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La femme gelée, Annie Ernaux, lecture linéraire

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Par   •  8 Avril 2020  •  Commentaire de texte  •  1 784 Mots (8 Pages)  •  17 641 Vues

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La femme gelée, Annie Ernaux.

ANALYSE LINEAIRE

Introduction :

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Ce texte est extrait du roman « La femme gelée » écrit par Annie Ernaux et publié en 1981. Annie Ernaux est un auteur contemporain, professeur de lettres modernes, issue d’un milieu social modeste qu’elle évoquera dans nombre de ses œuvres. C’est dans sa propre vie qu’elle puise la matière  de son écriture.

L’œuvre dont est extrait ce passage raconte son mariage dans les années 60. Dans cet extrait, l’auteure évoque sa désillusion face à un mari progressiste dans ses propos, mais bien moins dans ses actes.

A travers son propre portrait c’est celui de toutes les femmes qui apparait. Cette œuvre autobiographique dépasse alors le cadre du récit de vie et s’inscrit dans le genre des mémoires où elle prend une portée argumentative.

Notre projet de lecture sera le suivant : comment, à travers ce texte, l’’auteure nous montre les limites de l’émancipation féminine ? Pour y répondre, nous analyserons trois mouvements de ce texte :

  1. Le passage du rêve à la réalité quotidienne du couple (de la ligne 1 à 10)
  2. Le conflit des valeurs au sein du couple (de la ligne 10 à 20)
  3. Le renoncement progressif de l’auteur (de la ligne 20 à 25)

I. Du rêve à la réalité

  1. Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retournons à la fac, je donne des cours de latin.
  2. Le soir descend plus tôt, on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux
  3. et fragiles, l’image attendrissante du jeune couple moderno-intellectuel. Qui pourrait encore
  4. m’attendrir si je me laissais faire, si je ne voulais pas chercher comment on s’enlise, doucettement.
  5. En y consentant lâchement. D’accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui,
  6. à deux mètres l’un de l’autre. La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne
  7. sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la
  8. ressemblance. L’un des deux se lève, arrête la flamme sous la cocotte, attend que la toupie folle
  9. ralentisse, ouvre la cocotte, passe le potage et revient à ses bouquins en se demandant où il en
  10. était resté. Moi. Elle avait démarré, la différence. Par la dînette.

A. L’image du couple idéal et égalitaire (voir aussi votre prise de notes en cours pour cette partie)

  • Une relation homme/femme se met en place à l’intérieur du foyer : « Jeune couple moderne ou intellectuel » (L 3) ce qui laisse sous-entendre une certaine égalité homme/ femme.

  • L’utilisation répétée du pronom personnel « nous » évoque l’union, l’harmonie ainsi que le principe d’équipe que constitue le couple. 
  • Le « nous » est appuyée par un vocabulaire tel que «ensemble » (L 2), « même ». L’apothéose de cette union apparente est marquée par une phrase non verbale très courte qui juxtapose deux mots redondants : « unis, pareils ». (L 7).

B. Le début de la désillusion

  • Mais cette égalité dans le couple est de très courte durée. Ce qui en marque la fin est une sorte d’alarme «sonnerie stridente » (L 7) qui retentit comme une sirène,  ceci est explicité par une phrase non verbale « finie la ressemblance » (L.8).

  • Le « nous » laisse alors la place à un clivage entre le « je » et le « il ». En effet : «l’un des deux » (L 8) « moi » (L 10).
  • Ce mouvement se clôt sur le terme « dinette » : le terme est ici infantilisé avec le suffixe « ette » et évoque l’idée qu’en étant renvoyée à des tâches culinaires, l’auteure est elle-même infantilisée : autrement dit, renvoyée à un jeu de petite fille et non à ses études.  

II. Le conflit des valeurs (L.10 à 20)

10.Le restau universitaire fermait l’été. Midi et soir je suis seule devant les casseroles. Je ne

11. savais pas plus que lui préparer un repas, juste les escalopes panées, la mousse au chocolat,

12. de l’extra, pas du courant. Aucun passé d’aide-culinaire dans les jupes de maman ni l’un ni

13. l’autre. Pourquoi de nous deux suis-je la seule à me plonger dans un livre de cuisine, à

14. éplucher des carottes, laver la vaisselle en récompense du dîner, pendant qu’il bossera son

15. droit constitutionnel. Au nom de quelle supériorité. Je revoyais mon père dans la cuisine. Il se

16. marre, « non mais tu m’imagines avec un tablier peut-être ! Le genre de ton père, pas le mien ! ». 17. Je suis humiliée. Mes parents, l’aberration, le couple bouffon. (…) Mon modèle à moi n’est

18. pas le bon, il me le fait sentir. Le sien commence à monter à l’horizon. Monsieur père laisse

19. son épouse s’occuper de tout dans la maison, lui, si disert, cultivé, en train de balayer, ça

20. serait cocasse, délirant, un point c’est tout. A toi d’apprendre, ma vieille !

  1. Un difficile apprentissage

  • Ce sont les tâches ménagères, en particulier ce qui concerne la préparation des repas, qui vont transformer la relation du couple et vont faire basculer la vie de la narratrice.

  • Par son côté strictement factuel et sa forme syntaxique réduite à l’extrême (phrase simple sans complément), la première phrase de ce mouvement « le restau U fermait l’été » semble tomber comme un couperet, presque une sentence. De fait, la conséquence immédiate à cet état de fait est d’envoyer la narratrice aux fourneaux à plein temps.
  • Or cette activité apparaît comme compliquée pour la narratrice qui a tout à apprendre et témoigne d’un difficile apprentissage comme l’indiquent les expressions « je ne savais pas » (L 11), « aucun passé d’aide-culinaire » (L–12) ou ou « À toi d’apprendre ma vieille ». (L. 20)
  • Les termes qu’elle utilise montrent  la distance qu’il y a entre elle et la cuisine comme l’indique, par exemple, l’expression « de l’extra, pas du courant ».
  • Le verbe « plonger » dans la phrase « plonger dans un livre de cuisine » (L.14). suggère ici une immersion dans un monde inconnu et l’effort qui lui est nécessaire pour apprivoiser des bases de connaissances culinaires.
  1. Le questionnement intérieur de la narratrice
  • Mais plus encore que la tâche elle-même, c’est la solitude à laquelle elle est confrontée pour la prendre en charge qui accable la narratrice :
  • le terme « seule » répétée deux fois (l.10 et 13) en quelques lignes traduit un double désarroi : d’une part devant une tâche qu’elle ne maîtrise pas, d’autre part, devant une situation qu’elle ne comprend pas et à laquelle son éducation ne l’a pas préparée.
  • « je suis seule » (L10), « la seule » (L 13) s’oppose alors  à « il » (L 14,15,18).
  • A partir de là, la narratrice commence à s’interroger sur le sens de la situation : pourquoi serait-elle seule à cuisiner alors qu’elle fait, elle aussi, des études ?

C. Une confrontation des valeurs

  • L’attitude et l’incompréhension des deux jeunes est en effet la résultante d’éducations opposées. 

  • Alors que son mari vient d’une famille bourgeoise, la narratrice vient d’une famille d’épiciers au sein de laquelle les tâches n’étaient pas associées à l’un ou à l’autre des membres du couple. 
  • Le père d’Annie Ernaux porte « un tablier » alors que le père de son mari est décrit comme « disert et cultivé » laissant son épouse « s’occuper de tout dans la maison ».
  • Le mari se comporte donc comme son propre père : il a le discours (« disert »), les paroles (il encourage son épouse, comme le texte l’indiquera plus tard) mais non les gestes.
  • L’origine sociale crée ainsi une opposition dans le couple au sein duquel la désillusion de la narratrice semble se transformer peu à peu en amertume comme le montre l’ironie de l’expression « en récompense du dîner »… signifiant que pour la remercier, son époux lui fait le cadeau de lui laisser faire aussi (et seule) la vaisselle !
  • Non seulement le mari reste cantonné dans son propre modèle éducatif mais s’empare de cette différence d’éducation pour la dénigrer, pour la dévaloriser, comme l’exprime la phrase : «le genre de ton père, pas le mien! »
  • L’expression « le genre » donne une connotation péjorative au comportement du père de la narratrice, la réduisant à un modèle peu respectable, voire à un comportement incongru.
  • A noter que le style direct employé ici pour la première fois par l’auteur pour rapporter les propos de son mari : le recours à ce style direct semble traduire le choc que représente pour elle l’image dévalorisante qui lui ainsi est renvoyée.

III. Un renoncement progressif (L.10 à 20)

  1. Je n’ai pas regimbé, hurlé ou annoncé froidement, aujourd’hui c’est ton tour, je travaille La
  2. Bruyère. Seulement des allusions, des remarques acides, l’écume d’un ressentiment mal
  3. éclairci. Et plus rien, je ne veux pas être une emmerdeuse, est-ce que c’est vraiment
  4. important, tout faire capoter, le rire, l’entente, pour des histoires de patates à éplucher, ces
  5. bagatelles relèvent-elles du problème de la liberté, je me suis mise à en douter.

  • Evolution de la situation par rapport au couple, à la société et à la narratrice elle-même :
  • Elle proteste de plus en plus mollement « Je n’ai pas regimbé, hurlé ou annoncé froidement  » puis évolue vers  une sorte de remise en question de ses propres qualités, un engourdissement et la remise en question de ses valeurs d’égalité.
  • La narratrice passe ainsi :
  • d’une attitude de vigilance « si je me laissais faire » (1er mouv.) à l’expression d’un sentiment de révolte « Au nom de quelle supériorité. « (L 15 du 2ème mouv.)
  • d’un sentiment de révolte à une forme de sentiment de culpabilité : «  Et plus rien, je ne veux pas être une emmerdeuse, est-ce que c’est vraiment important (ces histoires de patates à éplucher). « (L 22,23).
  • D’un sentiment de culpabilité au doute sur ses propres convictions.

Conclusion.

A  première vue ce texte n’est pas clairement argumentatif,  pourtant Annie Ernaux  cherche à nous convaincre que le mariage peut devenir un véritable carcan. Elle nous le prouve en utilisant son propre exemple. De plus ce texte utilise persuader en provoquant des ressentis,  des émotions, en effet  un sentiment d’injustice qui est créé par la différence qui s’installe  entre les deux étudiants. Ces émotions s’associent pour nous persuader que le mariage, dans ces années là, peut être pour la femme un véritable carcan pour la femme et l’empêcher de s’épanouir intellectuellement.

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