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L'Incendie

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s ici. Seul L'Incendie les représente. Mais même pour L'Incendie, dont je ne nie pas le « réalisme », j'ai préféré montrer d'emblée ce qui tourne le dos à cette dimension trop décrite de l'écriture dibienne. J'ai préféré montrer ce qui met en question dans ce roman le « réalisme » sté­réotypé des lectures idéologiques plates : Seul roman publié avant l'Indépendance à être décrit ici, L'Incendie le sera donc beaucoup plus en tant qu'objet privilégié de lectures antécédentes, que comme objet véritable de ma propre lecture, même si je prétends à partir des lectures qui précèdent la mienne fournir un éclairage nouveau. L'Incendie me permettra surtout de montrer comment dès ses pre­miers romans publiés, et tout en se réclamant d'un réalisme néces­saire, Dib remet en question un réalisme stéréotypé ou conformiste, pour atteindre à une efficacité révolutionnaire véritable.

Qui dit efficacité révolutionnaire dit, en Algérie des années 50 et 60, peinture de la colonisation, certes, mais aussi de la guerre d'Indépendance. On a coutume d'opposer le « réalisme » de L'Incendie au « surréalisme » de Qui se souvient de la mer. Mais ce « mot‑valise » qu'est « surréalisme » ne cache‑t‑il pas souvent, en ayant l'air de dire tout en ne disant rien, l'impuissance d'une cri­tique de contenu à rendre compte de ce roman, comme des suivants, réputés « difficiles » ? Contre ce poncif d'une critique paresseuse, et après que Jacqueline Arnaud ait montré au contraire la continuité au niveau des personnages entre Qui se souvient de la mer et les textes qui le précèdent [2], je vais tenter de montrer que dès avant l'Indépendance ces deux romans habituellement opposés se rejoi­gnent en fait dans une même réflexion sur les pouvoirs du langage. Réflexion qui repose en ce qui les concerne sur une même mise en question du réalisme.

A) LA TENSION DIDACTIQUE DE L'INCENDIE [3]

Les Histoires de la littérature maghrébine ont coutume de « classer » L'Incendie, avec la trilogie dont il fait partie, dans le « courant ethnographique » des années 1950, au même titre que les romans de Feraoun ou Mammeri en Algérie, de Sefrioui au Maroc. Ce courant ethnographique se caractériserait surtout par sa des­cription d'une Société traditionnelle figée, idylliquement hors du temps chez Sefrioui, tragiquement condamnée par l'Histoire à laquelle elle ne participe que négativement, chez Mammeri. Ce qui permet à la critique idéologique, que ce soit celle d'intellectuels nationalistes comme Mostefa Lacheraf à l'époque, ou celle d'uni­versitaires actuels un peu pressés d'établir une continuité entre ce courant et celui du roman colonial, de reprocher aux écrivains leur non‑participation à l'idéal révolutionnaire, quand on ne va pas jusqu'à les accuser de faire le jeu du colonialisme.

Même si j'ai montré, par exemple au niveau de leur jeu méta­phorique ou de la détermination de leurs destinataires implicites, la dépendance inévitable de romans comme Le Fils du Pauvre ou Le Sommeil du Juste par rapport au modèle français, je n'irai pas jusqu'à faire mienne cette condamnation un peu simpliste. Car le lieu référentiel d'une écriture romanesque est nécessairement plus vaste que celui de l'oralité, qui ne prend toute sa signification que dans un lieu précis. D'ailleurs l'idée même de nation n'a de sens que dans une problématique idéologique à l'échelle mondiale, c'est‑à­dire non‑localisée. La nation est un concept abstrait qui se définit et se proclame « à la face du Monde ». Elle n'a rien à voir avec le lieu de l'oralité qui est celui de personnes se connaissant entre elles, d'individus concrets irréductibles aux concepts généraux de l'Idéo­logie, même si ceux‑ci sont nécessaires pour l'action révolution­naire.

Quoi qu'il en soit, et contrairement à la plupart des textes de ce « courant ethnographique » des années 50, L'Incendie est explici­tement un roman « engagé », qui convoque l'Histoire et l'énonce. Mais si l'écriture du roman procède d'un engagement devant lequel la critique coloniale ne s'est pas trompée, ce roman n'en est pas moins en même temps une mise en question des dires de cet enga­gement : réflexion sur leur efficacité, mais aussi sur leur fidélité au réel, ou au contraire sur leur trahison. La description, base du « réalisme », sera implicitement mise en question ici. Mais peut-être aussi, déjà, la relation de l'écriture et de la réalité : si au lieu de rendre compte plus ou moins fidèlement de cette réalité, l'écriture tentait de la produire, en créant une perception dynamique des cho­ses ? On le voit, c'est la question même de l'efficacité d'une écriture littéraire « engagée » qui est ici posée, dans un premier temps, par ce roman.

UN PROGRESSISME PROPHÉTIQUE ?

La trame narrative de L'Incendie est relativement simple. Omar, le jeune citadin pauvre de La Grande Maison, dont l'adoles­cence bourgeonne, vient passer des vacances à la campagne. Il y sera le prétexte à des descriptions de l'exploitation coloniale, que lui fait entre autres un vieillard nommé Comandar. Et il assistera à la montée progressive, de discussion de fellahs en discussion de fel­lahs, d'une prise de conscience politique jusque là inconnue. Cette prise de conscience apparaîtra donc comme un langage que les pay­sans vont apprendre, non pas de la bouche d'un militant, Hamid Saraj, pourtant présent, mais au contact quotidien de l'injustice. A cette prise de conscience les autorités coloniales comme leurs alliés parmi les paysans riposteront par l'incendie des masures, point de départ de la métaphore qui donne son titre au livre. Incendie dont le retournement et la généralisation seront bien sûr annonces de la Révolution à venir.

L'apprentissage du langage politique par les paysans ne peut se faire qu'à partir des langages, bien différents de ceux des citadins, qui leur sont familiers. Le roman sera donc aussi une manifestation captivante de ce langage bien étrange des paysans, pour les lecteurs citadins. Langage fort éloigné des catégories idéologiques, et bien rarement décrit par la littérature romanesque. On peut cependant reconnaître dans cette tentative de concilier deux systèmes de communication un projet qui était déjà celui de George Sand dans la préface de François le Champi, et qui s'est poursuivi en France dans la marginalisation progressive du « roman pay­san », vite devenu roman régionaliste. Mais les États‑Unis sur la littérature desquels Dib publiait des articles à la même époque, ou l'Italie des antifascistes, lui ont probablement fourni une matière à réflexion plus riche. On le verra plus loin.

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L'attitude de L'Incendie face à l'Histoire, ou plus précisément entre la société traditionnelle et l'Histoire, est à l'opposé de celle de La Terre et le sang, de Feraoun, ou de La Colline oubliée, de Mammeri. L'Histoire, ici, n'est plus l'intrusion du tragique dans la cohérence ébranlée d'un univers ancien, décrit avec nostalgie par un écrivain dont la parole, déjà installée dans un lieu autre, dans ce que Kateb appelait la « gueule du loup », est appel impuissant. Elle est d'abord, comme pour Fanon, bien qu'à un degré moindre, dans une pratique militante de l'écrivain au contact de l'événement. Jean Déjeux a montré que L'Incendie est en grande partie issu de faits réels, et principalement d'une grève à Aïn Taya, dont Dib a rendu compte en 1951 dans Alger Républicain [4], quotidien communiste. Le réel, ici, précède l'écriture, qui le transpose à peine.

Mais la transposition n'est pas innocente. De la région d'Alger, l'action est déplacée dans celle de Tlemcen, que Dib connaît mieux, et dont le site se prête mieux à la poésie de certaines descriptions. Surtout, situer l'action en 1939, et non en 1951, permet de renvoyer à une guerre que tout le monde connaît, mais dont le déclenche­ment, dans le roman, se confond étrangement avec ce que les lec­teurs, depuis la publication du roman, savent du déclenchement de la Révolution. Le fait passé et connu désigne ainsi indirectement le fait à venir, dont l'importance est bien plus grande pour le peuple algérien. A certains moments, il semble que la confusion soit volontaire, par exemple dans cette description bien ambiguë de la « drôle de guerre », dont le nom prête au sens double :

« Tous les jours, des hommes partaient ; on s'en apercevait bien : leur départ créait un remous pendant quelque temps ; puis ils disparaissaient, absorbés par l'inconnu. Des mois s'écoulèrent encore. La même vie con­tinuait. C'était la drôle de guerre. Mais quelque chose que l'on sentait venir de loin, et qui allait peut‑être loin, une lame de fond qui se trans­formerait peut‑être en une vague géante s'approchait insensiblement » (p.171).

Il y a donc de L'Incendie, deux lectures, modelées par la situation historique du lecteur, selon que ce dernier se situe avant ou après le ler novembre 1954. Ce qui confirme,

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