’exprime davantage dans le traitement qu’il réserve aux vaincus. En toute logique, le lecteur s’attend au châtiment contre les ennemis. Un punition telle que la mort, la prison ou encore une humiliation revancharde tombe sous le sens. Or Gargantua en être d’exception renverse tous les topoï de la victoire guerrière en pardonnant. La mort, le pillage, la séquestration sont totalement évacués de sa proposition de paix. Plus exceptionnel encore, les vaincus sont amenés à réfléchir et sont intégrés dans une vision d’avenir harmonieux. « je vous absous et délivre, je vous affranchis et vous rends libres comme avant. De plus vous serez, en passant mes portes, payés chacun pour trois mois, pour pouvoir vous retirer en vos maisons et familles. ». La parole de Gargantua dans cet extrait agit par un présent ponctuel : ses mots sont salvateurs, libérateurs et effectifs quand ils sont prononcés. Soulignons en outre, le caractère religieux de sa parole. La parole du héros est quasi messianique : pardon, absolution et retour en paix colorent la citation. Cette phrase connote une libération de l’esclavage induite par le terme « affranchis ». Les vaincus repartent libres et respectés. Gargantua en bâtisseur de l’avenir et en sage comprend par ailleurs, que la guerre implique pertes et sacrifices : l’argent versé permet de panser les blessures et impulse la reconstruction de chacun de manière égalitaire puisque chacun reçoit la même somme. Gargantua se révèle exceptionnel car il est le sage qui
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