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Le Voyage Vue De Spoètes

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yage en Icarie.

Mais ce sont surtout les effets de textualité interne qui font résonner « Le Voyage » de multiples manières. Dans les notes de son édition de la Pléiade, Claude Pichois souligne la récurrence du motif du voyageur qui se retourne ; on le trouve dès La Fanfarlo (1847) :

« Nous ressemblons tous plus ou moins à un voyageur qui aurait parcouru un très grand pays, et regarderait chaque soir le soleil, qui jadis dorait superbement les agréments de la route, se coucher dans un horizon plat. […] Il reprend tristement sa route vers un désert qu’il sait semblable à celui qu’il vient de parcourir, escorté par un pâle fantôme qu’on nomme Raison, qui éclaire avec une pâle lanterne l’aridité de son chemin, et pour étancher la soif renaissante de passion qui le prend de temps en temps, lui verse le poison de l’ennui. » (Pléiade, I, p. 562)

Les mêmes expressions viendront chanter dans « Le Voyage ». Un mangeur d’opium (contemporain du " Voyage ») parle de :

« […] l’homme revenu des batailles de la vie ; […] c’est le voyageur qui se retourne le soir vers les campagnes franchies le matin, et qui se souvient, avec attendrissement et tristesse, des mille fantaisies dont était possédé son cerveau pendant qu’il traversait ces contrées. » (I, p. 496)

Dans le compte rendu de La Double Vie de Charles Asselineau (L’Artiste du 9 janvier 1859), Baudelaire écrivait :

" Ceux-ci font de lointains voyages au coin d’un foyer dont ils méconnaissent la douceur ; et ceux-là, ingrats envers les aventures dont la Providence leur fait don, caressent le rêve d’une vie casanière, enfermée dans un espace de quelques mètres. L’intention laissée en route, le rêve oublié dans une auberge, […] le regret mêlé d’ironie, le regard jeté en arrière comme celui d’un vagabond qui se recueille un instant, l’incessant mécanisme de la vie terrestre, taquinant et déchirant à chaque minute l’étoffe de la vie idéale : tels sont les principaux éléments de ce livre exquis. » (II, p. 87)

L’écriture du « Voyage » représente vraiment un aboutissement.

C’est essentiellement par sa structure que le poème met en place une dramaturgie. Et d’abord par le système des sections (le procédé est utilisé aussi dans « Les Petites Vieilles », publié en septembre 1859, mais sans coupure au milieu des vers).

Les deux premières des huit sections sont au présent gnomique : le poète-énonciateur dessine des types de voyageurs et, au-delà, montre en chaque homme un voyageur par l’imagination. Suivent quatre sections en forme de dialogue : des non-voyageurs questionnent des voyageurs, mais seule la double réponse des voyageurs, sections IV et VI, est entre guillemets ; les voyageurs disent leur déception et l’inanité du voyage ; très normalement, le dialogue est au présent et le récit des voyageurs au passé composé ; mais comment faut-il situer ces interlocuteurs par rapport à ce qui précède ? La section VII, gnomique comme les deux premières, est sur le même mode énonciatif que celles-ci. La question du voyage « réel » est dépassée par celle du voyage symbolique, celui de la vie, donc de l’affrontement au Temps, ce qui mène à l’évocation du voyage de la mort, sur le mode des mythes anciens ; mais on constate une rupture dans le temps des verbes : au vers 121, on passe du présent au futur et, au vers 127on revient à un présent, non pas de généralité mais d’actualité, comme si ce futur – celui du voyage de la mort – était déjà là. Dans la section finale, le poète s’adresse à la Mort, à l’impératif présent ; là encore, une question se pose : le départ demandé dans cette section VIII est-il le même que l’embarquement qui avait été évoqué au futur dans la section VII (125) ?

Pour tenter de répondre à ces questions, on peut analyser les variations du « nous « : tantôt ce sont des faux voyageurs, opposés aux « vrais voyageurs », désignés par « ils » (I) ; tantôt des non-voyageurs, par opposition au « nous » du discours rapporté des voyageurs (III à VI) ; tantôt tous les hommes (II et VII). Mais ce « nous » désigne finalement toujours des voyageurs : ils voyagent pour fuir quelque chose – patrie, famille, femme (I) ; ils veulent « voyager sans vapeur et sans voile » (III) en imaginant à partir du récit des autres, récit qui dit l’inanité du voyage ; ils envisagent le voyage de la mort (VII et VIII).

On pourrait donc interpréter ainsi le poème : le « je » émettrait, sur le mode du « nous », la leçon qu’il tirerait de ses propres constats et de ceux des voyageurs ; le poème tracerait un itinéraire de dessillement sur les dangers de l’imagination et du désir. Les choses sont peut-être un peu plus complexes ; prenons-les par un autre biais.

Le poème propose, emboîtés les uns dans les autres, plusieurs drames (Baudelaire ne parlait-il pas, dans sa lettre à Du Camp du « ton systématiquement byronien » du « Voyage « ?)

C’est d’abord le drame du monde qui est mis en scène : un monde dérisoire par sa banalité (57-58) ou par un exotisme de pacotille (77-83) ; un monde habité par le mal, surtout sous la forme des rapports de pouvoir et d’oppression. On peut noter à cet égard une accentuation dans les variantes du poème entre 1859 et 1861 : « tyran » au lieu de « maître » (91) ; « amoureux » au lieu de « amateur » (96). Le mal s’étend dans l’infini du temps et de l’espace : « partout […] l’immortel péché » (86 et 88), « du globe entier l’éternel bulletin » (108).

Le drame du voyageur tient à l’inanité du voyage : c’est l’ennui à cause de la banalité répétitive (60, 88) ; mais surtout, le monde n’est qu’un spectacle (« nous avons vu »), dont on ramène des « croquis ». Là aussi, les variations entre 1859 et 1861 opèrent une dramatisation par l’accentuation du contraste entre la curiosité avide des non-voyageurs et la déception des voyageurs : dans le placard primitif, il n’y avait pas de rupture au vers 84, qui restait comme dernier vers du quatrain (le dialogue ne couvrait donc que deux sections et le poème comptait en tout six sections au lieu de huit dans la version finale).

Drame de l’homme, enfin : l’amertume est omniprésente (6, 44, 109) ; c’est que l’imagination est toujours trompeuse : celle de l’enfant avant le voyage (3-4), celle du voyageur lui-même (37-40) et celle de son public (43-44) ; le réel est toujours déceptif, parce qu’il renvoie à l’homme sa propre image, dans un solipsisme désespérant (110-112). La question

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